This is US

Posté dans : Série Télévisée 2

Au milieu de tant de séries plus violentes et plus spectaculaires les unes que les autres, la production pléthorique américaine vient une nouvelle fois nous surprendre en nous proposant un produit aussi original qu'atypique : This is Us. En effet, aucune once de violence dans this is Us, aucun effets spéciaux pas plus que de stars. Même pas de séquences dénudés pseudo-érotique censées parler à notre libido. A vrai dire, il n'y a presque pas d'action, tout juste une galerie de personnages et des situations dans lesquelles nous les regardons évoluer. Ces différences de ton suffiraient à rendre cette série exceptionnelle. Mais This is Us, c'est avant tout une assez exceptionnelle qualité d'écriture qui se donne tout le temps nécessaire pour fouiller la psychologie de ses personnages. C'est ensuite une des plus grande analyse du sentiment amoureux qu'il m'ai été donné de voir. Enfin, le scénario de This is Us se singularise par ses aspects polyphonique, plurigénérationnel, fragmenté et finalement intemporel en nous racontant l'histoire d'une famille assez unique dont le modèle fascine notamment par sa façon qu'il a de sublimer les petits moments simples et touchant du quotidien.

 

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I. Un album de famille polyphonique

Au départ, la série aurait du s'appeler "36". On en comprends dès le début la raison : quatre personnages fêtent leur 36 ème anniversaire le même jour. Pour chacun d'entre eux, 36 est un âge de remise en question, de bouleversements dans leurs existences. Il y a tout d'abord Jack, qui avec son épouse Rebecca, forme un jeune couple très amoureux qui se prépare à faire l'expérience de la paternité, puisqu'ils attendent leurs premiers enfants, des triplés. Il y a ensuite Kate, jeune femme atteinte d'une forme d'obésité que l'on voit presque seulement en Amérique. en lutte avec son corps et avec son mal de vivre relationnel. A l'opposé, il y a Kevin, son frère, au physique de top model, acteur dans une sitcom à succès, dont le problème semble justement résider dans l'image de beauté qu'il renvoie et qui conditionne son rapport avec les femmes. Enfin, il y a Randall, homme de couleur à qui tout semble avoir réussi, cadre dans une grosse entreprise, époux et père de famille comblé, mais dont l'existence et le mode de pensée semblent remise en question par la découverte d'un père biologique qui l'a abandonné encore nouveau né devant une caserne de pompiers. Dès le départ, un montage parallèle nous donne à voir un récit choral, dans lequel chaque personnage célèbre à sa façon son 36ème anniversaire. Un énorme twist, à la fin du 1er épisode, permet de comprendre le lien particulier qui les unis les uns aux autres, mais je me refuse ici à le dévoiler pour vous en laisser la surprise. D'ailleurs, un second twist est amené dès la fin du deuxième épisode, à tel point que je me suis demandé si les scénaristes allaient réussir l'exploit d'en faire un un chaque volet. Dès le troisième épisode, on entre cependant dans un rythme de croisière, qui permet de s'attarder, et donc de s'attacher, sur chacun de ces personnages. Ce lien affectif, comme nous le verrons plus bas, est soigneusement travaillé car l'ensemble de ces destinées a pour ambition de parler à l'intimité de chacun d'entre nous.

This is Us est une grande saga familiale, dont le récit s'étale sur plusieurs années, depuis les années 80 jusqu'à aujourd'hui. Il est difficile d'en parler sans en déflorer les principales péripéties. Le récit est fragmenté, puisqu'il est constitué d'allers-retours incessant à travers différentes périodes, qui ne sont pas toutes chronologiquement identifiées. Une fois ce principe établi, il n'est pas particulièrement gênant pour la compréhension. En effet, l'astucieux principe du montage parallèle, qui s'établit sur l'ensemble de la série, fait se dialoguer de façon intelligente toutes les périodes entre elles. Cela rend le spectateur actif, en l'obligeant à mettre perpétuellement toutes les différentes scènettes dans leur ordre chronologique. L'itinéraire de chaque personnage est constamment empreint de nostalgie, par rapport à des évènements dont ils n'ont pas toujours tourné la page. Par ailleurs, ils ont ritualisé certains comportements; les adultes qu'ils sont devenus cherchant à reproduire point par point les évènements qu'ils ont appréciés enfants. C'est notamment le cas pour une fête traditionnelle, qu'ils ont ritualisés au point d'en reproduire exactement les mêmes phases année après année. J'ai personnellement eu du mal à imaginer de façon rationnelle une telle famille,se réunissant béatement chaque année afin de reproduire systématiquement des évènements qu'ils ont sacralisés. D'autant plus que cela contraste avec tous les autres moments d'identification auxquels la série se prête. Pour autant, je ne parlerai pas ici de cliché autour de la notion de famille, car cette thématique est ici abordée de façon moderne la plupart du temps. C'est ainsi que les relations entre ses membres ne sont pas linéaires : il y a des heurts et des aspérités. Il s'agit moins de construire une famille que de la garder unie. Elle n'est pas biologique, puisque Randall a été adopté, elle s'agrandit et se reconstruit drame après drame.

 

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II. C'est eux, c'est vous, c'est nous

Kate et Kevin, opposés mais complémentaires
Kate et Kevin, opposés mais complémentaires

On s'aperçoit très rapidement que la série n'est pas forcément ambitieuse en termes de moyens matériels ou d'acteurs. Sa réelle richesse est ailleurs : celle de prétendre à un message universel sur le sens de la vie. L'aspect sensationnel est délaissé au profit d'histoires simples, destinés à toucher intimement et émotionnellement chaque spectateur. Le titre se prête d'ailleurs à une double lecture : this is Us , "c'est nous" ou bien "ceci est les Etats Unis (United States)". Mais c'est l'interprétation "nous" qui retient plutôt mon attention, un "nous" qui s'adresse à chacun d'entre nous. Et pourtant, la famille Pearson n'est pas une famille ordinaire, mais plutôt une sorte de famille modèle, à l'instar des Ingalls, pétrie de bons sentiments. Les nuances abordées font que le processus d'identification fonctionne plutôt bien, puisqu'on arrive à s'y retrouver peu ou prou dans l'éventail des sentiments abordés. Chacun des quatre personnages promet toutes sortes d'identifications possibles et permet d'emblée d'explorer de grandes questions thématiques :

  • Jack : incarné avec brio par Milo Ventiglia, le personnage de Jack se révèle fascinant. Je crois que depuis Charles Ingalls de "La petite Maison dans la prairie", je n'avais jamais vu une telle incarnation d'un père de famille aussi parfait, aussi charismatique et emblématique. On pourra désormais parler de Jack Pearson comme l'archétype du père de famille modèle et de l'époux parfait. Il met la barre à un niveau rarement atteint en proposant l'image d'un père que chaque enfant rêverait d'avoir, d'un époux que chaque femme mériterait de connaître. Il est un modèle d'abnégation et d'acharnement au travail afin d'offrir à sa famille tout ce dont elle a besoin. On aborde avec son personnage les problématiques du jeune couple découvrant les aléas de la paternité : l'éducation des enfants doit se conjuguer avec les contraintes d'une vie professionnelle. On y verra les difficultés de maintenir l'unité et le désir dans un couple face à ce que l'on peut nommer l'usure du temps, mais aussi la façon de gerer les difficultés de communication, les concessions et les gages d'amour, de quelle façon continuer à vivre tout en ayant renoncer à une partie de ses rêves. Jake et Rebecca semblent un modèle à la fois réaliste par les crises qu'ils traversent durant toutes ces années et à la fois trop parfait par la manière dont ils parviennent à les surmonter. Interprété par Mandy Moore, Rebecca est un rôle féminin particulièrement fort : elle a renoncé à ses rêves de gloire en tant que chanteuse, pour s'occuper de son couple et élever ses enfants. Au bout d'un moment, elle en vient à se poser la question de savoir s'il est encore temps de les réaliser.
  • Kate: interprété par Chrissy Metz, Kate est l'archétype de l'obésité telle qu'on l'imagine aux Etats Unis. Avec elle, ce sont les difficultés d'entreprendre une relation sentimentale, dans laquelle le sexe a toute sa place, qui sont abordées. Cette dimension prend le pas sur les difficultés relationnelles en général et tout ce qu'elles entrainent : difficultés à perdre du poids, à trouver un emploi, pression sociale liée à l'image que l'on renvoie. Dès le 1er épisode, l'exposition du personnage ne laisse guère de doute : Chrissy Metz s'expose toute nue et se pèse sur une balance. On découvrira que les raisons de cette obésité sont autant psychologiques que physique : Kate a été traumatisé par la mort de son père, dont elle se sent responsable, et dont elle a du mal à parler.
  • Kevin : interprété par Justin Hartley, le frère de Kate est d'emblée présenté comme très proche de sa soeur. En plus de s'occuper de sa carrière, Kate est sa confidente et son soutien. Chacun des deux ne pourra évoluer que lorsqu'ils réaliseront qu'ils doivent s'affranchir l'un de l'autre. Ses problèmes physiques sont à l'opposé radical de ceux de sa soeur, puisqu'il réponds à certains canons de beauté masculins. Acteur à succès dans une sitcom, il prends soudainement conscience que son succès provient davantage de son physique plutôt que de ses qualités de jeu. A partir de là, il se mettra en quête de prouver son talent sur les planches en se débarrassant du personnage de Mandy qui l'a rendu célèbre. Mais c'est surtout son rapport avec la gent féminine qui est disséqué ici. Collectionnant les aventures, sa recherche de reconnaissance professionnelle se mêlera à celui de l'amour véritable, comme si, en fin de compte, chercher le sens de sa vie revenait à savoir reconnaître la véritable valeur des choses.
  • Randall : interpreé par Sterling K. Brown, Randall représente la caution Black de toute série américaine qui se respecte. On aborde avec lui de façon intelligente les deux extrêmes de la société : d'une part, il rerésente l'image d'un homme de couleur qui a parfaitement et pleinement réussi sa vie professionnelle et sentimentale. D'autre part, lorsqu'il retrouve enfin William, ce père biologique qui l'a abandonné, il réalise que celui-ci est un ancien toxicomanne qui vit très pauvrement. La rencontre de ces deux extrêmes sera liée au désir de se comprendre mutuellement : quelles sont les raisons qui ont poussé William a cet itinéraire de vie, qui l'a conduit à cet acte d'abandon. Ce récit entre les deux hommes est exploité de façon délicate et toujours empreint d'une émotion palpable.

La série s'appuie sur ces personnages, autour desquels gravitent toute une galerie de caractères, chacun avec ses forces et ses faiblesses, pour brosser un panorama qui prétend à l'universel : comédien, chanteuse, homme d'affaire, ouvrier, toxicomane cabossé par la vie, célibataire ou en couple, riche ou pauvre, gay ou hétéro, laid ou beau, avec ou sans enfants. La panorama est quasi-exhaustif.

 

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Les incroyables transformations de Jake à travers le temps

III. Le concept de Dramédie

Randall et William, gros temps fort émotionnel
Randall et William, gros temps fort émotionnel

Avec tout ce que je viens de dire, on pourrait penser qualifier This is Us de mélodrame, si ce n'est que cette série nous réserve par moment de tendres et de vrais moments de sourire, véritables respirations qui suintent d'un bonheur simple auquel chacun aspire. Puisque j'ai parlé plus haut du titre, de mon côté, j'aurai personnellement pu baptiser cette série "Amour". En effet, outre qu'on y déclare "Je t'aime" à chaque épisode, le sentiment amoureux est disséqué avec une précision toute anatomique, comme je crois ne l'avoir jamais vu auparavant. On y parle de l'Amour avec un grand A, celui entre un homme et une femme (Jack et Rebecca), de son évolution et de ses crises à travers le temps, des épreuves qu'ils doivent traverser. L'Amour se cherche  (Kevin), se pose des questions sur la séduction (Kate), sur la confiance à accorder à l'autre (Kate, Rebecca) Mais aussi de l'amour qui se reconstruit après un deuil ( Rebecca, Randall, et tous les personnages de façon générale), de l'amour homosexuel ( William), de  l'amour parental, (Jake et Rebecca, mais aussi Randall et William), de l'amour fraternel (relation fusionnelle entre Kate et Kevin).

A côté de cette analyse quasi-scientifique du sentiment amoureux, la série questionne son pendant funeste, en questionnant les comportements face à la mort, et s'attache plus particulièrement au phénomène du deuil. Elle propose ainsi des itinéraires plus sombres, qui parlent de solitude, de maladie, de drogue et de mort. Si elle sera certainement plus développé dans la saison 2 avec Jack, cette notion de deuil est ébauché avec William, le père biologique de Randall. La dramatisation accentue l'aspect inévitable de sa mort, annoncé très tôt, et auxquels les personnages ne font que se préparer longuement durant une bonne partie de la saison. Quant à elle, Kate semble porter un douloureux sentiment de culpabilité face à la mort de son père. Cette mort, soudaine et inattendue à l'inverse de celle de William, prévue et qui donne le temps de s'y préparer, est vécue comme un véritable traumatisme. Comment continuer à vivre après la disparition d'un être tendrement aimé, toujours trop tôt enlevé, et comment lui rendre hommage et honorer sa mémoire sont des questions traitées avec délicatesse. La thématique du deuil est abordée de manière très subtile en essayant d'englober le plus largement possible la palette émotionnelle, notamment à travers deux figures de père: Jake et William. Radicalement différent par les effets qu'ils génèrent, les signes de tristesse sont enfouis, et éclatent parfois; ils ne se traduisent pas forcément par des larmes, mais par de toutes petites chosesEn cela, "This is Us" semble proposer des solutions, nous dire qu'au final la vie continue, avec ses bons et ses mauvais moments, et surtout, comme toujours, ses remises en questions. Kate se cherchera, et explorera de multiples voies, Kevin et Randal n'hésiterons pas à quitter un certain confort de vie et à repartir vers des horizons nouveaux, quoiqu'incertains.

Même si j'ai parlé de modèle familial par excellence, aucun personnage n'est pour autant parfait. C'est d'ailleurs une espèce de morale générale qui s'en dégage : nous ne sommes pas parfait dans notre vie, mais il faut pourtant essayer et faire de notre mieux pour s'en approcher. On a parlé des pistes peu exploités pour certains personnages, comme les efforts de Kate pour perdre du poids : régimes drastiques et séjours dans des centres spécialisés. Pourtant, même si ces pistes peuvent paraitre un peu trop facilement exploitées, rien n'est vain puisqu'on apprends que l'obésité morbide dont elle souffre est produit par le deuil de son père, par un sentiment de culpabilité à cet égard qu'elle renferme au plus profond d'elle et dont on peut voir toutes les difficultés qu'elle éprouve à l'exprimer verbalement.

Enfin, ces analyses sentimentales, si l'on peut dire, sont tout de même ponctuées de sourires et même de rires, véritables bouffées d'air frais sans lesquelles cette fiction risquerait d'être un peu indigeste. Afin de baptiser cette forme savante mêlant drame et comédie les américains ont crée un nouveau genre : La dramédie. C'est un concept qui, je dois l'avouer, fonctionne assez bien sur le spectateur qui passe constamment du rire aux larmes. Ces transitions sont finalement à l'image de la vie : imprévisibles et nécessaires.

 

Jake et Rebecca forment un modèle de couple fascinant
Jake et Rebecca forment un modèle de couple fascinant

Conclusion

La série est une leçon de vie autant qu'un miroir pour nous même. On y passe du rire aux larmes, jalonnés de moments de tendresse et de doutes. Qui ne peut honnetement se reconnaitre dans les crises que traversent le couple de Jake et Rebecca ?  La scène de l'épisode final est en cela extraordinaire : filmé en un plan séquence tout théâtral, elle permet de donner la pleine mesure de la qualité de jeu des comédiens. Elle n'est pas sans m'évoquer certaines scènes poignantes des "Noces barbares" de Sam Mendes, dans lequel les scènes de couples sont filmés de la même manière entre Léonardo DiCaprio et Kate Winslet. Au final, je dirais que "This is Us"a représenté pour moi cette année une sorte de bouffée d'oxygène. Elle fait du bien au moral, et nous conduit à nous interroger sur le sens de notre vie. Il est possible de faire une introspection avant ou après 36 ans, mais par dessus tout, il est nécessaire de la faire, de nous questionner sur nos choix de vie, sur nos situations et sur nos rêves. Au delà de moi, ceux qui ont des rêves, qui souffrent ou ont souffert, qui ont perdus des êtres chers ou qui se sont battus pour s'affirmer dans leur vies se reconnaitront fatalement dans l'un ou l'autre des personnages de"This is US"

"Ce n'est que le début" lance de façon tragique Jack à la fin du dernier épisode de cette saison 1, comme si la famille Pearson n'avait pas fini de tout nous dire. Je suis personnellement impatient d'attendre la saison 2, puisque je viens d'apprendre que Sylvester Stallone lui-même devrait participer à un épisode, retrouvant ainsi Milo Ventiglia, alias Jake, qui tenait le rôle de son fils dans le superbe "Rocky Balboa".La présence de Stallone dans une série relevant de l'exceptionnel, il est assez probable qu'il y assènera une belle leçon de vie dans le cadre d'un de ses célèbres monologues dont lui seul a le secret.

Commentaires
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2 Responses

  1. Anne Lacaze
    | Répondre

    J’adore…. Mon plus grand regret et de ne pas avoir pu la voir en entier…

    • Yannick
      | Répondre

      Merci ma plus fidèle lectrice….La saison 1 mérite d’être vu jusqu’au bout, avec un paquet de Kleenex à portée de main cependant…

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