Mother

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L’allégorie, la métaphore est une proposition de cinéma autant délicate à fabriquer qu’elle est enthousiasmante à analyser. J’ai le souvenir de discussions enflammées sur le final de 2001, l’odyssée de l’espace mais aussi et bien sûr, autour de la conclusion époustouflante du Prisonnier de Patrick Mc Goohan. Ces œuvres ont encore une importance considérable et une présence constante dans ma vie d’aujourd’hui. Il m’arrive très fréquemment de les citer et de m’y référer. Il faut l’avouer, les occasions de voir des propositions expérimentales d’une telle qualité sont extrêmement rares. C’est la raison pour laquelle le dernier film de Darren Aronofsky est comparable à ce joyau étincelant que Javier Barden, dans le film, conserve précieusement. Mother est ,en effet, une véritable expérimentation de cinéma métaphorique, en ce sens que l’histoire que le film raconte n’est absolument pas à prendre en compte sous son sens littéral, sous peine d’être complètement perdu et de déprécier l’œuvre entière, mais au contraire, constitue un terrain propice à l’interprétation. Comme beaucoup, je n’ai eu de cesse de chercher des clef tout le long du film. De par cette nature si singulière, le film a suscité la polémique entre ceux qui confrontaient leurs lectures respectives et ceux qui ne parvenaient pas à en comprendre le moindre sens. A mon humble avis, le cinéma prend tout son sens lorsqu’il parvient à toucher ses spectateur, à les faire réagir et, au final, à les transformer un tant soit peu. Car le message qu’Aronofsky véhicule, quelque soient les différentes interprétations, est une leçon adressée à l’humanité toute entière. Puisque le genre me passionne, je vais tenter également, à travers mon prisme, de proposer modestement les quelques clefs que j’ai pu y trouver et surtout inciter à se pencher autrement et plus longuement sur cette belle œuvre fascinante . 

Le couple dans la tourmente

I. La Bible réécrite

Une affiche, qui évoque à la fois Mère Nature et la dimension sacrée du film

Dans la filmographie d’Aronovsky, Mother se situe directement après Noé, son film biblique autour du patriarche qui affronta le Déluge dans l’Ancient Testament. La thématique religieuse du film, si elle m’apparait évidente, n’a pas échappé non plus au regard acerbe de la critique. L’histoire portée par le film est néanmoins propice à plusieurs autres thématiques, comme nous allons le voir plus loin. Cependant, cette interprétation religieuse est, de loin, la plus explicite et la plus intéressante, de mon point de vue, à analyser.

Le pitch, le sujet du film est assez sobre : « Elle et lui, un couple avec une différence d’âge,  vivent isolés dans une maison au milieu d’une clairière. Pendant qu’«elle » passe ses journées à la réfection de leur maison, « lui », son mari est un auteur qui essaie de retrouver l’inspiration et de produire une nouvelle œuvre. Leur quotidien se retrouve chamboulé lorsque « l’homme », puis « la femme » font irruption successivement dans leur maison. 

A partir de ce point de départ d’une simplicité presque déconcertante, Aronovsky développe un lent cheminement qui va conduire à une invasion progressive de cette maison par une population toujours plus importante et toujours plus disparate et bigarrée à la manière d’un crescendo. Cet aspect paroxystique n’est pas sans rappeler son film le plus célèbre Requiem for a dream. La rythmique de ces deux films est assez comparable dans la mesure où il y a une montée en puissance extraordinaire, soulignée par des Cuts très nombreux qui gagnent en vitesse jusqu’à retomber dans une phase plateau, plus calme, pour mieux repartir ensuite. 

Il faut bien se garder de voir dans cette entreprise un nouveau film d’horreur, comme peut le laisser suggérer la bande annonce. 

D’entrée, il faut s’attarder sur la séquence d’introduction, qui dévoile le final du film mais qui induit aussi que celui-ci se refermera en une sorte de boucle perpétuelle. Le visage brulé de Jennifer Laurence, puis Javier Barden qui pose minutieusement un cristal sur son socle, suivi par la maison brulée qui se reconstitue progressivement et qui renait à la vie. Cette séquence sera reproduite à l’identique au final du film. 

D’un point de vue métaphorique, il est possible de déceler les différentes interprétations suivantes : 

La maison : c’est la Terre, le lieu où Dieu et la Vie accueillent l’humanité. C’est un endroit que le couple essaye de construire, voire de reconstruire. Le premier étage, qui contient le bureau abritant le précieux joyau figure donc le jardin d’Éden, d’où seront chassés Adam et Êve. Le rez-de-chaussée figure la Terre, et le sous-sol représente les Enfers. A plusieurs moments, la maison saigne, représentative de la Terre qui souffre et qui saigne. Des trous apparaissent, comme les crises de la nature. 

Elle, Mother : c’est la vie. C’est le personnage de Javier Barden qui le dit :  « Tu incarnes la vie ». Mother, que l’on peut traduire par Mère évoque ainsi Mère Nature. La violence qu’elle subit des hommes est à rapprocher de la nature qu’on dépouille de ses biens et qu’on épuise.

Lui : le personnage de créateur incarné par Javier Barden évoque Dieu, le Créateur de toutes choses, que ce soit la maison ou Mother elle-même qui semble apparaître au début du film de sous les draps. Cependant, comme nous le verrons plus loin, son personnage peut également se rapprocher de la figure de l’artiste créateur, et peut donc être aussi vu comme un miroir d’Aronovsky lui-même. En tant que Dieu, il adopte une posture divine : il crée et observe sa création. Il apparait constamment en retrait pour observer le monde. Il aime les gens et apprécie tout particulièrement ceux qui lui vouent une sorte de culte. Physiquement, Javier Barden ouvre souvent les bras, en signe évident d’accueil. Lorsque les multiples invités se conduisent mal, il ne les juge pas et est prêt à leur pardonner, au grand dam de Mother. Il symbolise cet amour divin, à travers une figure divine essentiellement défendue par le Christianisme. Je dois avouer ici qu’à aucun moment, je n’ai songé a explorer des parallèles avec d’autres religions, puisque le christianisme étant ma religion, c’est celle que je connais le plus. 

L’homme : le premier visiteur de la maison, Ed Harris, représente le premier homme, Adam. Il est ainsi invité à séjourner dans la maison. D’entrée, il est présenté comme souffrant du poumon, et Dieu annonce que sa destinée est de mourir. Mother remarque qu’il lui manque une côte, ce qui évoque bien entendu la création de la Femme à partir d’une côte d’Adam. 

La femme : Michelle Pfeiffer représente donc Êve. C’est elle qui commet le pêché du fruit défendu, en brisant le précieux joyau. Elle est aussi présentée comme un objet de désir, par les chaudes étreintes qu’elle a avec Adam. 

Les enfants du couple : l’allusion à l’épisode de Cain et de son frère Abel, se jalousant pour le droit d’ainesse et qui conduira l’un a tuer l’autre, est ici assez évidente. La trace indélébile du sang versé sera comme la trace indélébile du pêché, et conduira à explorer la cave contenant la chaufferie. Évidemment, on pense à l’Enfer. Mother y rencontre une grenouille, qui évoque le signe annonciateur des dix plaies d’Égypte, et annonce donc le brasier final. Malgré ses tentatives, Mother ne pourra effacer complètement les traces de ce premier meurtre. Cette chaufferie de la cave renvoie donc à l’imagerie des Enfers, où Mother se réfugie pour détruire l’humanité à la toute fin. 

Les invités : Ils symbolisent tour à tour l’humanité dans une vision la plus pessimiste possible. Guerres et vices, violence, esclavage, sexisme , pauvreté. Les humains prennent possession de la maison, c’est à dire de la nature qu’ils exploitent et épuisent. L’aboutissement revient à tout détruire pour tout reconstruite après. 

Métaphore de la vie d’un point de vue religieux, le film est une parabole de l’histoire religieuse, et, j’en conviens, il faut avoir un minimum de culture religieuse pour en déceler toutes les subtilités. La lecture métaphorique devient alors de plus en plus évidente : Javier Barden garde précieusement un joyau dans son bureau, sorte de fruit défendu dont il est interdit de s’approcher en son absence et qu’il interdit à quiconque d’approcher et de toucher. Ce bureau est le lieu de la création, puisque c’est dans cette pièce que Barden écrit son œuvre.  

Le joyau, présenté au couple comme l’objet le plus précieux de la maison, représente donc le fruit défendu. Après qu’Êve le casse en le faisant chuter malencontreusement, Javier Barden interdira au couple l’accès au jardin d’Éden, son bureau du premier étage, en le barricadant avec des planches. Aronosfsky film alors Barden en contre plongée, au-dessus de l’escalier, ce qui peut évoquer une sorte de Dieu tout puissant se plaçant au-dessus de tout le monde.  Cependant, il leur permettra néanmoins de demeurer dans la maison malgré les injonctions de Mother pour qu’il les en chasse. Il faut remarquer que tout le long du film, Mother n’aura de cesse de demander à Dieu de vouloir chasser les humains, quitte à s’en charger elle-même. A chaque fois, Dieu s’y refuse. 

Michelle Pfeiffer et Ed Harris, en Adam et Eve

Tout le long du film, aucun des différents invités de leur maison ne respecte Mother . Ce manque de respect permanent produit chez le spectateur un effet extrêmement inconfortable, à la limite du dérangeant : on l’ignore, on l’insulte, on la violente. Cela participe à la métaphore : l’humanité n’écoute pas la vie, la provoque et la bafoue. 

Cela est clairement explicite avec la séquence du rebord d’évier. Mother est obligé de conspuer à plusieurs reprises un couple qui s’assoit sur un rebord d’évier en leur expliquant que celui-ci n’est pas complètement fixé et qu’il risque de tomber. Malgré cela, dès qu’elle a le dos tournée, le couple se réinstalle dessus. A la fin, à son grand désespoir, le couple finit même par sauter littéralement dessus en s’exclamant que le bord tient bon. L’évier finit inévitablement par s’écrouler provoquant une inondation. Cette séquence est la métaphore des humains qui provoquent la vie ouvertement, sans tenir compte des avertissements, qui prennent des risques tout en sachant qu’ils encourent des risques et qui finissent au bout du compte par provoquer des catastrophes. 

Une autre séquence marquante est celle au cours de laquelle un autre humain veut profiter ouvertement de Mother. Cela symbolise bien ces humains qui pensent que la vie est un du, et qu’elle leur appartient sans réserve. Dans le même ordre d’idée, d’autres personnages la détestent et certains vont même essayer de la tuer. 

A fortiori, le message est acerbe et virulent : l’humanité est un fléau qui détruit absolument tout ce qu’elle a entre les mains. A plusieurs reprises, Mother tente de construire sa maison afin d’en faire un havre de paix, un Paradis. A chaque fois, les humains arrivent, s’entredéchirent et finissent par tout saccager. 

Le point d’orgue du film se situe certainement au moment où Dieu et la Vie décident de créer un bébé. Ce nouvel élément, Dieu veut le présenter à ses fans, à ses fidèles, c’est-à-dire à l’humanité, contre l’avis de Mother. Ici, aussi, l’interprétation religieuse ne peut pas manquer de voir ici la figure du Christ, livré aux hommes. En effet, comme le Christ, après l’avoir porté en triomphe, les hommes finissent par le tuer. Il faut avouer que le moment où la nuque du bébé est brisé fut l’occasion pour moi de sursauter dans mon canapé. Cela est explicite dans la séquence où le bébé est mangé, littéralement, par ses adorateurs, la « chair et le sang, livré pour vous ». 

Ce drame provoque la séparation, de fait, entre la vie et le créateur. Il s’en suit un déchainement paroxystique de conflits et de scènes de guerres dans un tourbillon incessant et improbable dans l’espace de cette maison. Mother finit par être victime d’un véritable lynchage. Lorsque Dieu l’en extirpe in- extrémis, elle se réfugie à la cave, aux enfers, afin de mettre le feu à la maison et de tout détruire. A force d’être violenté et martyrisée par les humains, la nature finit donc par se venger. 

Le film est une boucle, puisqu’on retrouve la séquence d’ouverture en conclusion du film : Dieu, qui a survécu à l’incendie, extirpe le cœur de Mother et le pose sur un socle, ce qui entraine le reconstruction de la maison et le réveil d’une autre femme, une autre vie. Un nouveau cycle est désormais prêt à débuter. Avant cela, Mother pardonne à Dieu, ce qui peut signifier, toujours d’un point de vue religieux, que la dévotion, que le fait de continuer à aimer Dieu permet de repartir de l’avant et de reconstruire à nouveau. Aimer Dieu quoiqu’il arrive ouvre la voie vers le salut.  

Tel un Dieu qui observe l’humanité en bas

II Les dilemmes de la création artistique

La maison

Sur la forme, le film est donc un huis-clos où l’on ne quitte jamais l’intérieur de la maison. Cette maison apparait comme le lieu de la création par excellence : Mother rénove, reconstruit le lieu pendant que son compagnon est un auteur en quête d’inspiration, d’une nouvelle création. Tous deux, finalement, créent la vie par l’intermédiaire du bébé qu’ils mettront au monde dans leur maison. Chacun de ces aspects créatifs se fait dans la difficulté, dans la douleur. Il faut d’emblée remarquer que chaque issue, c’est-à-dire toute création, sera, au final, voué à l’échec et la destruction. 

Ce processus créatif est indissociable du sentiment amoureux, au point que, mis à mal, la création finale le dévore, le détruit. Au sens littéral, le public des fidèles dévore le bébé à la fin tout comme l’amour entre Mother et Dieu sera lui aussi dévoré tout le long du film par les multiples épreuves que le couple traverse. 

Par bien des égards, il y a un aspect terriblement fataliste dans les messages véhiculés par le film. Nous verrons plus loin de quelle façon ce sentiment amoureux est présenté de façon pessimiste, mais il ne se dissocie guère de l’aspiration artistique créative.

Comme j’ai l’habitude de le faire, il est tentant de voir dans le personnage de l’artiste campé par Javier Barden un double de celui d’Aronofsky. Ce créateur obsédé par son œuvre et par le regard que les autres lui portent fait passer son œuvre avant tout le reste. Assez égocentrique, il sacrifie, en quelque sorte, sa compagne et son enfant au profit de l’amour que les autres lui communiquent.

Il retrouve l’inspiration lorsqu’il apprend que Mother est enceinte. En émergeant dans un même laps de temps, le fruit de leur amour et le fruit de son art produisent l’impression que la création artistique et la vie avancent en même temps, en parallèle. De la même façon, le livre de Javier Barden sort le même jour que Mother accouche. Le bébé symbolise alors le produit de cette création. On a coutume de le dire, l’œuvre produite n’appartient plus à son géniteur mais au public qui se l’accapare et qui en fait ce qu’il veut. Le public s’accapare en parallèle du bébé. Nous même, en tentant d’analyser cette œuvre, faisons de même : nous nous l’accaparons, nous nous l’approprions afin d’y voir et d’en faire ce que nous voulons. Je n’y échappe pas au moment où j’écris ces lignes. 

Sans pour autant préjuger des ressemblances entre le personnage de Barden et du cinéaste, il est parfois bon de voir en quoi l’œuvre nous parle de son auteur. Darren Aronosky est à la fois scénariste et réalisateur et il ne fait guère de doutes qu’il a voulu ici exprimer son pessimisme quant à la douleur d’accoucher d’une œuvre, et de s’en voir dépossédée jusqu’à sa destruction. C’est tout l’itinéraire du bébé dans le film. 

Il expose également la peur qui existe dans la création, notamment dans le fait de s’en trouver privée par un phénomène d’envahissement. Sous cet angle, le message qu’il véhicule apparaît assez terrible : il n’est pas possible de créer sans détruire. En allant plus loin, on peut poser le questionnement suivant : faut-il créer pour donner un sens à sa vie ou pour obtenir l’adulation des autres ? 

Le film est tourné au Super 16mm, ce qui donne cet aspect granuleux à l’image. Aronofsky utilise à merveille le steadycam pour suivre Jennifer Lawrence. L’actrice est filmée constamment à une distance très rapprochée, entre 20 cm et 1 mètre maximum de son visage. De fait, absolument rien, chez elle, n’échappe au spectateur. Pas la moindre de ses micro-expressions. Je crois qu’à part la séquence d’ouverture durant laquelle elle apparait dans l’ouverture de la porte de la maison, elle est très rarement cadrée de plein pied. Elle est omniprésente sur quasiment tous les plans. On suit son point de vue, et chaque information qu’elle reçoit correspond à ce qui est donné au spectateur. Le processus d’identification est total. Jamais jusqu’à ce jour, à mon avis, Jennifer Laurence n’a été aussi parfaite dans un rôle. Elle est totalement investie, voire possédée par son personnage jusqu’à repousser ses limites d’actrices. A l’image de Natalie Portman dans Black Swann, Darren Arronofsky lui a offert ici le rôle de sa vie, l’un des plus marquants. Le réalisateur la place littéralement au centre de son film, c’est-à-dire au centre de ses préoccupations. 

Darren Aronofsky en train de dirigr Jennifer Lawrence

La caméra tourbillonne autour d’elle, toujours extrêmement proche de son corps, de son visage, ce qui accentue le malaise que ressent son personnage au fur et à mesure que le film avance. Toute l’action est vue, perçue de son point de vue, et il y a un véritable travail sonore pour nous faire expérimenter ce qu’elle entend. Cette richesse du travail du son est d’ailleurs perceptible tout au long du film, avec beaucoup de sonorités dérangeantes pour le spectateur : verre qui se brise, vitre qui éclate, bruit de chocs et de coups, etc. Les sentiments induits chez le spectateurs sont ceux que le personnage ressent : peur et oppression. Cet impact physique sur le spectateur n’est pas sans évoquer Rosemary’s Baby de Roman Polansky. 

Si Jennifer Lawrence est sublimée par la caméra, il faut tout de même souligner l’extraordinaire pertinence et l’excellence du reste du casting : Javier Barden excelle dans son rôle de créateur solitaire en quête d’adulation et d’amour du public sans pour autant prendre pleinement conscience des souffrances infligées sur sa compagne. Ed Harris incarne un Adam certes âgé, mais terriblement vrai et sincère. Michelle Pfeiffer est une Êve pleine de sex-appeal. D’ailleurs, elle incarne la femme qui commet le premier péché en s’approchant trop près du fruit défendu, mais aussi celle qui s’accouple physiquement sous le regard perplexe de Mother. Son manque de respect envers Mother est également une chose récurrente et annonciatrice du comportement qu’auront tous les invités par la suite. 

Enfin, sur cet envahissement incessant, il est difficile de ne pas penser à la fameuse citation de Huis clos de Jean Paul Sartre : « L’enfer, c’est les autres ». 

Dans le film, l’artiste créateur est extrêmement dépendant du succès et surtout de l’adulation qu’il suscite chez les gens. Le processus créatif apparait comme un cycle perpétuel, où l’on recommence incessamment, et où l’on commet, finalement, les mêmes erreurs. A la fin, Mother offre son cœur afin que son compagnon puisse créer. Ce sacrifice de soi renvoie donc à l’importance donnée à la relation de couple par le film, comme nous allons le voir. 

Darren Aronofsky

III Les flammes de la passion amoureuse

Un couple face aux difficultés

En plaçant un couple au cœur de son histoire, le film s’apparente donc également à une allégorie autour de la relation de couple. Et une fois encore, il est tentant de rapprocher ce qui est dit ici avec l’itinéraire personnel de Darren Aronofsky, qui vient récemment de se séparer d’avec son épouse, l’actrice Rachel Weisz, avec qui il avait réalisé The Fountain, avant d’entamer le tournage. 

A travers ce prisme, les différentes symboliques peuvent se comprendre de la façon suivante :

La maison : En plus de tout ce que nous avons dit plus haut, elle se présente comme un écrin sacré, un lieu protégé, le foyer où se construit, s’entretient et s’épanouit la relation de couple. Cela explique que régulièrement Mother s’approche des murs de la maison afin d’en ressentir le cœur. Le manque de tendresse, ou tout du moins le manque de complicité amoureuse entre les deux protagonistes est un des éléments qui m’a d’emblée surpris. En effectuant ce geste, Mother vérifie donc régulièrement que son cœur bat toujours pour son compagnon et que ses sentiments sont toujours présents. C’est au sein de la maison que le couple peut naitre ou renaitre à partir de cendres.

Mother subit les souffrances de la maison, et elle ne se plaint pratiquement jamais. Elle est à la fois la femme et la mère, que son entourage rabaisse pourtant continuellement.

Lorsque cela ne va plus, elle boit une sorte de filtre, comme un remède, qu’il est tentant de voir comme une potion d’amour. Lorsque cet amour se concrétise à travers le fait qu’elle soit enceinte, elle jette l’intégralité de son remède dans les toilettes, puisqu’elle n’en a plus besoin. Ce filtre est lumineux, jaune, comme le soleil qui redonne la vie et la force de continuer d’avancer dans son histoire.

Un couple universel : Le fait qu’aucun des personnages ne se voit attribuer de prénoms renvoi à l’universalisme du propos du cinéaste. Aronofsky se sert du personnage de Mother pour parler de la condition féminine en général : la femme au foyer, victime d’abus, de viols, et de violences diverses.

Pendant ce temps, son compagnon Javier Barden invite tout un tas d’invités dans cette maison. C’est d’abord le couple Ed Harris et Michelle Pfeiffer, puis leurs enfants, une famille étrange qui amène avec elle leurs problèmes et qui s’immiscera entre eux. Plus le film avance, plus la célébrité du poète amene une foule de fans plus étranges et plus improbables les uns que les autres qui finiront par créer et par développer tout un tas de problème entre eux. Au final, ce sera cette irruption incessante de gens et de problèmes qui finira par détruire leur relation, et par extension leur maison. Javier Barden sera insouciant de la souffrance de Mother, et ne voit pas à quel point les problèmes extérieur conduisent leur relation à sa perte. Le couple lui-même se mêle des problèmes des autres, ce qui concours aussi à sa perte. 

Lorsque Mother touche à nouveau les murs de la maison, elle s’aperçoit que le cœur est désormais tout sec. Puisqu’il n’y a plus rien à donner, la maison finit par être détruite par cet incendie. Aronofsky propose une fin pessimiste où il n’y a plus rien à sauver du couple, et par extension, de l’humanité elle-même. Il nuance toutefois son propos, car Mother fait don de son cœur, le souvenir de sa relation, sur laquelle Javier Barden pourra en bâtir une nouvelle sur les cendres de l’ancienne. 

Mother vérifie que son coeur bat toujours à l’intérieur des murs de sa maison

Le message d’Aronofsky sur la relation de couple s’éclaire alors : l’histoire entre deux êtres finit par mourir à la suite des ingérences extérieures qu’il ne peut plus gérer. En allant plus loin, on peut aussi en déduire que si un seul s’occupe d’entretenir la relation, comme Mother entretient la maison, pendant que l’autre fait n’importe quoi, le couple ne peut se conforter ni durer. 

Il y a un paradoxe dans cette vision de la relation amoureuse : Mother veut que son compagnon réussisse, mais par la suite elle a peur qu’il lui échappe et que d’autres s’approprient son attention et son amour. 

Ce rapport Échec/ Réussite pose plusieurs problématiques, souligné par le huis clos proposé dans le film : 

  • l’amour peut-il se vivre en dehors de tout ?
  • Le talent et la passion conduisent-ils à détruire ceux que l’on aime ?
  • De quelle façon peut-on partager ses sentiments, entre son amour pour son conjoint, son amour pour ses fans et son amour maternel pour son enfant ?

En tant qu’artiste, ces questionnements me parlent et m’interpellent et je ne peux m’empêcher de penser qu’Aronofsky a du expérimenter également lui-même ces questionnements. Cette thématique du succès et de la célébrité, on la retrouve également dans deux autres œuvres majeures du réalisateur : Black Swann et The Wrestler. D’ailleurs, on remarque aussi que sa technique de montage se fait toujours sans raccord, ce qui a pour effet de perturber encore davantage le spectateur. 

Sur ce plan de la réalisation, l’aspect de l’agression intrusive que subit Mother est souligné par des sonorités, des bruits assez stressants et assez agressifs, comme des verres qui se brisent, des éclats, qui finiront par se transformer en explosions dans un climat apocalyptique final. La musique est donc assez absente du film, au profit d’un travail sur les sonorités assez poussé. Ces sons deviennent encore plus obsédants lorsqu’Aronofsky choisit de les exploiter en écho lorsque Mother commence à ressentir des malaises. 

Enfin, Aronofsky présente la vie et la relation de couple sous un aspect cyclique :  on recommence toujours les mêmes erreurs, et c’est ce que s’apprête à tenter Javier Barden avec une autre femme à la fin du film. 

Les ruines finales

Conclusion

Un couple peut’il durer ?

Évidemment, Mother déconcerte beaucoup de ses spectateurs, surtout ceux qui prennent son histoire au sens littéral nous l’avons dit. Il faut pourtant se garder, selon moi, de toute tentative de voir ici un cinéma hermétique et élitiste. Je pense sincèrement que les clefs de compréhension sont assez aisément décelable et les détails qui pullulent dans les différentes séquences sont propices à interprétation et émailleront les débats de moments passionnants. Évidemment, il faut avoir un minimum de culture religieuse pour comprendre la nature de certaines de ces clefs, mais comme nous l’avons vu, la grande force d’Aronovsky est de proposer différents autres niveaux de lecture, des affres de la création artistique jusqu’au difficultés de la relation amoureuse. 

Ces messages sont suffisamment importants pour le cinéaste pour qu’il les diffuse comme un message d’alerte, d’où, peut-être, ce point d’exclamation dans le titre qui fait couler beaucoup d’encre. Aronofsky a d’ailleurs lui-même déclaré que ce point d’exclamation reflétait le message de son film, c’est à dire le caractère d’empressement de l’avertissement qu’il développe. 

Dans un univers cinématographique plutôt généralement lisse, Mother provoque de saines réactions : des interprétation diverses, des analyses multiples, des débats passionnels. Un personnage dans le film parle d’une œuvre qu’il a écrite pour tout le monde et que chacun peut interpréter à sa manière. Le film d’Arren Aronofsky n’est pas autre chose, puisque chacun peut effectivement l’interpréter à sa façon et se l’approprier. C’est ce que je propose modestement ici. C’est ce genre de cinéma que j’aime, qui me fait vibrer et que modestement, par l’intermédiaire de ce blog, j’essaye de partager en invitant chacun à le découvrir et à, je l’espère, l’apprécier. 

Au centre du brasier final
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