Okja

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Depuis toujours, ceux qui me connaissent le savent, j’ai une passion pour les animaux, un amour indicible inversement réciproque à la haine féroce que m’inspirent tous leurs tortionnaires. En tant que cinéphile et cinéaste, cela explique une sorte de véritable passion irraisonnée que j’entretiens pour tous les films mettant en scène les animaux, pour ce genre de belles histoires pétries de bons sentiments dans lesquelles l’amitié entre l’homme et l’animal est mise en valeur de la plus belle des manières. J’emploie le terme « irraisonnée » à dessein, car il apparait évident qu’il ne faut pas toujours juger de la qualité cinématographique de ces œuvres à l’aulne de leur sujet. Toutefois leurs visionnage vient régulièrement exsuffler une véritable bouffée d’air frais qui regonfle mon existence d’une bourrasque d’optimisme bienheureux et salutaire. Pour le dire autrement, j’aime ces films pour le bien au moral qu’ils procurent. Dans ce registre, Okja est une énorme surprise car le film de Bong Joon Ho contrevient à l’ensemble de toutes les normes existantes et convenues propre à ce genre. A mes yeux, il s’agit tout bonnement d’un véritable film de rêve. J’ose même l’affirmer : c’est à mes yeux l’un des meilleurs film de ce réalisateur, en tout cas celui qui m’a le plus touché émotionnellement. Pour d’autres, cependant, il va être très difficile de penser que cette production atypique a été réalisé par le même auteur que Memories of Murder ou encore Mother.   

Si j’utilise les expressions « film de rêve », ou bien encore « film rêvé », c’est à dessein et pour plusieurs raisons : 

Tout d’abord, il aborde le thème, terriblement important et tellement cher dans ma vie, de la protection de l’environnement, et plus particulièrement de la défense de la cause animale. Il amène cette thématique à un niveau jamais atteint jusqu’alors à ma connaissance, puisqu’il mêle, sans ambiguïté aucune, critique virulente de la société de consommation capitaliste et véritable pamphlet provégan terriblement explicite. 

Ensuite, le film est réalisé par Bong Joo Ho, qui est devenu, depuis The Host, un de mes réalisateurs préférés. J’ai découvert le cinéaste sud-coréen lors de mon concours d’admission à l’ESAV, et j’entretiens depuis lors un rapport sentimental tout particulier autant avec l’auteur qu’avec son œuvre. Je me souviens encore de cette épreuve qui consistait à devoir analyser la séquence d’introduction de The Host. J’ai d’entrée été séduit par la manière dont les questions environnementales y étaient exposées. Si on prend la peine de s’y attarder, chacun des films de cet auteur questionne un aspect sociétal, politique, et provoque une véritable prise de conscience des enjeux environnementaux à l’échelle de la planète.

Enfin, Okja propose un mélange de genre propre à son réalisateur dont personne ne peut raisonnablement sortir indemne. Ce film touche chacun de ses spectateurs en les amenant à se questionner sur leur rapport à la société, sur leurs habitudes et leurs consommation de viande, et plus largement, le sujet éveille les consciences sur le sort réservés aux êtres sensibles. L’étendue de ces réflexions, qui ne manqueront pas d’alimenter les débats à l’issue du film, devraient finalement à mon avis, constituer l’essence même de toute grande œuvre cinématographique. 

Okja et Mija

I. Le premier véritable grand film d’aventure ProVégan.

Le FLA – Front de Libération des Animaux

La première surprise du film provient certainement du traitement de son sujet. Le film conte en effet l’histoire d’amitié entre une petite fille, Mija, et une nouvelle espèce de cochon transgénique crée par un grand groupe alimentaire du nom de Mirando, qu’elle baptise Okja. Lorsque la multinationale, après 10 ans, décide de reprendre l’ensemble des animaux, Mija n’aura pas d’autre but que de sauver son amie. Ce faisant, elle croise la route du FLA, le célèbre Front de Libération des Animaux qui l’aidera dans sa quête désespérée.

Ce pitch laisse entrevoir une œuvre dont le public cible semble être celui du noyau familial par excellence. En proposant une histoire dont l’héroïne est une petite fille, il peut même apparaitre plus spécifiquement à destination des jeunes enfants. Pourtant, à y regarder de plus près, rien n’est moins certain et je pense justement qu’un des questionnements qui se pose avec Okja est celui concernant la nature du public auquel il s’adresse. J’y reviens plus en détail ci-dessous. 

Le film peut ainsi s’appréhender comme une sorte de fable, ou encore comme une espèce de contes de fées moderne. Jusqu’à présent, le seul film qui me vienne à l’esprit et qui s’en rapproche est le sublime Babe, le cochon devenu fermier de Chris Noonan, et dont j’aime à rappeler que le scénario est de Georges Miller. J’en apprécie particulièrement le ton poétique, qui permet de faire passer des messages très explicites, en touchant la fibre émotionnelle des spectateurs. Le film fit une telle impression sur son acteur principal, James Cromwell, que celui-ci arrêta tout net de manger de la viande. Cependant, là où Miller et Noonan jouent la carte de l’anthropomorphisme en prêtant à leur adorable petit cochon des réflexes de pensées typiquement humain, Bon Joon Ho préfère demeurer dans un univers et des caractéristiques psychologiques qui se veulent plus réalistes. J’emploie à dessein le verbe « vouloir », car il me faut ici revenir sur deux séquences essentielles du film, et qui encadrent géographiquement l’histoire elle-même en se situant au début et à la fin du film. 

  • La première a lieu dans la première partie du film. Au cours d’une ballade, Mija bascule dans un ravin, seulement soutenue par une corde. Alors que l’issue semble inévitable, Okja fait alors preuve d’une véritable reflexion et exécute un sauvetage spectaculaire. Okja est donc présenté ici comme un être pensant, capable d’émettre un véritable raisonnement stratégique pour sauver son amie humaine. Une autre fonction de la séquence consiste à poser d’entrée et de manière définitive les liens sacrés qui unissent l’animal et l’enfant. Cela ne peut que venir renforcer l’idée que Mija brave ensuite tous les dangers afin d’aller délivrer son ami, qui l’a lui-même sauvée auparavant. 
  • La deuxième séquence se situe à la toute fin du film. Entre les deux, il est à noter que les caractéristiques relevant de l’intelligence ou du raisonnement d’Okja ne sont plus exploitées ni montrées. Sacrifiant au happyending, Bong Joon Ho permet à Mija de retrouver et de libérer Okja d’un abattoir géant. La manière dont le réalisateur filme le chemin qui les mène à l’extérieur, le cadre donnée à l’image et la lumière très crue qu’il choisit, tout évoque alors irrésistiblement la vision des camps de la mort nazi. Les grillages évoquent ostensiblement les camps funestes d’Auswitch ou de Dassaut. Dans ce contexte, un couple de cochon sauvages, à qui est aussi attribué un comportement anthropomorphiste, fait passer à Okja leur tout petit, afin que celui-ci soit épargné. Le cinéaste vient ici réintroduire de façon explicite et très intelligente le propos végan du film. Souvenons-nous en effet que les campagnes d’informations végan comparent régulièrement encore les usines abattoirs au camps d’extermination nazis. De façon très claire ici, Bon Joon Ho évoque le meurtre de masse envers les animaux. 

Netflix a donné le Final Cut à Bong Joon Ho. Son film correspond donc en tout point au story-board qu’il a lui-même dessiné. Le réalisateur aurait très bien pu choisir une fin plus noire, dont le pessimisme aurait conclu le développement en accord avec son propos critique. Cependant, en choisissant cette fin toute en nuance, Bong Joon Ho préfère voir le message d’espoir représenté par la jeunesse : Mija qui sauve Okja et Okja elle-même qui éduque le jeune orphelin dans une nature paisible retrouvée. 

Un autre message de fin est donné avec la séquence post-générique : en montrant Jay, le chef des activistes du FLA, qui retrouve la liberté, et qui se prépare à de nouvelles actions. Contrairement à Okja et à Mija, qui jouissent d’une sérénité enfin retrouvée, le combat Végan est loin, malheureusement, d’être terminé. Peut-être le véritable final de cette oeuvre se situe en réalité au moment où les lumières se rallument et où les spectateurs retrouvent leurs existence et leurs vie, peut-être ce moment-là les découvrira-t-il avec leurs perception de ce monde réel passablement modifié par ce film, et peut-être ce changement sera-t-il assez important pour qu’eux-mêmes soient prêt à devenir, peu ou prou, de nouveaux éclaireurs de la cause animale et environnementale. 

Jay et K – respectivement Pal Dano et Steven Yeun

II. Bong Joon Ho : L’adéquation entre esthétique et propos.

L’hallucinante course poursuite dans le centre commercial

La question du public cible, dont nous avons parlé plus haut, mérite d’être développé. En effet, les différentes annotations du film stipulent que celui-ci est « interdit aux moins de 16 ans ». Cette limitation est certainement due, à mon avis, au traitement subtil de la violence que propose le réalisateur sud-coréen. Cette violence se décline selon deux axes :

  • L’esthétisme : le film met tout d’abord en opposition esthétique la nature verdoyante des plaines où Okja, Mija et le grand-père vivent un bonheur paisible, à la grisaille et à la noirceur des villes et des industries. Le code couleur conditionne le spectateur, qui n’aura de cesse de retrouver cette nature sereine montrée au début du film. Bon Joon Ho utilise beaucoup de plans larges, afin de montrer combien les personnages sont petits dans l’immensité de la nature. Une nature travaillée avec une colorimétrie très verdoyante, ce qui donne une teinte poétique à ce début de film. On pense notamment à Mon ami Totoro de Myasaki. Cet imaginaire poétique du début est opposé au réalisme cru des abattoirs de la fin du film. 

Cette caméra fixe qui fait l’éloge de la nature, sera donc relayée par une caméra toujours en mouvement lors des scènes de poursuite dans la ville toute grise. Il est à noter que le directeur de la photographie est Darius Khondi, qui travaille aussi avec Mikael Hanneke et Woody Allen. 

L’œuvre  de Bon Joon Ho regorge de scènes d’actions, que le réalisateur filme comme à son habitude avec beaucoup de maestria. Personnellement, je retiens la scène de course poursuite époustouflante réalisée à l’intérieur d’un centre commercial entre Okja, ses ravisseurs et les activistes. Les séquences de ralentis se succèdent en profitant  des mouvements de caméra très sophistiqués, eux-mêmes au service de véritables séquences d’actions chorégraphiées. Cependant, pour Bon Joon Ho, action ne rime pas avec violence. La séquence de la rafle des policiers dans la manifestation de rue est en ce point démonstrative du style voulu par le cinéaste dans son film : les Cuts sont placés avant chaque coup portés, de sorte qu’on ne voit jamais aucune scènes d’effusion de sang. En ce sens, la suggestion de la violence est peut-être autrement plus efficace que la violence montrée en tant que telle. Ainsi, les scènes qui devraient être les plus insoutenables sont filmées d’une manière suggestive, et la plus terrible d’entre toutes est certainement la séquence du viol d’Okja. Même suggérée, je dois avouer que la séquence est difficilement supportable. Pourtant, Bong Joon Ho vient montrer ici l’horrible réalité des inséminations artificielles forcées qui ont lieu dans les élevages, et qui sont, de fait, assimilables à de véritables viols. C’est comme ça que les associations de défenses animales les caractérisent en tout cas. On comprends alors que les premiers spectateurs impuissants du viol d’Okja soient justement les membres du FLA. 

En privilégiant cette esthétique de la suggestion, le réalisateur réserve en fait la réalité de la violence aux scènes de découpe des animaux dans l’abattoir usine de la fin du film. Les véritables défenseurs des animaux le savent bien : c’est dans ces endroits terribles que résident les pires accès de violence commis par l’humanité, et c’est en partie pour cette raison qu’ils sont cachés. Évidemment, cela évoque chez nous les vidéos de l’association L214 prises dans les abattoirs qui font régulièrement la une des médias, en dénonçant toute la cruauté et tous les sévices qui ont cours dans ces lieux.

  • Le propos : Le magazine Les Inrockuptibles a osé une titre provocateur :

« C’est prouvé : le film Okja rend végétarien ». Il explicitait son propos comme tel : « Quelques mois après la sortie du film Okja de Bong Joon-ho, les chiffres du végétarisme et du véganisme grimpent : comment la fiction a supplanté le documentaire dans la sensibilisation aux dangers et conséquences de l’élevage intensif aux États Unis. »

En effet, le discours Provégan du film est implacable, franc et net. Mélanger violence et monde enfantin revient dans l’esprit du réalisateur à montrer la fin d’une certaine innocence associée cette enfance. Pour Mija, cela commence évidement par la trahison de l’adulte, son grand-père, qui, détenteur de la sinistre vérité, a voulu en préserver sa petite fille. La leçon qu’il tente de lui prodiguer sur la dureté de la vie trouve son apogée par le don d’un cochon en or, symbole de la société de consommation. Pourtant, ce cochon en or trouvera son utilité puisque c’est justement par son intermédiaire que la jeune fille parviendra à racheter la vie d’Okja. La quête de la jeune héroïne sera achevée au final du film, puisque l’essentiel, c’est-à-dire Okja, sera sauvée. Cependant, le cheminement pour parvenir à ce sauvetage se révèle d’un gout amer, puisqu’Okja est elle-même une toute petite partie d’un ensemble innombrable, symbolisée par l’étendue du camp de la mort qui s’étend presque à l’infini. 

Enfin, et même si ce n’est pas sa spécialité, je ne peux que souligner l’humour discret de ce réalisateur. A l’image du running gag des sauts en pas chassés de Mémories of MurderOkja montre egalement son humour a travers quelques séquences discrètes : la jeune fille qui fait des selfies tout en étant poursuivie, montrant par la même une critique de notre société de l’image, et la pluie de crottes qui s’abat sur les ennemies, provoquent un sourire salvateur. 

Tilda-Swinton-et-Giancarlo-Esposito, les dirigeants de Mirando

III. Le film qui peut changer le monde

Dr Johnny Wilcox – Jake Ghuyllenghall

Okja se distingue donc parce qu’il constitue à ce jour certainement le film le plus engagé de Bong Joon Ho. 

L’audace de son propos écologique et Provégan ont été malheureusement éclipsés en France par une polémique au Festival de Cannes. Présenté en 2017, Okja est en lice pour la prestigieuse Palme d’Or. Netflix ayant financé le film avait prévu dès le départ de le sortir sur sa plateforme, ce qui ne fut pas du tout du gout des professionnels du cinéma, qui pensent qu’une œuvre cinématographique doit être avant tout destinée à son exploitation en salles. Pourtant, dans d’autres pays, le film est sorti en même temps dans les salles et sur Netflix, sans que cela ne pose le moindre problème éthique, artistique ou financier.  Le point d’orgue de cette polémique fut certainement les paroles de Pedro Amoldovar, président du jury cette année-là, qui déclara : « Je n’envisage pas de donner la Palme à un film qui ne sortira pas en salle ». 

Évidemment, de tels propos soulèvent à mes yeux plusieurs problématiques : 

  • La question de la valeur de la récompense :  l’art cinématographique est tellement soumis aux lois des marchés de production et de distribution que cela conduit à faire ou défaire un film selon des critères étrangers à la nature de cet art.
  • La question de la valeur des films qui sortent sur les plateformes de streamingtelles que Netflix : nous l’avons vu récemment, Martin Scorcese a donné un coup de pied à la fourmilière en montrant avec The Irishman qu’un grand film pouvait être produit par ce biais.

Il serait intéressant d’analyser l’ensemble des arguments propres à chacun de ces points, mais pour moi ici, l’essentiel consiste à déplorer que cette aberration française , osons le terme, a éclipsé les réelles valeurs ainsi que le propos audacieux du film, et qu’en outre, elle ait produit comme conséquence qu’en France, le film n’a bénéficié d’aucune retombées financières. Bon Joon Ho a eu cependant sa revanche avec Parasite en 2019, qui a obtenu la Palme d’Or à Cannes, ainsi que 4 Oscars. 

Il n’en demeure pas moins qu’Okja a marqué l’histoire de Cannes, puisque depuis lors, aucun film ne peut être sélectionné, et même passer au Festival s’il ne sort pas obligatoirement en salle.

Sans conjecturer sur le fait de savoir s’il aurait été récompensé ou non, il est toutefois certain qu’Okja possède d’innombrables qualités cinématographiques. Si j’ai loué l’audace de son sujet, c’est bien sur parce que j’y suis avant tout personnellement sensible. Je crois sincèrement que ce film peut changer le monde en éveillant la sensibilité des spectateurs aux délicates questions traitant de la condition animale. Mais en tant que cinéphile formé à l’analyse filmique, j’essaie de mettre en lumière ce film également parce que je lui reconnais de réelles et indéniables qualités cinématographiques. 

En plus de tout ce qui vient d’être dit, il faut souligner ici le soin apporté à la caractérisation des différents personnages : 

  • Okja : la créature est en effet un personnage à part entière, au même titre que tous les autres protagonistes. Elle peut se définir comme une sorte de mélange improbable entre un cochon et un hippopotame, et cette apparence insolite témoigne à elle seule de la grande qualité des effets spéciaux. En effet, chacune de ses apparitions est extrêmement crédible d’un point de vue visuel. Il est à noter ici que ces effets sont le travail de Erik-Jan De Boer, lauréat de l’Oscar des meilleurs effets visuels pour l’Odyssée de Pi. Okja est intelligente, doté d’une grande sensibilité. Il y a, je l’ai dit, une anthropomorphisme exacerbé dans deux séquences qui encadrent le film. Okja possède un regard volontairement humain, qui vient rappeler qu’il s’agit bien d’un être vivant capable de ressentir les émotions, et à la fin, c’est elle qui murmure doucement à l’oreille de la petite fille. 
  • La petite Mija : Seo-Hyun Ahn explose véritablement dans ce rôle. Si j’ai essayé de montrer en quoi elle symbolise l’innocence, elle n’est pas forcément associée à l’impuissance de changer les choses qui paraissent établies. La véritable leçon du film est peut-être ici : il faut se battre pour ses convictions et pour ce que l’on pense être juste et bon.
  • La directrice de Mirando : admirablement campé par Tilda Swinton . Elle tient un double rôle, comme si ces grands groupes multinationaux possédaient plusieurs visages. Elle est d’ailleurs montrée dans chacun d’eux comme déshumanisé et folle. 
  • Dr Johnny Wilcox : Jake Ghuyllenghall interprète un personnage dont l’excentricité évoque Jim Carrey, que la célébrité a vraisemblablement rendu fou. J’y pense d’autant plus facilement qu’en ce moment Jim Carrey réfléchit aux conséquences psychologiques de la notoriété avec l’excellente série Killing.
  • Jay, le Leader de la FLA : Paul Dano, très charismatique, incarne un leader impliqué et convaincu. Il doit gérer une équipe hétéroclite, parfois d’une main de fer. Au-delà de ses agissements, de ses convictions et de son combat acharné, c’est aussi par son entremise que se révèle la problématique de la délicate sensibilisation des enfants à la condition animale. Je fais référence à la difficile scène du viol, pour laquelle Jay dit à Mija : « Ne te retournes pas, ne regardes pas l’écran». Comme une mise en abime, nous pouvons nous questionner sur la pertinence de montrer le film à de jeunes enfants. On peut revenir ici sur la question que je pose au début de savoir s’il s’agit ou non d’un film à destination des plus jeunes. Il en découle également une autre question essentielle qui est de savoir à quel âge doit-on sensibiliser les enfants à la violence du monde réel et de l’industrie agroalimentaire.
  • Le Grand-Père : nous l’avons dit, il représente l’adulte aimant qui déchire un voile de réalité, à l’image des parents lorsqu’ils dévoilent le secret du père Noël. C’est lui qui montre la voie d’une acceptation présentée comme inévitable. Il symbolise le poids de l’ancienne génération, habituée à ce que les choses restent telles qu’elles. Pourtant, c’est par un singulier objet, ce cochon d’or qu’il offre à sa petite fille lors d’un discours censé résumer le sens et les dures réalités de la vie qu’il faut obligatoirement accepter, qu’Okja sera finalement sauvée. Ce discours marque la fin de cette innocence liée à l’enfance, avec l’affirmation que les adultes sont capables de mensonges. Il résume aussi à mes yeux le comportement de ces gens, bons et gentils de nature, mais qui se voilent la face en se disant et en se répétant que les choses sont immuables. 

Comme je l’ai dit plus haut, Okja précède Parasite, et il succède à Snowpiercer. Cette filiation, qu’il faut garder en mémoire, est importante du point de vue du propos du réalisateur qui accentue, de film en film, un discours critique : 

  • critique de l’industrie agroalimentaire : dans le cas de ce film, la démonstration est ici implacable et acerbe. La société Mirando n’a aucune moralité et ne pense qu’à l’argent. Ce nom de « Mirando » évoque d’ailleurs irrésistiblement à nos oreilles celui de « Mosanto », régulièrement à la une des journaux
  • critique de la société, en proie à la lutte des classes : cela est évident dans SnowPiercer, qui donne à voir l’opposition entre les riches et les pauvres. Dans Parasite, ce sont les petites gens qui volent de façon progressive la place des puissants.  Entre les deux, Okja propose une synthèse en tentant d’expliquer tout ce qui oppose riches et pauvres, petits et puissants. En mettant en scène le combat d’une fillette face à des consortiums géants, il symbolise en réalité le combat d’une humanité encore innocente, symbolisé par cette fillette, face un ensemble déshumanisé et avide, symbolisé par ce groupe informe. Remarquons au passage que dans The Host, il s’agissait également d’une petite fille qui était l’héroïne, et d’un grand groupe déshumanisé qui était à l’origine de la créature. 
  • Critique de la consommation : avec la dénonciation de la production industrielle massive et déshumanisée, le message est évidement qu’il faut réduire, voire supprimer sa consommation de viande. 

A ma connaissance, il s’agit d’un point de vue historique du premier film d’aventure ProVégan, dont les membres du FLA (Front de Libération des Animaux), sont les héros. Ceux que l’on range habituellement sous le terme affreux d’éco-terroristes sont montrés ici sous un jour très  attachants. Paul Dano, dans le rôle du leader Jay, a rarement été aussi charismatique. Et il faut obligatoirement évoquer ici à travers lui le final du film, situé dans une séquence post-générique. En effet, si le destin du FLA est ambigu, la libération de Paul Dano et la perspective de la reprise des activités du groupe veut simplement dire que le combat continue. Il doit obligatoirement continuer, même si Okja retrouve sa sérénité, car au niveau mondial rien n’est encore réglé et surtout rien ne doit être oublié. 

Mija et son grand-père

Conclusion

Okja et Mira

Je ne suis pas naïf au point de ne pas réaliser qu’un film tel que Okja sera essentiellement et véritablement encensé par ceux qui,  comme moi, font des questions du bien-être et de la défense animale des causes prioritaires et essentielles à leurs vies. Je le crois sincèrement : ce film possède le pouvoir de changer le monde. Rarement j’ai vu une telle efficacité dans la manière de montrer la souffrance animale. C’est un véritable pamphlet qui a la capacité exceptionnelle de modifier les consciences et de rendre les gens végétariens. 

Comme je l’ai affirmé dès le début de cet article, le film met en évidence ce que je considère comme le propre d’une œuvre d’art, c’est-à-dire que l’œuvre, en s’adressant à son intimité profonde, doit toucher la sensibilité du spectateur, le transformer et faire en sorte que cette rencontre entre une oeuvre et son admirateur transforme ce dernier. Beaucoup d’auteurs ont oublié cela, beaucoup de réalisateurs ne parviennent pas à ce niveau d’intensité. Le cinéma, comme d’autres arts, est multiple, et je ne désavoue aucunement sa fonction de divertissement. Il s’agit juste pour moi de séparer le film de Bon Joon Ho des multiples polémiques qui peuvent encore lui être attaché afin de lui redonner la reconnaissance artistique qu’il mérite amplement. Il s’agit enfin pour moi de détacher ce film de cette affaire cannoise à laquelle il est fréquemment associé, et de le faire découvrir à la lumière de qualités artistiques indéniables.

J’ai tenté de démontrer ici que le film de Bon Joon Ho devait également s’apprécier au vues de ses innombrables qualités esthétiques. Il parvient sans peine à toucher les fibres émotionnelles de chacun et propose une réflexion pertinente sur eds sujets tellement délicats. Okja synthétise à la fois le style mais le propos du cinéaste à l’aulne de sa filmographe. Il en constitue l’aboutissement idéologique autant que formel. 

Au final, je parie que chacun de nous, comme moi, chérissons le rêve d’avoir un ami comme Okja, et nous pourrions alors lui faire un énorme câlin. 

Bon Joon Ho en train de diriger



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