Paul, Apôtre du Christ

Posté dans : Cinéma 0
Paul Affiche

Revoir un jour Jim Caviezel dans un film biblique relevait jusqu’ici pour moi d’un pur fantasme cinématographique. Certes, depuis La Passion du Christ, chef d’oeuvre absolu de Mel Gibson selon moi, j’avais attentivement suivi son parcours, notamment dans le très bon Person of Interest de Jonathan Nolan. Pourtant, force est de constater que c’est dans ce registre très particulier de film biblique que l’acteur se trouve être le plus sublimé. D’une manière presque mystique en effet, il est alors enveloppé par une sorte d’aura quasi-surnaturelle qui lui confère un aspect fascinant. A côté de mon attirance naturelle pour les films bibliques, c’est donc en grande partie sur son nom que s’est porté mon intérêt pour Paul, apôtre du Christ d'Andrew Hyatt. Et il faut bien l’admettre, le film a réussit à me surprendre tout le long, par rapport aux attentes que je pouvais en espérer.

I. « Là où le péché abonde... la grâce de Dieu surabonde »

Jim Caviezel, dans le rôle de Luc
Jim Caviezel, dans le rôle de Luc

En dehors de la présence de Jim Caviezel, le film d'Andrew Hyatt présente un deuxième point commun avec le chef d’oeuvre de Mel Gibson. En effet, le réalisateur évite lui aussi l'exercice du biopic retraçant le parcours de ce personnage emblématique de la culture chrétienne, et préfère orienter son regard en direction des derniers instants, en l'occurence les derniers jours, de la vie de Paul. Les ressemblances s’arrêtent là, car là où Gibson utilise à merveille le spectaculaire et l’émotion, Hyatt préfère un film plus feutré, dans lequel les dialogues prennent le pas sur l'action et invitent à la réflexion, voire à une certaine forme de méditation.

Le Pitch est simple : 27 ans après la mort de Jésus, Saül de Tarse, juif citoyen romain, ancien persécuteur des premiers chrétiens converti après que Jésus lui soit apparu ressuscité, se retrouve en prison et condamné à mort par l'empereur Néron, qui l'accuse d'avoir provoqué les incendies qui ont ravagé la ville de Rome. Depuis sa rencontre miraculeuse avec le Christ, il a pris le nom de Paulus, ou Paul. Un médecin chrétien grec, Luc, risque sa vie en lui rendant visite dans sa cellule dans le but de recueillir son témoignage et l’histoire de sa vie. Alors qu'on apprends ses derniers enseignements, il est donné à voir les persécutions des chrétiens à Rome, parfois brûlés vifs au coeur de la cité, d’autres fois présentés dans les arènes lors des jeux du cirque. Luc est hébergé dans une communauté chrétienne, autour d’Aquila et Priscilla, qui se déchire parfois au sujet de leur avenir et du choix de la voie à suivre désormais. Afin de les guider, Paul leur adresse ses célèbres écrits.

C’est vrai que j’aurais aimé, à titre personnel, assister à l’itinéraire de ce personnage hors du commun, d'un point de vue autant historique que religieux, Paul a en effet une trajectoire de vie assez fascinante. Il apparait tout d’abord comme l'un des plus grands persécuteurs des chrétiens de l’histoire, avant qu’il ne change radicalement de vie et ne se transforme en une figure majeure et incontournable de la chrétienté. Son parcours est émaillé des premières communautés chrétiennes qu'il fonde. Ses Épitres, les lettres adressées aux communautés dont le film propose de voir de quelle manière et en quelles circonstances elles ont été formulés et dictés, figurent en bonne place dans la Bible. La révélation de sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas, même si elle est évoquée lors d’un des flash-backs du film, est à l’image de la tonalité générale imposée par le réalisateur. Hyatt ne veut pas d’une sorte de glorification du spectaculaire, mais seulement montrer un itinéraire, le cheminement personnel d’un homme. Jusqu’au bout, Hyatt montre que Paul restera hanté par ses exactions et ses trop nombreuses victimes. Au milieu de celles-ci, quelques figures se détachent comme celle d'Étienne, dont il est donné a voir la lapidation. Étienne est historiquement le premier martyr de la tradition chrétienne, et j'ai du consulter nombre de textes pour voir qu'à l'inverse de ce que suggère le film, Saul ne serait que témoin de la scène. Quoiqu'il en soit, la figure d'Étienne, souriante et bienheureuse, revient inlassablement dans les tourments de Paul.

Andrew Hyatt oppose la figure du passé, caractérisée par des flash backs essentiellement visuels, à l'homme du présent, aux scènes savamment dialoguées, En faisant le choix délibéré de ce centrer sur l'homme et sur ses paroles, le réalisateur montre de manière directe que l'influence de Paul, son pouvoir pour ainsi dire, s’est littéralement transformé : autrefois, c’était la crainte qu’il inspirait qui effrayait ses contemporains, désormais c’est la force de sa Foi qui impressionne, force le respect et réussit même à ébranler les esprits.

Néanmoins, les flash-backs, restitués au moyen d'un ralenti très maitrisé et avec une photographie qui leurs confèrent une grande esthétique, sont là pour rappeler que nous sommes bel et bien en présence d’une oeuvre cinématographique. Car en effet,  les nombreuses scènes de dialogues, quelquefois assez longues et qui concourent à donner au film ce rythme lent si particulier, pourraient nous orienter vers une certaine forme de théâtre filmé. La difficulté pour un art du mouvement comme le cinéma consiste ici à rendre compte avant tout d’une période d’attente pour Paul : il est en attente de son exécution, mais c’est également une période d’ardente réflexion spirituelle, dont Luc conservera les traces dans ses écrits. A part le supplice des chrétiens utilisés comme torches vivantes, les scènes spectaculaires sont donc soigneusement évitées. Même lorsqu’il s’agit de montrer la communauté retenue dans les geôles puis lâchée en pâture aux fauves dans le cirque, Hyatt arrête sa caméra de manière pudique à l’entrée de l’arène. En faisant cela, il évite également le recours aux effets spéciaux qui auraient peut-être porté préjudice, en les amoindrissant, aux messages fondamentaux véhiculés par le film. Ce faisant, il maximise dans le même temps toutes les autres séquences et en particulier celles de chrétiens brûlés vifs comme torche vivante. D’une manière générale, pour lui, le spectaculaire se situe ailleurs, dans les paroles de Paul et de Luc, ces hommes dont il restitue la dimension hors du commun.

Les décors, les costumes et le travail sur la lumière sont extrêmement soignés et permettent une immersion totale dans cette époque troublée. Si Jim Caviezel est très charismatique dans le rôle de Luc, James Faulkner propose une interprétation de Paul en vieillard blessé et vulnérable, mais dont la puissance de la Foi force le respect, que j'ai trouvé assez convaincante. Enfin, la musique vient parfaitement souligner tous les registres émotionnels sans jamais prendre le pas sur le discours ou l'action. Le réalisateur utilise à merveille le steadycam pour suivre les déambulations dangereuses de Luc à travers une Rome qui a rarement paru plus effrayante la nuit.

Andrew Hyatt, en train de diriger Jim Caviezel
Andrew Hyatt, en train de diriger Jim Caviezel

II. « Écris-le ! »

Paul 2

Le titre du film peut également perturber le non-croyant tout autant que quelqu’un comme moi, dont les cours de catéchisme remontent tout de même à quelques années. En effet, le temps de l’action est situé en l'an 60, ce qui fait 27 ans après la mort du Christ. D’un autre côté, Paul est d’abord identifié comme un des pires persécuteurs des chrétiens. Ces deux éléments induisent donc le fait qu'il n’a pas connu directement le Christ de son vivant. Il ne fait donc pas partie des célèbres 12 apôtres. En réalité, le mot "Apôtre" signifie « envoyé ». Paul revendique ce titre parce que le Christ lui est apparu directement. La vision du Christ lors de sa rencontre a été un tel bouleversement qu'il en a perdu l'usage de la vue pendant quelques jours. Mieux, en lui apparaissant, le Christ l'a envoyé en mission, comme il l'avait fait avec ses apôtres en son temps. Après m'être renseigné, c'est la notion de ce contact direct, sans intermédiaire, qui fait que Paul peut se prétendre "envoyé", et donc "apôtre". Luc, en revanche, est très mal connu. Il n’était pas apôtre et fait partie des chrétiens de deuxième génération, ceux qui ont eux mêmes été évangélisés par les apôtres et les disciples du Christ.

L'intelligence du scénario prend, à mon avis, appui sur deux choix majeurs :

Premièrement, et il s’agit certainement d’un grand intérêt de ce film, la relation à trois qui se construit entre Paul et Luc d’un coté, et l’officier romain en charge des prisonniers d'autre part, se révèle d'entrée fascinante. Mauritius, le préfet en charge de la prison de Mamertine où Paul est détenu, est un personnage complexe. Contrairement à ce qui a pu être dit sur cet acteur à la carrière atypique, je veux souligner la performance d’Olivier Martinez, qui bien que peut-être trop rare sur les écrans en ce moment, démontre ici qu’il est capable de retranscrire toute la palette d’émotions diverses et contradictoires traversant son personnage. Le préfet Mauritius Galla montre dès le début qu'il n'est pas dupe du fait que Paul ne soit en réalité que le bouc émissaire des incendies de Rome par Néron. Mais c'est dans sa sphère familiale que se révèle ses véritables fêlures : malgré ses innombrables dévotions aux différents dieux romains, sa jeune fille est en proie à un mal qui risque de lui être fatal. Pressé par sa femme, pris dans ses convictions, le prefet apparait comme un personnage dans la tourmente. Dès le début, pourtant, on s’attends à ce que Luc soit finalement appelé pour secourir et guérir la fillette. Mais le film ménage la tension en laissant apparaitre les conflits naissants de manière progressive et inéluctables dans l’esprit de Mauritius. Ce personnage, à mon sens, dédouane à lui seul les critiques faciles de prosélytisme que le film pourrait susciter, car les interactions entre les trois personnages sont nombreuses, et Mauritius n’est pas avare d’arguments pour défendre sa croyance dans des dieux romains face à la foi inébranlable de ses prisonniers. Ce rapport de force produit un film tout en nuance dont le propos n’est en rien manichéen. Le Préfet symbolise à lui seul le passage du monde roman, polythéiste, au monothéisme, et permet de mieux comprendre comment ce qui n’est considérée comme une secte au tout début finit progressivement par se substituer aux croyances  en place déclinantes pour finir ensuite par devenir inexorablement la plus grande religion du monde.

Deuxièmement, j’ai été personnellement frappé de voir la multiplicité des réactions de ces premières communautés face à la réalité de l’oppression, à l’injustice et à la souffrance. Malgré leur Foi, les opinions peuvent vite diverger et la compréhension du présent, les actes à mener en réaction, se révèlent multiples. En fonction des temperaments et de leur compréhension du monde, les uns et les autres choisissent plusieurs options :

  1. La lutte pacifique, en cherchant à être " lumière dans les ténèbres". C'est l' argument développé plusieurs fois, notamment par Priscilla, pour justifier le besoin de rester à Rome et d’aider les pauvres, les orphelins et les veuves.
  2. La lutte armée. Prendre les armes et se battre pour libérer Paul et s’opposer à la folie et à l’oppression de Néron et de ses armées. C'est l'option choisie par les plus jeunes qui n’acceptent plus de voir mourir les leurs et qui tiennent un assaut de la prison dans l'espoir de libérer Paul.
  3. La fuite. S’enfuir pour sauver le maximum de chrétiens tant que c'est encore possible. C'est le choix proposé par Aquila.

C'est au milieu de ces incertitudes quant à la conduite à tenir que les paroles de Paul deviennent une nécessité.

Olivier Martinez, convaincant Prefet Mauritius Galla
Olivier Martinez, convaincant Prefet Mauritius Galla

III. « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? »

Paul cit2

Lors des inévitables interviews promotionnelles du film, Andrew Hyatt déclare  : « J’ai toujours été fasciné par Paul, qui est à mes yeux l’incarnation même de la grâce et de la miséricorde de Dieu. Cet homme, qui était le plus grand persécuteur des premiers chrétiens, est devenu le plus grand évangéliste de toute l’histoire de l’Église. » L’écriture de ce film a commencé pour lui par une fascination personnelle pour Paul, qu’il voit comme la personne la plus importante en dehors de Jésus dans le Nouveau Testament. Cela l'a conduit à produire une oeuvre intimiste, dont les dialogues entre Paul et Luc à l'intérieur de la cellule, confèrent un aspect feutré, le tout flirtant à la limite avec le film d'auteur. En y réfléchissant, le film s'écoute autant, voire plus, qu'il ne se voit tellement ces dialogues, avec leurs oppositions et leurs confrontations d'arguments, avec leurs enseignements y sont nombreux. Pourtant, je le rappelle, il ne s'agit pas à mon avis de prosélytisme. Le message principal s'adresse à tous les peuples opprimés de la Terre, comme le réalisateur l'indique par un carton sur le générique de fin. Et ce message est encore aujourd'hui d'une force peu commune : " La seule réponse à la haine, c'est l'Amour". Face aux hésitations quant aux actions à mener dans les communautés, Luc le répète inlassablement. Et c'est finalement une leçon de vie qui entre en moi comme, je pense, en chaque spectateur.

Ces leçons dispensées par le film sont autant historique que religieuses. En effet, la plupart des paroles mises dans la bouche de Paul et même dans celle de Luc correspondent à des citations réelles extraites des Épîtres et des Actes des apôtres qui figurent dans la Bible. D'un point de vue historique, même si je fus spécialisé dans l’histoire antique à l’époque de mes études universitaires, j’ai redécouvert que ce sont les chrétiens qui ont endossés le rôle de boucs émissaires dans l’incendie de Rome par Néron. A ce titre, j’ai appris avec effroi qu’ils étaient brûlés vivants, comme des torches humaines, pour éclairer les rues. Que ceux qui en réchappaient se trouvaient reclus et cachés, persécutés sans pitié et une fois délogés, jetés en pâture aux fauves dans les cirques romains.

Le côté réaliste de ces faits historiques vient se doubler avec le réalisme des questionnements humains. Ainsi, on s’aperçoit que, déjà, ces premiers chrétiens étaient en proie aux doutes existentiels : comment Dieu peut-il laisser se commettre de telles atrocités ? Comment, en de telles circonstances, parvenir à garder la Foi ? Il est intéressant de noter que Luc lui-même en vient presque à douter. Ce sont les mêmes questionnements, les mêmes doutes, les mêmes interrogations philosophiques auxquels nous sommes exposés aujourd'hui. Il n'y a pas de certitudes, seulement la Foi, et c'est la force de celle-ci qui nous rend meilleur. On peut donc voir dans ce film un hymne à la tolérance, au pardon, à l’amour de ses ennemis. Cela justifie que, comme on pouvait s'y attendre, Paul conduise Luc à soigner la fille du préfet Mauritius Gallas, lui qui de son côté pourtant le maintient en prison et le conduira jusqu'à la mort.

Je suis toujours particulièrement sensible et attentif aux paroles que l’on fait prononcer par Dieu dans ce genre de film. Ici, une phrase revient, de manière lancinante, lorsque Paul se remémore l’épisode de sa conversion. Il entends alors distinctement la phrase : "Pourquoi me persécutes-tu ?" Et cette phrase fait immanquablement écho à la situation des romains qui persécutent les chrétiens au temps de l’action du film, mais aussi à l’heure actuelle où le sujet de la répression des chrétiens en raison de leur foi revient en force. Il pourra être utile de préciser que dans le texte biblique, dans le livre des Actes des Apôtres, cette phrase revient elle aussi à trois reprises : Actes 9, 22 et 26. De la même manière, Hyatts retranscrit cette insistance en la faisant entendre de manière répétée.

Paul 8

Conclusion

Paul Cit

Au final, il est aisé de comprendre pourquoi le film n’a pas bénéficié d’une distribution à la hauteur des autres sorties, notamment des grands films américains en général, et de la même façon facile d’expliquer pourquoi sa promotion se soit montrée si discrète. Si, comme je l'ai dit, le film se rapproche du film d'auteur, il s’adresse avant tout à un public averti. Le film instruit sur la vie de ce personnage crucial de l’histoire de l’église, mais aussi favorise l’introspection chez le spectateur. En voyant ces premières communautés souffrir, et partager les mêmes doutes et incertitudes qu'aujourd'hui, le film réussit à  nous questionner sur nous-même et sur notre chemin de vie en général.

Andrew Hyatt précise encore : "Il est important à mes yeux qu’en quittant la salle, les spectateurs sachent combien il est remarquable que ces premiers chrétiens aient conservé leur foi tout au long de cette période sombre, et combien le monde était alors violent et terrifiant. Mais leur foi était si profonde qu’ils ne se sont jamais laissé effrayer. Je voudrais également qu’il soit vu par ceux qui sont persuadés de ne pas pouvoir être pardonnés, que Dieu ne les pardonnera jamais, que sa grâce n’est pas assez grande, car ce film prouve qu’elle l’est.»

Il faut retenir que, même d'un point de vue cinématographique et dans le contexte actuel, l’enseignement primordial du film est très courageux : «  La seule réponse à la violence et à la haine, c'est l' amour " ou bien encore «  Le Bien triomphera du Mal ". Ce sont les réponses que font ces premiers chrétiens à leurs persécuteurs, et c’est en appliquant ces principes qu’ils auront, au final, gain de cause. A l’heure où la persécution des chrétiens un peu partout revient à la une des actualités, Andrew Hyatt dédie son oeuvre, au moyen d'un carton sobre à la fin du film, à l’ensemble des peuples persécutés dans le monde. Ces différents aspects autour de la non-violence et de la conduite à tenir dans un contexte d’oppression, suscitent immanquablement des réactions et font écho en chacun de nous.

Paul 7
Paul 10
Commentaires
Partagez

Laisser un commentaire