Le grand bain

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Parfois, il arrive que je sois plus intrigué par un film pour des raisons strictement personnelles, voire intime, plutôt que par strict et pur intérêt cinématographique. C'est principalement le cas lorsqu'il m'est donné à voir un de ces projets dont je me dis : c'est une idée que j'aurais pu avoir, que j'aurais même du certainement avoir. Aurais-je au final mieux fait ou plus mal fait, qu'importe, car au bout du compte le résultat aurait été bien sur très différent. Dernièrement, cela m'est arrivé dès que j'ai eu connaissance du pitch du film de Gilles Lelouche : une bande sympathique de quarantenaire dépressifs se retrouve régulièrement à la piscine sous l'autorité d'une ancienne championne de natation synchronisée. Dès lors, ils vont mettre toute leur énergie à pratiquer ce sport atypique avec pour objectif de représenter la France aux championnats du monde. Compte tenu de mon environnement professionnel, de la femme qui m'accompagne actuellement, de l'attrait qu'elle a su me communiquer depuis toutes ces années pour cette discipline, il y avait moyen que je conjugue tout cela avec mon envie de raconter des histoires pour construire un projet autour de la piscine. Après tout, j'ai déjà, par le passé, tourné dans cet environnement aquatique, et essayé, en l'entrainant vers de nouvelles voies, de le rendre plus familier. J'y ai même trouvé d'excellents acteurs. C'est donc très intrigué que je me suis retrouvé au milieu de toute l'équipe de Natation Synchronisée de Montauban par ce dimanche après-midi automnal. Plongé dans une ambiance bon enfant, très enjouée, je suis donc allé voir ce film français. Quiconque me connait un peu sait que, malgré ma formation et mes gouts de cinéphile, je suis très peu friand du cinéma français dans sa forme actuelle. Pour ainsi dire, je ne vais jamais voir de film français au cinéma. Je ne me reconnais plus dans la production actuelle, principalement axée autour de comédies, qui a mon sens n'arrivent plus à la cheville de ce qui a constitué les fleurons du cinéma français il y a encore quelques années seulement. L'espace n'est pas ici de développer autour de ma pensée sur le cinéma français actuel, j'y reviendrais ailleurs. En tout cas, force est pour moi de constater l'inimaginable : Gilles Lellouche m'a réconcilié avec le genre, et donne à voir avec son premier film une comédie tendre, touchante et attachante, parsemée de moments très drôles. L'occasion est trop belle pour moi de parler ici, pour la toute première fois, d'un film français.

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I. Un rond peut-il entrer dans un carré, et inversement ?

...et inversement
...et inversement

Lorsque, sur le générique déroulant de fin, j'ai vu apparaitre, sous la rubrique des remerciements, les noms d'Olivier Nakache et d'Éric Toledano, j'ai peut-être compris d'où venait cet aspect touchant, très attachant qui se dégage irrésistiblement des personnages de ce film. Mais avant tout, ce qui frappe tout d'abord dans le film de Gilles Lellouche, c'est le travail. En disant cela, je pense plus particulièrement au travail en amont, de pré-production du film. Lorsqu'il affirme qu'il a passé 4 ans de sa vie sur ce projet, je le crois, car son travail est abouti.  Il ne s'agit assurément pas, comme il aurait été facile de s'y attendre, d'un comédien qui réalise un film entouré de ses "potes"pour se faire plaisir, mais bien d'un réalisateur à part entière qui fournit sa propre vision du monde. Il l'a souvent déclaré lors d'interviews, il a travaillé sur un scénario original, basé sur une galerie de portraits croisés. Cet éventail de destinées donne à voir plusieurs itinéraires d'hommes qui, aux alentours de la quarantaine, se retrouvent confrontés aux désillusions de la vie. Le propos est d'ailleurs introduit par une séquence qui s'adresse à l'universel. Au début du film en effet, un petit montage rythmé et particulièrement soigné part de l'universel pour aboutir à une véritable réflexion philosophique "Un rond peut-il entrer dans un carré et inversement ?" Cette introduction philosophique décalée tranche de manière irrésistible avec la prestation de Mathieu Amalric, que le réalisateur choisit d'emblée de suivre. L'acteur-réalisateur fournit une composition mémorable d'un cadre dépressif et accro aux anxiolytiques. On oublie littéralement qu'il est, entre autres, le dernier français en date à avoir incarné le grand méchant dans le récent James Bond "Quantum of Solace" C'est par l'entremise de son personnage que le réalisateur nous introduit toute une galerie de personnages aussi colorés qu'improbables : Guillaume Canet en pessimiste râleur, qui est en train de perdre sa famille, Benoit Poelvoorde en entrepreneur au bord de la faillite, qui malgré ses combines se dirige vers un échec inéluctable, Jean-Luc Anglade, extrêmement touchant en artiste amateur, chanteur contraint de faire un boulot alimentaire, qui lutte pour préserver l'amour de sa fille, et surtout Philippe Katerine, au jeu totalement lunaire, et dont l'échec existentiel est autant professionnel que sentimental. A côté de cette équipe masculine, il faut ajouter les deux entraineurs de natation synchronisée : Virginie Elfira, en entraineur désabusée qui lutte contre un vide sentimental, et Leila Bekhti, irrésistible en entraineur handicapée au langage fleuri. Remarquons au passage qu'à l'instar d'"Intouchable" de Nakache et Toledano, le handicap est ici complètement assumé et désacralisé, et participe entièrement à certains gags du film. Comment pourrait-on imaginer autrement rire à l'évocation de Canet poussant son entraineur en fauteuil dans la piscine ? Il faut beaucoup d'aplomb au réalisateur pour pouvoir traiter avec humour ce genre de séquence. C'est d'ailleurs d'une manière tout aussi distancié qu'il aborde les problèmes d'addictions aux médicaments antidépresseurs, les dégénérescences liées à l'âge, avec le personnage de la mère de Guillaume Canet, ou encore les comportements liés à l'alcool. Lellouche alterne ces art du comique distancié et parfois cruel, avec des séquences qui m'ont évoqué l'humour anglais dans ses plus belles heures. Je pense ici à la très réussie séquence du cambriolage, une des plus drôle du film, dont les gags évoquent parfaitement cet esprit "so British" et qui ne dépareillerait pas dans une comédie anglaise classique.

La réflexion philosophique du début s'éclaire peu à peu. Les perdants, les ratés et autres modestes peuvent réussir de grandes et belles choses s'ils se réunissent. Cela vient se renforcer avec le slogan du film "Parfois, on a juste besoin d'être synchro". De manière générale, chacun peut réaliser quelque chose que l'on croyait fermement impossible au premier abord. Et la natation synchronisée elle-même finit d'achever cette comparaison, car dans les figures de ballets, il est assez fréquent qu'un rond se transforme en carré, et inversement.

Leila Bekhti et Philippe Katerine
Leila Bekhti et Philippe Katerine

II. Un comique issu du tragique.

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Comme on vient de le voir, le film se joue des conventions et crée de l'humour à partir de thématiques sensibles, comme le handicap, la dépression ou la démence liée à l'âge. En premier lieu, c'est la thématique de la dépression qui réunit ces destins. Elle ne promets pas forcément du rêve, et pourtant, une certaine magie opère par un effet de distanciation.

Dans le jargon de la piscine, le grand bain désigne généralement le bassin sportif de 25 mètres, ou plus. Il se distingue du petit bain, où le public à généralement pied. Si ce dernier est dévolu, entre autre, à l'apprentissage, le passage au grand bain est associé au passage aux choses sérieuses. Et c'est effectivement la démarche qui correspond à ce groupe improbable.

La grande force de l'écriture du film est de parvenir à proposer, dans sa première moitié, une équilibre assez réussi dans cette succession de portraits de quarantenaires émaillés par la vie. Cela peut apparaitre déstabilisant par moments, parfois même un peu long, le temps de camper chaque itinéraire, de passer d'une trajectoire de vie à une autre. C'est peut-être pour cette raison que le personnage de l'indou, irrésistible dans ces interventions dès le début du film avec sa ceinture à bouée, n'a pas droit à son portrait.

Il faut dire que le casting du film est atypique, improbable. Pourtant, force est de constater que si ces personnages n'étaient pas tous campés avec beaucoup de conviction par chacun de ces acteurs, cette première moitié laisserait de côté pas mal de spectateurs. Je craignais le film de "potes" avec des implications convenues; de manière plus générale, il aurait été facile de redouter un conflit d'égo entre acteurs qui n'ont plus rien à prouver, et dont certains, comme Amalric ou Canet, sont réalisateurs eux-mêmes. La meilleure preuve de leur implication, et même de leur humilité, c'est qu'ils passent une très grosse partie du film en maillots de bain. Lelouche parle de "moule-bites", en parlant de sa crainte de perdre en crédibilité s'il avait décidé de jouer lui-même tout en dirigeant derrière la caméra avec ce maillot. Quoiqu'il en soit, la vue de ces corps "normaux", qui pour certains ne cachent pas leur petit embonpoint, contraste sensiblement avec les corps assez musculeux des acteurs américains, favorise l'identification et l'empathie envers ces personnages. J'ai personnellement eu un gros coup de coeur pour Philippe Katerine, sorte de gardien de la piscine en passe d'être remplacé par une système informatique. Une séquence purement visuelle, à elle seule, résume cet aspect tragique dans ce qui reste une comédie : son personnage est attablé à un restaurant et rigole aux anecdotes qui sont dites. Au bout d'un moment, la caméra recule et dévoile l'intégralité de la scène : il est en réalité seul à table, les "parleurs" sont jutes attablés derrière et l'ignorent complètement. La scène génère une sorte de sourire géré, car elle révèle la solitude de ce personnage atypique.

Cette réflexion sur le sens de la vie, j'ai eu beaucoup de plaisir à la retrouver chez le propre frère du réalisateur, Philippe Lellouche, dans sa pièce "Le temps qui passe". L'auteur et comédien y décrit l'itinéraire d'un groupe d'amis qui se réunit aux funérailles d'un des leurs. Truffé d'humour et de références communes qui me parlent, comme celle aux Mystères de l'Ouest, la pièce est parsemée d'élans de tendresse et d'amour. La morale me parle aussi particulièrement : en dépit de tout, il faut vivre et profiter des moments entourés des gens que l'on aime. L'amitié est une valeur incomparable. Dans Le Grand Bain, c'est aussi l'amitié qui soude ce groupe d'amis. Fissurés par la vie, la natation synchronisée apparait au début d'avantage comme un prétexte pour des rendez-vous réguliers qui sont autant de moments de paroles, dans lesquels chacun peut librement se laisser aller et se confier.

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III. L'autre Lellouche

Le réalisateur Gilles Lellouche
Le réalisateur Gilles Lellouche

Gilles Lellouche montre qu'il est un bon réalisateur. La gageure consistait ici, à mon avis, à trouver une dynamique dans des séquences qui se situent pour beaucoup autour d'un décor difficile : une piscine municipale. J'ai personnellement tourné avec cet univers qui est pour moi très familier, et pourtant, je l'avoue, je ne sais pas si j'aurais réussi à résoudre cette problématique sur une durée de presque 2 heures. Il faut dire que je me suis tellement laissé embarquer par cette histoire, que j'ai oublié d'analyser tous les mouvements de caméra. Une exception cependant, la séquence des championnats du monde, puisque j'ai eu l'occasion de filmer des ballets de natation synchronisée, et eu donc le loisir d'apprécier les difficultés intrinsèque à l'exercice. Je me souviens avoir pris beaucoup de plaisir à filmer le duo mixte composé de Benoit Beaufil et de Virginie Dedieu, lorsqu'ils sont venus le présenter en exclusivité à Montauban. C'est une des rares fois, en tant que cinéaste, où je me suis senti autant spectateur que technicien, mais cela est peut-être du à mon admiration pour cette discipline. Et je voue, depuis mes années de formation en tant que Maître-Nageur, une grande admiration envers Benoit Beaufils, envers son talent, la grâce qu'il insère dans cette discipline et la très grande sensibilité qui se dégage ostensiblement de chacune de ses prestations.

Je ne peux pas manquer de le citer ici, car son nom apparait dans le générique final dans la rubrique des doublures. C'est d'ailleurs par son intermédiaire que l'on a appris que Gilles Lelouche avait entrepris ce projet un peu fou, ou bien encore que James Cameron travaillait sur le tellement improbable "Avatar II".

J'ai donc eu un oeil plus aiguisé concernant la scène du championnat du monde. Lellouche y démontre un savoir faire indéniable dans ses cadrages, son travail sur la lumière, et surtout son montage, qui ne permet pas justement de déceler la présence de Benoit Beaufils.

Evidement, s'il fallait trouver des élément discutable à ce film, il faudrait chercher du côté des grosses ficelles scénaristiques. En premier lieu, ce qui m'a surpris, c'est l'inscription au championnats du monde de natation synchronisée. Aussi sympathique soit-il, je doute que le petit groupe soit éligible au bout d'un an d'entrainement seulement. De même, l'issue du championnat est très surprenante. Mais ce sont des ficelles facilement pardonnables, puisqu'elles participent au message positif que veut laisser le réalisateur à l'issue de son film. Car Lellouche est aussi crédité en tant que co-scénariste du film, élément qui a toute son importance à mes yeux. L'évolution de la dramaturgie témoigne de la passion qu'à mis le réalisateur à filmer ses personnages. Evidemment, le final aurait put être différent. Sylvester Stalonne avec "Rocky" nous a montré brillamment que la défaite sportive pouvait être parfois plus optimiste et plus porteuse d'espoirs que la victoire. Stallone a également démontré que l'aspect réjouissant d'un film sportif résidait dans les séquences d'entrainement. Lellouche ne déroge pas à la règle, en proposant quelques scènes mémorables comme celle où l'équipe s'entraine tenir le plus en apnée. A y réfléchir, je pense également à "The Full Monty", qui reprend tous les élément du scénario, en dépeignant un groupe de loosers qui se révèle en réalisant l'impossible. Comme eux, ils investissent une discipline réservée majoritairement aux femmes en dévoilant leurs corps dans un célèbre numéro de streap-tease. Et comment oublier "Dodge Ball", de Rawson Marshall Thurber avec Ben Stiller et Vince Vaughn, avec qui le scénario reprends l'idée de l'entraineur sur fauteuil roulant. Mais même si Lellouche se réappropriai cette idée, il la pousse plus loin : ici, si l'entraineur est en fauteuil roulant, les véritables handicapés sont en réalité dans l'eau. Comme j'aime à le remarquer, il n'y a pas de grand méchant dans ce film. L'absence d'antagoniste est ici palliée par les difficultés, les épreuves personnelles et les doutes que chaque personnage va affronter individuellement avant de se rassembler afin de les surmonter en commun.

Enfin, l'autre point faible est l'oubli des personnages de Basil et d'Avanish, qui sont laissé de côté en n'ayant pas droit à leur scènes de vie dans la première partie. Le personnage indien  d'Avanish en particulier, est quasi-muet dans le film, et chacune de ses interventions est prétexte à sourire. J'aurai aimé en apprendre autant sur leurs vies que sur les autres.

Benit Beaufils, ici avec sa partenaire des J.O. Virginie Dedieu
Benit Beaufils, ici avec sa partenaire des J.O. Virginie Dedieu
Les irrésistibles séquences d'entrainement
Les irrésistibles séquences d'entrainement

Conclusion

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Pour une fois, je plussoie la standing ovation de 10 minutes dont le film a fait l'objet lors de sa présentation au Festival de Cannes cette année. Moi qui était quelque peu déconnecté de l'humour français, voilà que j'ai ri, j'ai été touchée j'ai envié cette complicité de destins qu'il m'a été donné à voir. De tout ce que j'ai dit plus haut, il faut classer ce film sous le registre de la comédie dramatique, mais l'énergie des acteurs et le sens du l'humour du scénario génère une bonne humeur communicative. Cela ne m'étonnerai guère que le film devienne culte avec le temps, et pas seulement auprès des différents clubs de natation synchronisée. Et puis, depuis Welcome de Philippe Lioret dans lequel Vincent Lindon incarnait avec conviction un maitre-nageur, que je sache, il n'y avait plus de film qui proposait l'univers d'une piscine en toile de fond. Quant à la natation synchronisée, à l'exception de films coréens assez peu connus que j'avais déniché durant mes années de formation, il faut remonter aux classiques film de Busby Berkeley et de Ginger Rogers pour voir ce qui se fait de mieux. A l'heure où j'écris, le film est encore à l'affiche, et, une fois n'est pas coutume pour un film français en ce qui me concerne, je ne saurais trop vous recommander d'aller passer un bon moment en allant le voir. En somme jetez-vous à l'eau...dans le grand bain.

L'affiche apparu à Cannes, avec le slogan "Parfois on a juste besoin d'être synchro"
L'affiche apparu à Cannes, avec le slogan "Parfois on a juste besoin d'être synchro"
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