Silence

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Que ce soit lors de mes études cinématographiques ou bien dans mon cercle social aujourd’hui, Martin Scorcese est universellement reconnu et vénéré pour la richesse et la qualité de sa filmographie. Il est l’un des rares cinéastes, en effet, à allier un succès et une reconnaissance publique avec une certaine forme d’unanimité critique. Il y a pourtant un aspect qui me fascine toujours chez lui et sur lequel, bien peu, en vérité, consentent à s’attarder. En effet, si certains concentrent la question de la spiritualité de son cinéma essentiellement sur La dernière tentation du Christ, il m’apparait que l’essentiel de sa pensée, de sa foi, des questions qu’il se pose mais aussi du message dont il veut témoigner sont inscrites dans Silence. Film assez peu connu et certainement mésestimé de sa filmographie, il représente à mes yeux autant un aboutissement des questionnements qu’il avait exprimés dans La dernière tentation du christ, avec lequel il forme en quelque sorte une sorte de diptyque, mais également une démonstration extraordinaire d’une certaine forme de cinéma, dont la force est autant dans le propos qu’elle véhicule que dans la forme qu’elle sublime. J’essaye de démontrer ici combien ce film est majeur dans la filmographie de ce cinéaste d’exception.

Martin Scorcese dirige Andrew Garfield

I. Une leçon de foi : « Je prie mais je suis perdu. Est-ce que je prie face au silence ? »

Andrew Garfield est bouleversant dans le rôle du Père Sebastião Rodrigues

Au XVIIème siècle, deux jeunes prêtres jésuites portugais, le père Sebastião Rodrigues et le père Francisco Garupe sont envoyés en mission au Japon, pays où les chrétiens sont persécutés et leur religion interdite, afin de retrouver leur mentor, le père Ferrera, qui a disparu et aurait prétendument renoncé à sa foi. Incapable d’envisager une chose pareille, les deux jeunes hommes vont braver tous les dangers et partir en terre hostile afin de découvrir la vérité et de retrouver leur père spirituel. 

Martin Scorcese fait partie de ces trop rares cinéastes, comme Mel Gibson, qui revendiquent ouvertement leur chrétienté. L’importance du fait religieux apparait de façon très subtile si l’on regarde sa filmographie dans son ensemble. Il est en effet possible de regarder les rapports entre la mafia, qu’il a très souvent abordé, et la religion à travers ce prisme. Ces relations, qui existent réellement dans la réalité, sont ambiguës et constituent toujours une source d’étonnement, voire d’incompréhension, tant ces deux univers semblent incompatibles. Ces films interrogent un univers dans lequel les notions de Bien et de Mal cohabitent toutes deux ensembles. Scorcese interroge perpétuellement ces deux notions, en les soumettant aux choix proposés aux hommes, et montre ainsi les conséquences qui en découlent. En 1973, époque où il réalise  La dernière tentation du Christ, Scorcese affirmait que son film lui « permettait de mieux connaitre Jésus ». Au regard de son œuvre, il ajoute aujourd’hui : « Finalement, c’est ce que j’ai essayé de faire toute ma vie »

Cependant, là ou Gibson impose sa vision de chrétien de façon frontale, Martin Scorcese préfère exploiter les doutes et les questionnements inhérents aux croyants. Encore aujourd’hui, le réalisateur se trouve peiné que sa vision du Christ ai pu, à l’époque, faire scandale. Son objectif, et il faudra peut-être analyser plus tard ce film dans son ensemble, était de montrer la part d’humanité du Christ, soumis aux tentations d’une vie humaine. 27 ans plus tard, Silence dialogue avec son précédent film en proposant de voir comment de simples humains prétendent à une part divine et à devenir martyrs. A l’heure où j’écris, il est amusant de constater qu’Andrew Garfield est donc le seul acteur a avoir tenu un rôle religieux pour chacun de ces deux cinéastes. Il a en effet été bouleversant, rappelons-le, dans Tu ne tueras point de Mel Gibson, dont on peut retrouver l’analyse critique que j’ai écrite ici : https://yannicklemagicien.com/tu-ne-tueras-point/ .

S’il incarne un chrétien jusqu’au boutiste chez Gibson, ici, Garfield parvient à maintenir une sorte de tension constante dans son jeu, ce qui lui permet de mieux montrer le déchirement intérieur de son personnage. Durant tout le film, effectivement, on s’identifiera à lui et le spectateur se demandera jusqu’à la fin bouleversante s’il va tenir ou bien lâcher face aux épreuves et aux tortures qu’il subit. Son cheminement est en cela comparable à un véritable chemin de croix. D’ailleurs lors d’une séquence mémorable, le père Rodrigues regarde son reflet dans une mare et voit le visage du christ à la place du sien. Comme le christ, il sera pourchassé et torturé, comme Jésus, il y aura une sorte de Judas en la personne de Kichijiro, comme le messie, il sera amené dans ses derniers retranchements. Dès lors, le lien avec La Dernière Tentation du Christ est évident, car le sujet véritable du discours du réalisateur réside tout entier ici : comment continuer de croire dans un monde hostile, au milieu de ceux qui veulent à tout prix nous briser sans recevoir aucune réponse ni aucun soutien divin. Comment trouver cette force en soi qui permet d’affirmer au monde sa foi ? Ce cri, chez Scorcese, se traduit par ce film qui est celui de « toute une vie », comme il le dit lui-même, puisqu’il l’a muri pendant 27 années.

« C’est le christianisme qui a guidé toute ma vie, ma façon de penser. J’ai essayé de m’en éloigner, mais chaque fois, invariablement je suis retourné à mes racines ».

Martin Scorcese

Martin Scorcese découvre en effet le roman de Shūsaku Endō en 1990, qui lui est offert par l’archevêque de New-York,  pendant qu’il participe au tournage du film Rêves d’Akira Kurosawa, dans lequel il tient le rôle de Vincent Van Gogh. Le best-seller a déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1971 par Masahiro Shinoda. Durant 27 années, période où il a muri ce film, Scorcese déclare avoir fait « son catéchisme ».

Andrew Garfield est réellement impliqué dans le rôle du Père Rodriguez, aux côté d’Adam Driver et de Liam Neeson, toujours excellents. Cependant, il faut que j’exprime ici une vérité objective : les acteurs asiatiques du film sont tous impressionnants, que ce soit par la force de leur jeu, de leur implication ou encore par leur seule présence scénique. 

Le personnage qui suscite peut-être le plus notre attention est celui de KichiJiro, admirablement interprété par. Yōsuke Kubozuka. C’est un pécheur alcoolique dont toute la famille a été massacrée par l’Inquisition. Il est celui qui veut toujours se confesser auprès du père Rodriguez. Il est aussi celui, comme je le disais plus haut, qui fera office de Judas, car il trahira et permettra la capture du jeune prêtre. En cela, il représente le « faible », et par delà, la faiblesse de l’humanité qui voudrait sincèrement être fort, être meilleur, mais qui n’y arrive pas. Il y a forcément quelque chose de touchant chez ce personnage, qui nous parle. Ambivalent, il ne cesse d’apostasier. Le père Rodriguez manifeste de la compassion envers ce personnage, à l’image de celle que Dieu peut avoir envers les faiblesses de l’humanité. 

Andrew Garfield et Yosuke Kubozuka, impressionnant dans le rôle de KichiJiro

L’Inquisiteur Inoue Masashige, est inteprété avec force par Issei Ogata. C’est le personnage qui exprime verbalement ce que les héros réalisent progressivement, ou bien qu’ils se refusent de voir, à savoir que la doctrine chrétienne est incompatible avec les coutumes japonaises. Les japonais, dit-il, n’ont qu’un seul dieu, le Soleil. 

Enfin, il y a Tadanobu Asano, qui joue le rôle de l’interprète des prêtres et Shin’ya Tsukamoto, célèbre acteur et réalisateur japonais, grand fan de Martin Scorcese, qui interprète notamment une  difficile séquence de crucifixion dans les vagues de l’océan. Cette séquence seule montre, si besoin était, l’investissement de l’acteur pour ce film.

Scorcese aurait pu ancrer son film à l’époque des premiers chrétiens qui se faisaient persécuter dans la Rome antique, comme dans Paul, apôtre du Christ dont j’ai parlé ici : https://yannicklemagicien.com/paul-apotre-du-christ/ , mais aussi à plusieurs autres époques. S’il a choisi le Japon du XVIIème siècle, c’est parce que nous l’avons dit, son scénario est l’adaptation d’un roman de 1966 écrit par Shūsaku Endō, écrivain japonais d’éducation catholique qui relatait des faits réels. En 730, il a réellement existé un père Ferrara qui a effectivement abjuré sa foi. Mais la chose la plus surprenante, c’est que les situations de persécutons de chrétiens pour leur foi continuent d’exister en 2022. 

Il est évident que la spectateur est invité à penser sérieusement à tous les chrétiens qui se font encore persécuter, torturer et massacrés dans le monde à l’heure actuelle. On pense notamment aux chrétiens d’Irak. Si ce n’était évident, Scorcese insère un banc titre à la fin de son film afin de dédier son œuvre aux prêtres, mais aussi à tous ceux qui sont persécutés de par le monde en raison de leurs foi. 

Liam Neeson interprète le Père Ferrara

II. Un aboutissement formel :   « Qu’ai-je fait pour Christ ? Que fais je pour Christ ? Que ferais-je pour Christ ? » Père Rodriguez.

Le Père Sebastião Rodrigues célèbre l’eucharistie

Pour moi, le film est une expérience cinématographique à plusieurs degrés.

Expérience, tout d’abord, parce que le film affiche une durée impressionnante de 2h41, dans sa version longue. Pour autant, le film reste passionnant et captivant de bout en bout. Scorcese s’éloigne du style survolté qu’il a montré dans  Le loup de Wall Street  ou dans  Les affranchis  pour retrouver cette forme stylisée qu’il a merveilleusement exploité dans  Kundun  et dans  Le temps de l’innocence.  Je me souviens avoir eu la chance de voir  Le Temps de l’innocence  sur grand écran, et je me rappelle combien ni moi ni aucun de mes amis qui m’accompagnaient alors n’étions préparés à ce genre de film. Scorcese proposait  une sorte de réflexion méditative sur le sentiment amoureux et les occasions manquées de la vie dont les leçons m’accompagnent encore aujourd’hui. . 

Ici, de la même façon, il prend tout le temps nécessaire et dont il a besoin afin de proposer un film presqu’expérimental, dans lequel il invite à un questionnement métaphysique. Son style rappelle même par des moments de fulgurance celui de Terence Malik, lorsqu’il filme en grande focale des paysages d’une nature surdimensionnée tout en laissant entendre la voix off du personnage d’Andrew Garfield. 

Expérience, parce qu’ensuite, Scorcese, comme nous l’avons dit plus haut, est quelqu’un d’extrêmement pieux. Sa biographie révèle qu’il longtemps envisagé de devenir prêtre. A l’âge de 20 ans, il suit même des études dans cette optique. Cet élément est ignoré, je pense, notamment en France, depuis l’énorme incompréhension qu’a suscité  La dernière tentation du Christ. En effet, certains ont cru voir une charge anticléricale dans ce film alors qu’il constitue, pour son auteur, une démonstration moderne des questionnements sur la foi.  Silence  revient exactement sur ces mêmes questionnements avec une forme stylisée que certains qualifieront de plus mature. A l’inverse de  La dernière tentation du Christ ,  Silence  ne prête pas à ce genre de critique subversive, car le film ne vient pas heurter la figure du Christ en lui-même, mais plutôt celle de ses représentants en butte à une hostilité et à une violence féroce. Dans le film, la torture est autant physique que psychologique, puisque les personnages sont poussés à renoncer à leur foi chrétienne afin de sauver d’autres chrétiens.

Martin Scorcese et le Pape François

Expérience, toujours, parce que certaines scènes constituent une véritable démonstration de tension cinématographique. Elles sont difficilement soutenables, non en raison d’une violence accrue et sanguinolente, comme la séquence d’une décapitation filmée de manière très crue, mais plutôt par la force et l’impact psychologique qui s’en dégagent. C’est par exemple les scènes où les personnages sont obligés de fouler au pied la représentation du Christ afin de renier leur foi. Scorcese va très loin dans sa démonstration puisqu’il montre le dilemme de ces religieux qui peuvent sauver des vies s’ils consentent à fouler l’image du Christ au pied mais qui ne peuvent s’y résoudre de peur de bafouer le Christ lui-même.  

Expérience, enfin, parce qu’en lien avec tout ce que nous avons dit, la mise en scène est un exemple de sobriété, qui colle à son sujet, dont le but est de privilégier la psychologie de ses personnages. Sa caméra demeure virtuose, sans pour autant être dans une démonstration excessive que l’on qualifierai ici d’esbroufe, puisque le sujet ne s’y prête guère. Néanmoins, deux séquences illustrent sa maestria : je pense à celle de l’aigle qui plonge vers le sol jusqu’à montrer deux observateurs cachés des prêtres et celle où la caméra virevolte autour d’Andrew Garfield lorsque celui-ci est dans sa cellule pour dépasser les espaces et rencontrer d’autres personnages. 

Le style se caractérise également par une absence de musique, un élément pourtant quasi indissociable du style de Scorcese, qui vient corroborer et souligner ce silence. A une époque où la musique est de plus en plus forte, et où les variations de volume sonore sont devenus un outil indispensable pour tout réalisateur afin de surprendre leurs spectateurs, Scorcese se permet d’atteindre les zéro décibels pour réussir le même effet. Par ce biais, comme le personnage principal, le spectateur est invité à une sorte d’introspection, de voyage mystique.

Adam Driver et Andrew Garfield

III. Un questionnement spirituel, métaphysique et mystique. « le prix de votre gloire est leur souffrance »- l’Inquisiteur Inoue Masashige

Une des dificiles séquences d’apostasie forcée

Rappelons tout d’abord deux définitions importantes :

Apostasie : Abandon volontaire et public d’une religion, en particulier de la foi chrétienne.

Larousse, 2022

Dans le film, cette action est symbolisée par le fait de fouler aux pieds une image du christ posée au sol.

Martyr : Personne qui a souffert la mort pour sa foi religieuse, pour une cause à laquelle elle se sacrifie ; chrétien mis à mort ou torturé en témoignage de sa foi. On l’appelait aussi martyr de la foi ou confesseur de la foi.

Larousse 2022

La question que partage Scorcese avec nous est évidente : Qu’est-ce que croire ? Comment croire ? En qui croire ? Doit-on vivre sa foi en reclus ou bien la partager ? Comment réagir en butte à l’hostilité de ceux qui veulent nous voir abjurer ?

La foi est ici montré dans sa dualité, prise entre sa dimension spirituelle et sa dimension terrestre. Cette dualité entre spirituel et terrestre est donc inversée avec La dernière tentation du Christ . Les deux films semblent ici aussi se répondre l’un à l’autre. En effet, si dans  La dernière tentation du Christ, Jésus refuse le martyr et décide de vivre sa vie terrestre, au contraire les prêtres de Silence acceptent le martyr et sont prêt à absolument tout souffrir et à tout endurer pour le Christ. C’est un autre des grands questionnements du film : Est-ce qu’on peut renier sa foi, fut-ce pour de bonnes raisons, ou bien doit-on aller jusqu’au martyr ?

La torture psychologique est privilégié pour le grand inquisiteur Inoue, campé par Issei Ogata

La sous thématique, qui en découle indubitablement, est celle de la souffrance. Une souffrance physique, mais aussi et surtout morale que connaissent tous les personnages principaux, et que Scorcese parvient à véhiculer aux spectateurs par la force de sa mise en scène et par le jeu de ses acteurs qui se subliment. En effet, chaque spectateur est amené à se poser la question de savoir ce qu’il ferait à la place de ces jeunes prêtres. C’est notamment le cas lors des séquences où il leur est demandé de poser le pied sur une plaque de bois sur laquelle on a gribouillé un visage ressemblant au Christ. Cette action, en apparence anodine, est amené à une degré de tension extrême. 

L’importance accordée aux objets religieux est, par cet intermédiaire, aussi exposé dans le film. La foi est-elle à l’intérieur de soi ou est-elle associée à des objets, similaire à une forme de superstition ? Le père Rodriguez indique un élément de réponse, dans la séquence au cours de laquelle il égrène un chapelet. L’objet religieux est donc ici une élément indispensable, concret, une sorte de relai qui conduit et relie à l’aspect divin. 

Le silence du titre renvoi évidemment au silence de Dieu en réponse à nos prières. Ce silence est une sorte de non-réponse de Dieu face à chaque question. Le film expose ouvertement cette problématique : est-ce que ça vaut le coup de croire dans le sens où il n’y a jamais aucune réponse. Mais cette absence de réponse n’est-elle pas, en réalité une réponse ? 

Scorcese interroge la nature même de ce silence : n’est-il qu’une sorte de néant ou bien au contraire ne représente-t-il pas lui-même une idée de Dieu, une réponse qu’il nous appartient de comprendre et d’interpréter ? Est-on toujours capable d’entendre, de comprendre, d’apprécier et d’interpréter cette réponse ?

Si les acteurs, nous l’avons dit plus haut, sont magnifiques, comme d’habitude, la photographie, la lumière, les cadres sont tout aussi sublimement travaillés et constituent un plaisir pour les yeux. 

La séquence d’introduction nous montre de façon violente comment la religion chrétienne est « matée », avec la torture et la mise à mort de prêtres jésuite occidentaux et de quelques fidèles sous le regard impuissant du prêtre Ferrera. A genoux, celui-ci implore Dieu.

L’impressionnante scène de crucifixion dans l’océan

Cette introduction, un modèle du genre à mes yeux, donne le tonalité du film, en exposant la question de la foi et de son affirmation. Le bruit de flux des vagues de l’océan évoque une certaine forme de sauvagerie, autant qu’une forme de beauté propres à la Nature. Que ce soit par l’eau bouillante issue des volcans ou par la violence des vagues qui étouffent inexorablement les suppliciés dans une autre séquence, cet aspect sauvage vient souligner la brutalité des hommes.

Jusqu’au bout, Scorcese nous incite à la méditation, puisque le générique de fin se déroule dans un long quasi silence. En effet, juste de légers bruits d’une nature désormais paisible se laissent entendre et nous pénètrent. 

Au milieu de la reconstitution très réaliste du Japon du XVIIème siècle, Martin Scorcese parvient à nous surprendre avec une séquence où il y a une irruption d’un élément surnaturel. Mais il le fait d’une manière si subtile, que chaque spectateur a sa propre compréhension de la chose. Je me réfère ici à cette séquence où le père Rodriguez est soumis à cette obligation de fouler cette plaque de bois où, comme nous l’avons dit, figure le visage du Christ. Il entend alors une voix lui susurrer : « vas-y, fais le . Après tout ce n’est qu’une image ». Est-ce sa conscience qui laisse exprimer sa faiblesse ? Est-ce la voix tentatrice du démon ? Certains ont même cru entendre la voix du père qui les envoi en mission au début du film. Pour le réalisateur, cela ne fait aucun doute pourtant qu’il s’agit du christ lui-même. Être chrétien, c’est faire des actions en vue de sauver des vies. Même s’il laisse ouverte chaque interprétation, Scorcese fait revenir cette voix off à la fin du film de manière plus explicite cette fois. A l’image du Christ, le père Rodriguez se sacrifie pour sauver son prochain, mais cela provoque une sorte de destruction morale et sociale, puisqu’après avoir été accueilli en saint homme, notamment lors de son arrivée à Macau, son action finit par le marginaliser.

Le visage du Christ se superposant à celle du Père Ferrara

En participant, aux côtés du Père Ferrera, à la recherche de symboles chrétiens cachés dans les objets importés d’Europe, il devient évident que les délicates thématiques de la « Résistance » et de la « Collaboration » sont également abordées par le film. En effet, après 15 longues années, le père Ferrera a renoncé à évangéliser. Il est devenu Sawano Chùan. A-t-il eu la sagesse de mettre fin aux souffrances de prêtres qu’on torture en essayant de comprendre et de s’adapter à cette culture différente, ou bien n’est-il en réalité qu’un traitre qui a marché sur son Dieu ? Sa figure s’apparenterai dans ce cas à celle du « Collabo ».

A l’inverse, croyant jusqu’au bout, Rodrigues cachera une petite croix dans ses mains lors de ses funérailles. Il faut en déduire qu’il a conservé sa foi cachée tout au fond de son cœur, vivant comme donc comme un « hypocrite », qui est une des nombreuses significations que l’on donne au mot « jésuite ». Sa figure à lui s’apparente à celle du « Résistant ».

Confronté à la douleur, ces deux figures s’opposent : il y a celui qui a renoncé à résister et a changé d’avis afin de trouver la paix et celui qui choisit la souffrance comme Jésus la choisit sur la croix. 

Le point fort de Scorcese est d’avoir choisi Liam Neeson, qui interprétait déjà un prêtre jésuite portugais dans l’excellent Mission de Roland Joffé. Si le film traite d’un thème similaire, on voit bien ici à quel point  Silence  est beaucoup plus ouvert puisqu’il suscite nombre de questionnements, justement à travers les questions de Résistance. 

La figure du chrétien résistant est donc doublement cachée : physiquement, dans les campagnes, et intérieurement dans les villes. Ces formes de cachettes renvoient une nouvelle fois au titre du film,  Silence

Pour le réalisateur, le message est clair : il faut faire preuve de compassion, à l’image du père Rodriguez envers les trahisons du père Fererra et de KichiJiro, mais également tenir compte du pouvoir de la rédemption. Le père Rodriguez dira ainsi a KichiJiro : « Merci d’être là, de toujours avoir été là ».

Si pour Martin Scorcese, l’importance de la rédemption est toujours cruciale, ici elle fait partie intégrante de tout bon chrétien. 

Conclusion

 Silence  est un film mystique et violent, une plongée dans le Japon du XVIIème siècle. C’est un acte de foi d’un des réalisateurs majeurs de notre époque, qui mèle ses thèmes de prédilection : Catholicisme et violence, quête de pardon et de compassion, itinéraire personnel. 

Il faut, et peut-être est-ce une caractéristique de ce film, avoir à l’esprit l’itinéraire et la filmographie du réalisateur, pour en avoir pleinement conscience. En faire l’abstraction explique peut-être qu’il en ai déstabilisé quelques-uns. 

Soyons honnêtes, Silence met en lumière sous une forme stylisée mais terriblement efficace l’interrogation que chacun de nous a eu au moins une fois dans sa vie : et si je priais face au Silence ? Les remises en cause de la Foi sont choses courantes à notre époque essentiellement matérialiste. Cette histoire vrai et réaliste doit aussi être observée de façon plus fine. Si la résilience, terme aujourd’hui bien souvent employé, est ici exacerbée, elle plie néanmoins face aux réalités : piétiner une image n’est pas piétiner le Christ, et cela suffit pourtant pour sauver les hommes. Ce don de soi a pour résultat une conséquence bien chrétienne : on doit parfois aller vraiment très loin pour sauver son prochain. 

En outre, la final nous montre que la véritable réalité du cœur humain est inaccessible pour autrui, et c’est à cet endroit que le Christ regardera au dernier moment. En serrant contre lui cette petite croix, que nous l’avons vu si souvent fabriquer dans le film, le père Rodriguez montre en réalité que la véritable nature de son cœur n’a pas été corrompue. 

Si Martin Scorcese nous dit avoir fait son catéchisme avec ce film, qu’il me soit permis de sortir de mon « Silence » afin de le remercier pour le partager d’aussi belle manière avec nous. 

Martin Scorcese en plein tournage
Une version de l’affiche destinée aux pays asiatiques
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