Dr Foster

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J'ai toujours beaucoup apprécié les séries anglaises. Elles se démarquent par leur charme inimitable, un gout exquis, une certaine folie selon laquelle tout serait permis. En un mot, elles ont du panache. D'ailleurs la meilleure série du monde n'est elle pas anglaise ? J'ai d'abord pensé, comme une évidence, consacrer ce premier véritable article, après le traditionnel message de présentation, au "Prisonnier" et à Patrick Mc Goohan. Ce chef d’œuvre visionnaire qui représente tellement pour moi. Cela se fera, obligatoirement, mais plus tard, plus souvent, et régulièrement d'ailleurs, car il est tellement bon de parler de cette légende. "Le prisonnier" fait partie des Classiques, de ce que l'on pourrait appeler l'Age d'Or des séries anglaises, cette époque bénie qui a produit des titres aussi inoubliables que les produits eux mêmes, comme "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" ou "Amicalement Votre", pour ne citer que les plus célèbres, auxquelles j'ajouterai, bien sur, "Destination Danger" avec Patrick Mc Goohan.
Jusqu'à aujourd'hui, j'ai eu le sentiment que ce style inimitable se fut perdu, tant le modèle général prend une forme moderne obéissant à ses propres codes. La seule exception, et non la moindre, fut le sublime "Poirot', qui s'étendit sur 13 saisons et qui sera toujours une démonstration éclatante du processus d'incarnation avec le jeu d'acteur de David Suchet dans le rôle titre.
Ce soir pourtant, j'ai ressenti un choc devant une nouvelle production en provenance d'outre-Manche. Il faut dire que depuis l'année dernière, on assiste à un véritable renouveau des série anglaises, qui démontrent la puissance de feu des scénaristes. On a eu droit à l'excellent "In the flesh", qui revisite la thématique Zombie d'une façon décalé, surprenante et finalement très intelligente, puis à "Prey", minisérie époustouflante de 3 épisode sur le thème du faux coupable, à "The Missing", véritable concentré de suspense dont le plaisir est accentué à la vue du décor français et des prestations fantastiques de James Nesbitt et de Tchéky Karyo. Fort de l'éclosion de ces séries, on aurait du être préparé. Mais rien ne pouvait me laisser imaginer ce que ce "Dr Foster" nous propose aujourd'hui.

Parler d'une œuvre, la présenter pour essayer de l'analyser, peut se révéler une tache assez difficile si l'on ne veut pas "Spoiler". Et il faut dire que la subtilité de l'écriture est telle, que déflorer l'histoire serait vraiment dommageable. Je me contenterai du pitch, qui est de toute façon sublime : une famille heureuse bascule au moment où l'épouse  soupçonne son mari de lui être infidèle. Une histoire mille fois ressassée. On ne peut pas faire plus banal, plus plat. Les auteurs ont poussé le cliché à l’extrême : le doute survient lorsqu'Emma Foster trouve un long cheveux blond sur l'écharpe que lui a prêté son époux le matin avant d'aller travailler. On se croirait dans un vieux vaudeville sans imagination. Et pourtant, le traitement que nous propose la série est une totale réussite, sur tous les points, avec une tension et des rebondissements incessants.

I. Un beau portrait de femme paradoxal

A. "A un cheveu près"

L'expression "A un cheveu"n'a peut-être jamais aussi bien mérité d'être employé. Car pour Gemma Foster, épouse et mère apparemment comblée sur le plan personnel, femme épanouie sur le plan professionnel jouissant du statut de médecin, tout commence par la découverte d'un cheveu blond inconnu sur l'écharpe de son mari. Ce cheveu est le grain de sable par lequel tout bascule dans cette vie sage et bien ordonnée. Cette image-cliché si souvent utilisé et galvaudé, la série va la prendre à son compte jusqu'à le sublimer et va même la pousser à un niveau jamais atteint auparavant. En effet, tout le scénario explore un mouvement de crescendo qui va faire chuter peu à peu tous les éléments de la vie de l'héroïne, un peu comme une cascade de dominos, au rythme des décisions, des actions parfois incontrôlées, guidé par un flot d'émotions, par une recherche de la vérité et, bien sur, par un désir de vengeance. C'est l'histoire d'une spirale auto destructrice, alimentée par une paranoïa qui ne connaitra plus de limites.

Dr Foster Miroir

B. Une femme exemplaire

Exemplaire, Emma Foster l'est à plusieurs titre. Premièrement, parce que ce personnage est atypique dans sa façon de réagir à certaines situations. En effet, si elle se montre terriblement humaine et vulnérable à ce qui lui arrive, elle garde une force de caractère hors normes lorsqu'il s'agit de palier presque tous les autres cas de figure. Elle n'hésite pas à menacer le petit ami d'une patiente, arguant de son statut de médecin ou monnaye des médicaments en échange de filatures

Mais le désespoir craquèle cette force de façade, qui laisse la place à une femme vulnérable, blessée, dont la souffrance sombre finit par inquiéter. En effet, le comportement de Gemma va atteindre des sommets à mesure que tout s'effondre autour d'elle. Intelligente, c'est dans sa propre faiblesse que Gemma Foster trouve sa détermination et la force nécessaire pour réagir.

Ce qui nous amène au deuxièmement : le jeu de Suranne Jones, qui incarne avec une conviction sincère le rôle de Gemma Foster. Car la série doit beaucoup à son interprète principale, une inconnue en ce qui me concerne. Suranne Jones vient du théâtre, je le souligne car je ne peux m’empêcher de songer à tout le travail qui a du être le sien pour s’imprégner de son personnage. Elle porte la série de bout en bout, et son jeu est parfait d'humanité et de réalisme. J'ai d'ailleurs appris qu'elle avait reçu des prix, récompensant légitimement son incroyable performance.

Dr Foster voiture

II. Un accord entre forme et fond

A. Un modèle central

Jusqu'ici, je pensait que "The Affair"constituait la série ultime concernant les thématiques diverses de l'infidélité dans un couple, de l'usure du temps sur l'amour, de la naissance ou renaissance des sentiments, et sur les conséquences psychologiques de ceux qui le vivent et de ceux qui le subissent. Personnellement, j'ai même rebaptisé cette série "Anatomie du couple". Pourtant, la où la série américaine s'embarrasse d'une histoire policière, avec meurtre et enquête, la série anglaise fait le choix de rester focalisé sur son sujet : les doutes, comme une torture incessante, et les multiples conséquences psychologiques qui se développent chez Gemma Foster. La série explore de façon très méticuleuse la psychologie d'une femme désespérée. L'enquête que l'on suit ici n'est pas policière. Et pourtant, il faut nuancer cet argument. En voulant confirmer ses soupçons, Gemma déploie de véritables méthodes d'investigations : filature, surveillance téléphonique, interrogation de témoins. Tout ceci construit progressivement une ambiance paranoïaque, accentuée encore à chaque fausse piste.

Finalement, le seul aspect sur lequel on peut se méprendre sur cette série est son titre : Dr Foster. Car il ne s'agit pas d'une série médicale. Si certaines séquences ont effectivement pour décor son cabinet médical, on ne déambulera pas ici dans des couloirs d’hôpitaux. Pourtant, certains aspects de la profession sont subtilement amenés : le respect de la déontologie, et notamment celui du secret médical. Le choc irraisonné qui la submerge fait accomplir au Dr Foster des décisions discutables : elle ira jusqu'à briser le code de déontologie médical, brisera le secret professionnel et en subira les contrecoups. C'est apparemment un choix assumé par Mike Bartlett, qui se sert des dérives professionnelles de son héroïne afin d'illustrer à quel point elle est ébranlée par la découverte de la vérité, ses doutes et la colère qui la ronge.

Dr Foster 2

B. Un modèle formel ahurissant.

Comme je l'ai dit plus haut, le jeu d'acteur de Suranne Jones est de très haut niveau. Mais il me faut ajouter ici que c'est une réalisation audacieuse qui lui permet de s'exprimer intégralement. En effet, la réalisation prend le parti pris formel de s'attacher aux pas de Gemma Foster. On la suit dans tous ses déplacements physiques, mais aussi dans tous ses chavirements intérieurs. La caméra se fait très proche d'elle, à la limite du plan macro parfois, puisqu'on suit un regard ou un effleurement de main. Toutefois, la vision ne se veut jamais impudique et, en étant judicieusement placé à l'intérieur de séquences, contribue au rythme de la série. Mais la caméra pousse encore le processus d'identification avec l'héroïne jusqu'à adopter son point de vue. Par exemple, si la vision des évènements par Gemma est floue ou parcellaire, alors le téléspectateur verra aussi une vision floue ou parcellaire, ce qui l'amènera bien évidemment à se retrouver dans le même schéma mental que l'héroïne. On peut parler ici de traitement visuel empathique.

La réalisation va pousser ce parti pris esthétique jusqu'à son paroxysme, en créant de véritables séquences visuelles à couper le souffle. C'est un exercice de style que j'affectionne et que j'admire : raconter par les images une chose totalement différente de l'action en cours. "Le Prisonnier"a exploité de façon merveilleuse ce principe, où les dialogues violents tranchaient très régulièrement avec l'action en cours. La séquence la plus emblématique de "Dr Foster" est celle de l'anniversaire de Tom, le mari de Gemma. Cette seule séquence est à mon avis un chef d’œuvre de réalisation : pour les différents personnages, l'ambiance générale est à la fête mais on suit cependant Gemma dans ses doutes intérieurs. Cette "tempête sous un crane" est marqué par une altération du son, qui isole l'héroïne au milieu de la multitude. Les images et le son semblent nous raconter la violence psychologique ressentie par l'héroïne de l'intérieur, ce qui crée un malaise sensible pour le spectateur, indépendamment de tout ce qui se passe autour. Cette séquence est à elle seule un chef d’œuvre pour les sens.

Dr Foster mari

III. Entre dits et non-dits.

A. Une parole déniée

Peut-être est ce du au fait que j'écrive moi-même des scénarios, mais j'accorde toujours beaucoup d'importance aux dialoguistes. Là où j'aurais pu m'attendre à de grandes envolées, ce "Dr Foster" se démarque intelligemment de l'oral pour redonner une place prépondérante au langage audiovisuel, comme nous l'avons dit plus haut. L'originalité de la situation de l’héroïne, c'est ce manque de dialogue franc avec Tom, son époux, malgré les perches qu'elle ne cesse de lui tendre. De ce fait, on ne tarde pas à s'apercevoir que ces non-dits, qui contribuent à nourrir son désespoir, ont pour corolaire les multiples confessions que Gemma fait à son entourage proche, ou moins proche d'ailleurs. En effet, Gemma se confie, parle beaucoup et régulièrement de sa situation. Ses doutes, ses craintes, son trouble intérieur trouvent des oreilles compatissantes chez ses amis mais aussi chez des patients, voire chez des quasi-inconnus. La deuxième séquence à ne pas manquer, outre celle de l'anniversaire de Tom évoquée plus haut, est certainement celle du repas dans l'épisode final. En effet, on sait que la période du repas est socialement un moment où la parole alimente l'atmosphère. Ici aussi, la série le porte à une intensité incroyable. Je pense beaucoup à "Automne et Hiver", splendide pièce de Théâtre de Lars Noren, qui explore les rituels du repas familial. J'ai eu l'occasion de voir cette pièce il y a quelques années au théâtre Garonne de Toulouse, et j'ai été vraiment fasciné par la façon dont l'auteur danois utilise la fonction du repas familial comme outil qui révèle la parole. En faisant exploser le discours, chaque personnage dévoile des vérités dérangeantes, des rancœurs et des jalousies. Depuis j'ambitionne de pouvoir un jour monter moi-même cette belle pièce. Sans aller jusque là, la séquence du repas de cet ultime épisode est l'aboutissement d'une parole trop souvent déniée et révèle nombre de vérités explosives.

Images from BBC drama 'Doctor Foster'
Starring Suranne Jones as Gemma Foster and Bertie Carvel as Simon Foster
***TMoS GRABS***

B. Une philosophie de la vie

Au delà du parcours de Gemma, on est troublé par les grands messages qui se dégagent de ses confrontations auprès de ceux à qui elle se confie. L'argument"Une histoire banale" qu'on lui renvoie à la figure est sublime, puis qu’effectivement, sa situation est commune à des millions de personnes chaque jour dans le monde. D'ailleurs, j'ai appris que la scénariste s'est inspirée du cas de nombre de ses amis. On apprends également que cette histoire est absolument normale pour nous les hommes : "Les hommes au delà de 40 ans ne résistent pas aux filles de 22 ans" et "C'est biologique, les hommes ne peuvent pas rester fidèles, c'est comme ça". Le personnage de Tom, le mari, est presque inexistant au début : il apparait fuyant, au gré des soupçons de Gemma. Progressivement pourtant, le personnage interprété par l'excellent Bertie Carvel va révéler une profondeur et une complexité inattendue et jouissive. Il va exprimer très clairement des problématiques existentielles. J'ai retrouvé une de celle que j'ai abordé dans "Chronique Sentimentale" : peut-on aimer sincèrement deux personnes différentes en même temps ? Sachant que dire la vérité fait nécessairement souffrir, ne vaut-il mieux ne pas tout faire pour la cacher ? En extrapolant, c'est une véritable réflexion sur le bonheur dont il est question ici : N'existe t-il qu'en apparence ? Le fait d'être heureux est pollué par le souci des apparences, les ambitions et les jalousies. La recherche du bonheur passe t-elle par un déni, une acceptation passive ou bien encore par un souci d'accomplissement personnel ?

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Conclusion

Sur un sujet aussi banal que l'adultère, tout n'a donc pas encore été raconté. Et si l'on exploite à fond des lieux communs et des principes que l'on croit éculés depuis longtemps, on aboutit parfois à des chef d’œuvre. C'est la démonstration la plus flagrante que je vois ici. La plus vieille histoire du monde, celle de l'infidélité conjugale, du mensonge et de la trahison, sublimée. Comme je l'ai souligné plus haut, le principe de l'empathie est total. Le bonheur repose bien souvent sur des apparences, et la remise en question de celles-ci par Gemma Foster l'entraine dans une entreprise personnelle de déconstruction. Vous aurez compris à cette lecture que je recommande cette série pour autant de raisons. Facile à regarder, car elle ne fait que cinq épisodes, tous très denses, elle présente même le luxe,  à mon avis, de pouvoir choisir sa fin. En effet, la fin du 3ème épisode propose une fin "Optimiste". Pour une autre fin, plus explosive, et surtout pour le plaisir, regardez jusqu'au 5ème épisode. Le succès étant au rendez-vous, je viens d'apprendre qu'une saison 2 devait être mise en chantier. C'est surprenant car la série propose une fin digne de ce nom. Espérons que les considérations commerciales ne viendrons par entacher la beauté artistique d'une œuvre, que je recommande ardemment.

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