Prey fut un choc enthousiasmant lorsque je l'ai vu pour la première fois. Par la suite, j'ai ressenti la même exaltation lorsque je l'ai revu, et très rapidement, je sus pourquoi. Série anglaise sans trop de moyens, avec un casting constitué de quasi-inconnus, du moins pour moi, elle ne présente pourtant guère d’intérêt sur le papier, surtout dans le contexte actuel. Si l'on ajoute que son pitch est rabâché et évoque tant bien que mal celui du "Fugitif", on est en droit de se demander quelles peuvent être les raisons qui peuvent amener un spectateur toujours plus exigeant à s'y intéresser quelque peu. Et si la mayonnaise prends, si le succès public tout autant que critique est au rendez-vous, c'est qu'elle a su se distinguer des autres par l'usage d'outils subtils : un format court de 3 épisodes, facilement et rapidement visionnables, un scénario fouillé qui ménage ses effets sans tomber dans la surenchère, un contexte très réaliste et surtout une interprétation magistrale, notamment de la part de son acteur principal dans la saison 1, John Simm.
I. Prey Saison 1
En dehors de ses qualités fictionnelles indéniables, et que je vais tenter d'explorer, je crois que le sujet de cette série s'adresse à mes souvenirs d'enfant. Mes premiers transports, ce que l'on pourrait presque qualifier selon la formule usité d'"orgasme télévisuel", je les dois, entre autre, à Alfred Hitchcock. Il est celui qui a sublimé la thématique du faux coupable, accusé injustement et qui se retrouve en fuite afin de prouver son innocence. Il faudrait voir ce que la psychanalyse dit à ce sujet : en quoi le thème du solitaire, seul contre tous, incompris, rejeté et parfois trahi par ceux dont il espère de l'aide, poursuivi par les autres qui l'accusent du pire; en un mot ce que les objets couverts par cette thématique disent de moi. Cela me parle toujours aujourd'hui. D'autre part, j'emploie ce terme de télévisuel à dessein, que je substitue à celui de visuel, pourtant plus signifiant, car outre la découverte des films hitchcokiens sur le petit écran, cette thématique du fuyard solitaire toujours pourchassé est assez récurrente, à mon avis, des meilleures séries. Citons en vrac : "l'immortel", "les envahisseurs", "Le Caméléon", "l'incroyable Hulk" et surtout "Le Fugitif", dont l'adaptation cinématographique réalisé par Andrew Davis avec Harrison Ford reprenant le rôle autrefois tenu par David Jansen, est une réelle réussite. Je fais donc partie à l'origine du cœur de cible très sensible pour qui exploite à nouveau cette thématique. Dès lors, on peut se demander ce que peut bien apporter de plus à l'affaire Prey, série anglaise au budget modeste, dépourvue qui plus est de véritables stars. En l'examinant d'un peu plus près, pourtant, elle se distingue des autres par plusieurs traits spécifiques.
Premièrement, et comme on l'a évoqué plus haut, il s'agit d'une série courte de trois épisodes seulement, qui peuvent correspondre à un début, un milieu et une fin. Et quand j'évoque une fin, je veux parler d'un véritable dénouement, de ceux qui tranchent avec les finals plus ou moins ouverts proposés par beaucoup de séries actuellement. Deuxièmement, le scénario prends le temps de poser la situation, d'explorer la psychologie des différents personnages et de dessiner leurs caractères, ce qui est pourtant en opposition avec le rythme effréné qui sera le sien à partir du moment où l'on rentre dans le schéma de la course poursuite. A ce sujet, remarquons que justement les séquences de poursuite sont extrêmement bien rythmés, et le plus souvent se déroulent à pied. Cela tranche ici aussi avec les sempiternelles séquences de courses de voitures, passage obligé de toutes productions d'actions qui se respectent. J'en veux pour preuve la séquence où John Simm est poursuivi dans une lande anglaise par Rosie Cavaliero. Cela m'évoque un peu la célèbre course poursuite à pied de "French Connexion 2", qui reste selon moi le modèle du genre. Le physique de cette dernière est tout sauf sportif, et, fort heureusement, le héros fugitif est fatigué et légèrement blessé. Cela donne une séquence de poursuite improbable, qui fonctionne pourtant très bien et permet un face à face savoureux, autant attendu que redouté, entre les deux protagonistes.
La dimension européenne du récit, puisque l'action se déroule en Angleterre, donne à la fiction une couleur d’authenticité troublante. Le paysage et le caractère naturel du jeu d'acteur s'imbrique l'un à l'autre pour au final aboutir à une sorte de réalisme plausible qui fonctionne très bien. La séquence de poursuite que j'évoquais plus haut fait dialoguer l'état de désolation de cette lande anglaise avec l'état d'épuisement physique et moral des protagonistes? Ce décor familier associé à l'idée du fugitif pourchassé à tort, et qui recherche le véritable coupable afin de s'en sortir, m'a donc naturellement aussi évoqué "La Proie", superbe film d'Éric Valette, avec un Albert Dupontel très convaincant et un extraordinaire.Stéphane Debac dans le rôle du méchant.
II. Prey Saison 2
A la suite du succès de la série, on pouvait craindre le pire à l'annonce de cette saison 2. Fort judicieusement, le créateur de la série, Chris Lunt, n'a pas jugé bon de revenir sur l'intrigue de l'an passé. A l'instar de "True Detective" ou d'"Américan Horror History", le choix a donc été fait de remettre les compteurs à zéro afin de partir sur une nouvelle narration. Seul demeure le personnage de l'inspectrice Susan Reinhardt, véritable trait d'union entre les deux saisons. Il faut croire que c'est une tendance à la mode chez les scénaristes, car outre les deux exemples cités plus haut, je viens d'apprendre que le même modèle vient aussi d'être choisi pour la saison 2 de "The Missing", avec le personnage de Tcheky Kario qui assure le lien.
Le scénario de cette deuxième saison a été particulièrement travaillé, pour ne pas souffrir de la comparaison avec la saison précédente. Très rapidement, j'ai eu en tête "Us Marshal" de Stuart Baird, où Tommy Lee Jones, reprenant son rôle du Lieutenant Gérard, se lançait à la poursuite d'un nouveau "Fugitif", puisque ici aussi, on retrouve donc avec plaisir Rosie Cavaliero, à la poursuite d'un nouveau faux-coupable. Son personnage en profite pour être développé, et on se prend de sympathie pour cet anti-héros, en proie à des difficultés sentimentales et professionnelles, qui n'entameront en rien la rigueur de son enquête. .
La série retrouve les éléments cruciaux et incontournables, marques de fabrique de la précédente : un représentant de la Loi est pris dans un engrenage infernal qui va l'amener à être l'objet d'une traque sans relâche de la part de toutes les forces de l'ordre, la trahison surprise du meilleur ami sur lequel on reposait nos espoirs, la hiérarchie de Susan Reinhardt qui conteste ses méthodes et ses résultat puis finit par lui mettre des bâtons dans les roues. L'amorce du premier épisode est semblable à celle de la première saison, ce qui fait que l'on se retrouve en terrain connu : une séquence forte de la poursuite nous plonge au cœur de l'action, puis on remonte quelques heures avant, à une période de calme où l'on présente les protagonistes. Cependant, cette présentation est moins limpide et semble plus rapide. La saison 1 présente une séquence très forte dans laquelle John Simm semble sur le point de reconquérir son ex-femme. Une séquence extrêmement bien construite et essentiellement visuelle, car tout réside dans une sorte de non-dit entre le couple, de sorte que la situation est claire sans pour autant qu'il y ait eu d'explication, entre les protagonistes : la séparation du couple est du à la nature du travail du policier, mais ses sentiments à lui sont toujours présents au point d’espérer revenir tandis que sa femme voit un autre homme. Tout est visuel, et lorsque le malentendu est dissipé, le spectateur prends part à la colère et à la frustration du héros. La saison 2 ne prends malheureusement pas le temps de présenter la situation sentimentale du nouveau personnage central, pas plus qu'il n'explique la nature des rapports qu'il entretient avec sa fille. Ce n'est qu'au fur et à mesure de sa cavale que nous apprendrons leur complexité. Si ce choix peut s'expliquer comme un moyen supplémentaire de soutenir l'attention du spectateur, je le trouve néanmoins dommageable pour l'identification avec le héros, qui n'est plus si complète au départ.
Les différences sont assez notables pour éviter davantage de similitudes : la solitude du héros est rompue, puisqu'il partage sa fuite avec une autre personne. Le thème des fuyards menottés malgré eux évoque bien évidement l'excellent "La Chaine" de Stanley Kramer, dans laquelle Tony Curtis était contraint de fuir enchainé contre sa volonté avec Sidney Poitier, et dont le principe a été bien souvent repris depuis. Le mobile de la fuite n'est plus le même : s'il était trop tard pour sauver la famille de John Finn, à qui il ne reste que l'espoir de récuperer son autre fils, il est encore temps pour sauver la fille de Philip Glenister. Même l'inspectrice Reinhard semble profiter de l'expérience passé, puisqu'elle s'aperçoit assez vite de la manipulation dont est victime le héros.
III. Une dramatisation singulière
Malgré ses qualités, je crois que la saison 2 n'a pas eu tout à fait le même succès que la précédente. Évidemment, l'effet de surprise n'agit plus, ou de moindre façon. Mais cela n'explique pas tout. Pour mieux comprendre ces différences, il faut revenir aux traits spécifiques de la saison 1 :
Premièrement, une dramatisation qui provoque une empathie. En effet, le héros nous apparait plus proche dès l'instant où il traverse sa crise familiale avec son épouse. Le choc produit par le drame qui s'ensuit est perceptible. Le spectateur le prend de plein fouet et compatit à la réaction désordonnée du héros sous le choc. Cette dramatisation nous vaut une des plus belle séquence de la série : celle dans laquelle Susan Reihard annonce à Marcus Farrow l'étendue du drame qui s'est déroulé chez lui. La performance d'acteur de John Simm est alors prodigieuse et à couper le souffle : il est parfait d'authenticité. A elle seule, cette séquence résume la qualité d'interprétation de la série et mérite d'être vue. Dans cette saison 2, en revanche, la dramatisation qui se situe entre Davis Murdoch et sa fille est peut-être un peu trop rapidement présenté. Certes, un surveillant pénitentiaire présente un potentiel dramaturgique plus original et plus inattendu qu'un inspecteur de police, mais encore faut-il instaurer une proximité avec le spectateur. La surprise du coup de fil à l’hôpital qui lance le processus de chantage sur sa fille mise sur une empathie du spectateur, qui n'a pas eu le temps ni la place pour s'instaurer.
Deuxièmement, comme je l'ai dit plus haut, le fait de rompre la solitude du héros en le contraignant à une compagnie d'infortune aurait peut-être pu être une bonne idée, à la condition de trouver de bonnes idées pour l'exploiter. Au contraire, les personnages sembles figés sur leurs position et incapables de se rapprocher davantage. En demeurant éloignés l'un de l'autre, c'est un peu comme s'ils restaient à distance respectueuse des spectateurs eux-mêmes, qui ne demandent pourtant pas mieux que de prendre fait et cause pour eux.
Enfin, sur le registre de l'interprétation, il n'y a finalement que très peu d'occasion durant lesquelles Philip Glenister peut exprimer toutes les nuances de son jeu. Il rentre d'emblée dans une trajectoire où il connait son objectif : il n'est plus tout à fait une victime, mais pas suffisamment maître de la situation. Cette situation sur la corde aurait peut-être mérité d'être tranché de manière plus franche. On pourrait s'attendre à davantage, par exemple, de sa relation conflictuelle avec son beau-fils. Le rapprochement entre les deux hommes est presqu'exempt d'émotion, c'est à mon avis dommage car cela aurait pu donner lieu à une scène qui aurait rapproché le spectateur du héros. Enfin, si le final de cette saison 2 renoue avec une émotion pudique entre parent et enfant, la situation d'entrave finale du héros ne lui permets pas de la manifester, et donc la rend plus difficile à apprécier.
Conclusion
Si, comme moi, vous êtes sensibles au genre du road-movie avec faux coupable en fuite pour prouver son innocence, façon hitchcock, alors vous comprendrez pourquoi je conseille la saison 1 de Prey. John Finn mérite vraiment d'être découvert, car peu de temps après, je l'ai retrouvé dans un rôle de guest dans "The Catch", la nouvelle série de Shondra Rhimes. Il y livre une performance sidérante : quasiment affublé du même costume, et revendiquant sont statut d'anglais, il compose un personnage de méchant avec une dose plus que savoureuse d'humour noir.
La saison 2 est quant à elle plus facultative, et c'est un peu dommage, car il s'en faut de peu pourqu'elle soit aussi passionnante. Seul le personnage de Rosie Cavaliero, inspectrice hors normes englué sous ses tracas sentimentaux, mérite finalement le détour, en apportant une dose d'humour anglais salvatrice.
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