« Indiana Jones et le Cadran de la Destinée » restera, je le pense, le point culminant de ce phénomène étrange qu’il est coutume d’appeler le « Disney Bashing ». Pour des raisons qui n’honorent ni ne grandissent ceux qui les expriment, le phénomène, qui se répand essentiellement par le biais des réseaux sociaux, consiste à dénigrer et à ôter toute valeur artistique à un produit estampillé par la firme de la célèbre souris. A ce stade, il n’y a rien de rationnel ou d’objectif dans les argumentaires avancés. A l’opposé, je peux vous dire qu’en entrant dans la salle de cinéma avec mon ami, nous étions par avance conquis par le retour du célèbre archéologue. Je reconnais que dans ce sens également, le rationnel était à l’abonné absent. Nous étions tous deux enthousiastes à un point tel, qu’il en aurait fallu vraiment beaucoup pour que nous soyons déçus. Et même si cela aurait pu être le cas, jamais nous n’aurions cédé à ce « Disney Bashing » insensé. Entre ces deux extrêmes se trouve, comme bien souvent, la vérité concernant les réelles qualités artistiques du dernier opus de la saga d’Indy. Même s’il ne fait aucun doute que j’ai vraiment très apprécié le film, je vais essayer autant que possible d’en démontrer de façon objective les qualités ici, ne serait-ce que pour opposer un contrepoint salutaire à toutes les attaques infondées et subjectives que je vois fleurir un peu partout, et qui ont le don, je l’avoue, de m’exaspérer autant par leur gratuité que par leur manque d’impartialité.
I. « Il m’est arrivé dans la vie de voir des choses » Indiana Jones.
Le pitch du film est savoureux et comporte trois parties distinctes :
- 1 – 1945 : Indiana Jones et son ami archéologue Basil Shaw sont à la recherche de la célèbre relique la « Lance de Longinus », du nom du légionnaire qui a blessé Jésus au moment de la crucifixion. Après s’être aperçus qu’il s’agissait d’une fausse relique, ils parviennent à échapper aux nazis et à prendre la moitié du célèbre cadran des mains du scientifique Jurgen Voller.
- 2 – 1969 : Alors qu’Indy, devenu désormais le vénérable professeur Jones, est sur le point de partir à la retraite, sa filleule, Helena Shaw, fille de son ami Basil, vient le relancer dans des aventures afin de retrouver les deux morceaux du célèbre cadran. Celui-ci, une fois reconstitué, permettrait de localiser des failles temporelles. Ils sont alors poursuivis par le professeur Voller, désormais scientifique à la Nasa.
- 3 – Toujours poursuivis, Indy et Héléna sont propulsé en 213 avant J.C., au moment du siège de Syracuse à l’époque d’Archimède. Blessé, Indy veut finir sa vie dans ce passé, mais Héléna l’assomme et le ramène en 1969, où il finit par se réconcilier avec Marion.
Depuis peu, on assiste à un phénomène auquel j’ai donné le nom de « Retour des héros ». Quoiqu’on fasse, je pense qu’il s’agit d’un phénomène cinématographique auquel il est quasiment impossible d’échapper. C’est ainsi que nous avons accueilli le retour inattendu d’Obiwan Kenobi dans la série éponyme ou encore de celui de Barney Ross dans « Expendables 4 » à côté d’autres grosses franchises comme « Terminator » ou « Avatar ». A l’heure où j’écris, c’est le retour d’Axel Foley, alias Eddy Murphy qui reprends son rôle d’« Un flic à Beverly Hills » qui fait beaucoup parler de lui. De mon côté, j’attends impatiemment des nouvelles de « L’Arme Fatale N°5 », essentiellement afin de voir de quelle façon cet opus inespéré va s’intégrer dans la filmographie du réalisateur Mel Gibson, pour qui j’ai une admiration sans bornes. Le retour d’Indiana Jones, dans ce contexte, est apparu d’entrée beaucoup plus risqué puisque pour la toute première fois le film n’était pas réalisé Steven Spielberg, le « papa » historique. C’est donc James Mangold, à qui l’on doit les excellents adieux de Wolverine dans « Logan » et qui a surtout donné un de ses meilleurs rôles à Sylvester Stallone dans « Copland » en le confrontant aux acteurs de la bande à Scorcese, que l’on doit cet épisode surprenant. Et ce n’est sans doute pas une coïncidence si la thématique principale du film est le temps, et de manière plus spécifique, le rapport à la vieillesse. Cette thématique du temps, exploitée de façon crépusculaire dans « Logan », est ici omniprésente et apparait d’entrée de plusieurs manières.
- A. Le titre fait tout d’abord référence à une relique concernant le temps. A l’instar des autres objets fantastiques des épisodes précédents, ce Cadran de la Destinée est ainsi un artefact qui existe réellement. Il est connu sous le nom de « Mécanisme d’Anticythère », du nom de l’ile où il a été découvert en 1900 par des plongeurs grecs, située entre la Grèce continentale et la Crète. Depuis, il fait l’objet d’études de la part des scientifiques qu’il fascine et les années à venir pourraient encore apporter de nouvelles révélations. Il est constitué de 82 fragments, formants des sortes d’engrenages assez sophistiqués qui détonnent pour l’époque, puisqu’il est en effet daté de 200 ans avant JC. Lorsqu’il est reconstitué en entier, il forme un dispositif astronomique complexe, considéré comme le premier véritable ordinateur analogique. Certes, il ne peut permettre de manipuler le temps comme dans le film, mais il peut en revanche prédire la position du soleil, de la lune et des planètes.
- B. Le temps agit aussi sur la 1ère partie du film, qui joue la carte de la nostalgie en nous présentant une aventure inédite du jeune Indiana Jones à la recherche de la Sainte Lance, autre célèbre relique qu’Hitler a réellement recherchée. Notre héros récupère donc à la place une partie de ce Cadran de la Destinée.
- C. Cette temporalité nostalgique se poursuit à travers le style général du film, qui reprend certains gimmicks ainsi que quelques figures stylistiques caractéristiques de la saga, ramenant les spectateurs des années en arrière. C’est le cas notamment des animations du petit avion qui suit un trajet qui se dessine sur une carte lorsque notre héros voyage à travers le monde. C’est aussi bien sur le cas lors des multiples reprises du thème musical par John Williams, dont les sonorités procurent de véritables frissons.
- D. Enfin, et c’est peut-être l’aspect le plus intéressant du film, la temporalité s’affirme au travers du traitement réservé au héros lui-même, qui est particulièrement travaillé à travers son rapport à la vieillesse, comme nous allons le voir plus bas. Le film s’affirme dans l’histoire générale du personnage, et il nous est donné à voir, sur les photos éparpillées sur le réfrigérateur, Marion, l’amour de toujours, mais aussi Sean Connery, l’inoubliable père et Shia Labeouf, en fils inespéré.
- E. Dans « Logan », Mangold nous montrait déjà une figure de héros vieillissant, fatigué. Ici, nous retrouvons un Harrison Ford, acteur de film d’action, vieilli et fatigué, à l’image du héros qu’il interprète.
Ce rapport à la vieillesse d’un héros qu’on a connu et admiré est perceptible dès la deuxième exposition du personnage, celle qui débute en 1969. En effet, la première partie nous permet de retrouver le héros de notre enfance, et de nous souvenir à quel point il fut un fringant et intrépide archéologue. D’une durée de presque 30 minutes, cette introduction est tout à la fois suffisamment longue pour combler notre plaisir coupable empreint de nostalgie, mais aussi, il faut le rappeler, pour permettre aux jeunes générations d’apprécier ce héros atypique, et peut-être, espérons-le, de leur donner envie de se plonger dans ses anciennes aventures.
Lorsque la deuxième partie du film débute, en 1969, Indiana Jones est devenu Mr Jones, un professeur d’université âgé, un peu bourru et fatigué, qui part à la retraite. D’entrée, Harrison Ford n’hésite pas à s’exposer torse nu, et même si l’acteur est bien conservé, il parait évident qu’il n’est plus le jeune aventurier d’autrefois. Cette exposition du personnage torse nu est donc bien différente de celle proposé par Spielberg dans le 4ème épisode à base de cadrage sophistiquée et de jeu d’ombre.
Désormais, l’intrépide chasseur de trésors et l’explorateur de temples secret a laissé la place à un vieux professeur d’archéologie et à un historien amoureux de l’histoire ; ses aventures elles-mêmes appartiennent au passé. Les cours qu’il dispense à l’université apparaissent désormais laborieux, et la séquence fait astucieusement référence à celle désormais mythique où les jeunes étudiantes lui adressaient des déclarations inscrites sur leurs paupières dans le tout premier épisode.
Cette dimension d’un héros dont nous avons partagé toute la fougue de la jeunesse et que nous retrouvons désormais âgé m’évoque « Gran Torino » (que j’ai analysé ici), « La Mule » (que j’ai également analysé ici) et « Cry Macho » dans lesquels le grand Clint Eastwood nous démontre l’efficacité et la splendeur des héros âgés.
Comme chez Eastwood, cette thématique de la vieillesse est associée à celle des regrets : ici, c’est celle de toute une époque révolue, mais aussi celle de son couple avec Marion et de son fils trop tôt et injustement disparu. Ainsi, au fil de l’histoire, nous apprenons les évènements qu’Indy a vécu depuis la fin de l’épisode 4 : son fils est mort à la guerre, et cette perte l’a conduit à la séparation d’avec Marion. Ces explications, si elles renforcent la caractérisation actuelle du personnage, permettent un lien nécessaire avec la fin de l’épisode 4, qui semblait laisser entrevoir une Happy-end. Je ne reviendrai pas ici sur les qualités de cet épisode, injustement décrié et mésestimé à mon avis. Quoiqu’on puisse en penser, il n’en demeure pas moins partie intégrante de la saga.
Ici, nous retrouvons donc un personnage de 70 ans qui assume son âge. Cependant, à l’inverse d’Eastwood, si cette notion d’âge est rappelée régulièrement dans tout le corps du film, cela reste surtout au niveau de l’oralité, car les nombreuses scènes d’actions et les courses poursuites démontrent au contraire toute la vivacité physique du personnage.
La nostalgie du film se manifeste dès le début, puisque la première partie du film nous permet de retrouver un Indiana Jones au zénith de sa carrière, aussi jeune que dans le tout premier épisode, affrontant ses ennemis préférés, les nazis, et sur la piste d’un artéfact antique, à connotation religieuse, la Sainte Lance, relique de la Passion du Christ.
Les critiques les plus injustes, celles qui m’ont le plus agacé, concerne l’âge d’Harrison Ford. A la lecture de ces commentaires aussi faciles qu’accablants, le fait d’avoir 80 ans ne permettrait plus à l’acteur d’incarner un fougueux aventurier. Le crétinisme de cet argument, je pouvais le constater chaque jour en allumant ma télévision lorsque je tombais sur le spot publicitaire pour Paramount+ et que je voyais la bande annonce musclée de « Yellowstone » dans lequel Harrison Ford fait du cheval et joue du colt. Cela rend parfaitement cohérent les scènes d’actions de ce 5ème opus, dans lequel Indy nous gratifie d’une sublime course à cheval et manie également le colt. Beaucoup l’ont rappelé, comme une évidence, l’acteur est en parfaite forme, et nous devrions nous en réjouir. A l’instar de plusieurs de ces héros iconiques, dont Stallone, qui reprend son rôle de Barney Ross dans « Expendables » à 76 ans et Schwarzenegger qui ne rechigne jamais aux scènes d’actions dans ses films. Le fait qu’ils soient doublés n’est pas différents des doublures cascades pour n’importe lequel des autres acteurs. Même Tom Cruise qui effectue d’incroyables cascades, dispose de doublures. Ces arguments qui s’appuient sur l’âge ne sont donc pas valables, et nous devrions plutôt nous réjouir que l’âge ne cantonne pas ces acteurs dans un type de rôle.
En effet, il aurait été facile de penser que le rôle de Phoebe, dynamisée par son jeune âge, assurerait la plus grande partie des cascades. A la vue du résultat final, il n’en est rien et c’est bien Harisson Ford lui-même, qui démontre ainsi une forme physique assez éblouissante, qui assure le maximum de scènes d’actions en tout genre : courses poursuites à pied, à cheval, bagarres en tout genre, etc. Rappelons qu’à l’heure où j’écris ces lignes, Harisson Ford est à l’affiche de la série « 1883 » pour laquelle il effectue la aussi de multiples scènes d’action, et notamment des chevauchés à cheval, sans que personne du reste n’ai songé à critiquer son âge.
Harrison Ford l’a déclaré lui-même : il dit adieu à son personnage emblématique avec cet épisode. Plutôt que de le brocarder pour toutes sortes de raisons, et notamment en raison de son âge, on devrait plutôt louer et s’extasier devant sa performance, d’autant plus qu’il a tenu à assumer, par souci de réalisme, la plupart de ses cascades. Plus que jamais, l’acteur apparait irremplaçable dans le rôle qu’il a créé. On a pu voir d’ailleurs combien la seule tentative pour le remplacer, dans le film « Solo » fut soldé par un échec cuisant. Même si le film, en lui-même, n’est pas forcément mauvais, le fait de voir un autre acteur dans la peau de Han Solo suffit pour nous faire sortir complètement de l’histoire. De la même façon, il y a peu de chance, à mon avis, pour qu’un autre acteur, aussi charismatique soit-il, reprenne un jour le chapeau et le fouet du célèbre archéologue. Le final de l’épisode 4 est suffisamment explicite : au moment où Shia LaBeouf, en digne héritier, va se saisir du célèbre couvre-chef, c’est bel et bien Indy qui s’en saisit au dernier moment. Et le final de ce 5ème épisode n’est guère diffèrent : au moment où l’on croit le célèbre archéologue définitivement retiré, il se saisit du chapeau juste avant le fondu au noir. Ce faisant, ce n’est plus pour retourner partir à l’aventure mais pour signifier qu’en réalité, quoiqu’il arrive, il ne cessera jamais d’être Indiana Jones.
L’ensemble des autres personnages que nous retrouvons a également vieilli, John Rhyes Davis dans le rôle de Sallah Faisel el-Kahir et bien sûr Karen Allen. Je pense sincèrement qu’on ne peut qu’être touché par la séquence des retrouvailles avec Marion Ravenwood. Comme dans tout le film, mais peut-être particulièrement ici, aurons-nous des frissons en retrouvant cette belle partition de John Williams, qui nous offre ici une de ses dernières compositions, comme une sorte d’hommage flamboyant en déclinant ses thèmes adulés.
II. « Attachez-vous Professeur, nous ne sommes pas à l’abri des turbulences » Jurgen Voller
Spielberg a toujours amené beaucoup de lui-même dans ses films, et pour Indiana Jones, qu’il a créé conjointement avec Georges Lucas, il a cherché à rendre un hommage permanent aux films d’aventures à l’ancienne. Pour souligner le tout, le réalisateur a puisé sa source d’inspiration chez Tintin. Il finira d’ailleurs plus tard par réaliser son propre Tintin en 2011 : « Le Secret de la Licorne ». La fantaisie permanente qui laisse de côté tout réalisme est une caractéristique intrinsèque et acceptée dans la Bd : Tintin passe d’une situation à l’autre et se tire de toutes les situations au moyen d’artifices qui tombent toujours fort à propos. Il n’en est pas autrement pour le héros de Spielberg, jusque dans cet épisode 4 si contesté : Indy rattrape des voitures en pleine course en se balançant de liane en liane, échappe à une explosion atomique en se réfugiant à l’intérieur d’un réfrigérateur, ou encore passe successivement plusieurs chutes d’eau de 80 mètres chacune sans aucun dommage. Hitchcock a lui-même eu recours à ce réalisme de fantaisie, notamment dans « Jeune et innocent », où les deux héros échappent à leur poursuivant et surgissent à une réunion où ils sont immédiatement pris pour des conférenciers. Hitchcock s’en est expliqué à Truffaut en baptisant de façon très ironique les critiques faites à ce sujet « « Mes amis les réalistes ». Spielberg a-t-il mal digéré les critiques de ce 4ème opus ? Quoiqu’il en soit, c’est James Mangold qui hérite de la difficile charge de clore une saga mythique de l’histoire du cinéma. Mangold reprend à son compte cet improbable enchainements de péripéties qui laisse très peu de temps aux protagonistes et aux spectateurs pour souffler. Les séquences s’enchainent avec très peu de temps mort.
La première partie nous permet de retrouver et d’apprécier à nouveau tout l’humour et toute la maestria indissociable du personnage, autant d’éléments dont on a en effet l’impression que seul Harrison Ford sait manier de façon aussi subtile. Peut-être est-ce dû au fait que l’acteur, comme on l’a dit plus haut, est indissociable du personnage qu’il a créé.
Cette première partie offre également une démonstration de la toute-puissance de cet effet de rajeunissement qui m’impressionne tant. J’avoue qu’à ce stade, j’ai beaucoup de mal avec toutes ces polémiques véhiculées par ceux qui semblent examiner chaque image à la loupe pour mieux critiquer certaines imperfections ou d’autres approximations. Pour ma part, je pense que cette technique du D-Aging est certes perfectible, mais elle s’améliore de film en film et certainement, continuera encore d’évoluer, et c’est justement grâce à ce genre de film que ce type d’effets gagnera en qualité. Je le répète donc : je suis pour ma part impressionné chaque fois que cette technique est utilisée, quelle que soit la pertinence relative à son utilisation. Le plaisir que j’ai éprouvé en retrouvant le jeune Indy est comparable à celui qui fut le mien à la vue du jeune Luke Skywalker dans « The Mandalorian ».
Il faut aussi le souligner : tous les autres acteurs sont impeccables, investis dans leurs rôles et semblent prendre un réel plaisir à participer à cette nouvelle aventure.
Héléna Shaw : Il faut également reconnaitre que Disney a justement et de façon très intelligente évité de créer un personnage trop féministe, comme on pouvait le craindre a à la vue de ses dernières productions, avec Héléna. Réalisatrice, productrice et scénariste, notamment de « Killing Eve » et de « Mourir peut attendre », Phoebe Walter-Bridge a su trouver un équilibre difficile pour incarner d’Héléna Shaw, la filleule d’Indy. Elle parvient en effet à conjuguer un personnage de femme forte, intelligente et ambitieuse, tout en ne prenant jamais le pas sur Indy, comme pourtant on aurait pu le croire. En effet, Shia LeBeouff, dans l’épisode 4, tendait à s’imposer comme l’héritier légitime et le successeur. Ici, Héléna est aussi une amoureuse de l’Histoire, et on comprend que sa passion provient autant de son père, ancien compagnon d’armes d’Indy, que d’Indy lui-même. A aucun moment cependant, le spectateur ne peut imaginer qu’elle prenne sa place. Au fur et à mesure que l’histoire avance, elle développe même une véritable empathie. C’est elle qui, surgie de son passé, replonge Indy dans le sien en l’arrachant à son présent désormais dénué de sens, avant de l’extraire de ce final dans l’antiquité pour le ramener jusqu’à Marion.
Teddy Kumar, incarné par le jeune français Ethan Isidore, le jeune personnage rappelle forcément le Demi-Lune du 2èmeépisode, « Indiana Jones et le Temple Maudit ». Sympathique au demeurant, on ne s’étonne plus guère qu’il sache piloter, fort à propos, un avion dans la troisième partie. Comme on l’a dit plus haut, on est clairement ici dans le réalisme de Tintin, où tout semble possible et arriver à point nommé.
Jurgen Voller : Mads Mikkelsen est un de mes acteurs préférés, capable de créer de grands personnages et de prendre des risques sur ses choix de carrière. Son bonheur et sa fierté étaient perceptible lorsqu’il est venu à Cannes présenter le film en avant-première accompagné de toute l’équipe du film. En gentleman, il a cédé sa place sous le feu des projecteurs à Harrison Ford et déclarait haut et fort son admiration pour son partenaire : « Je suis honoré ». Au demeurant, il devient un des rares acteurs a avoir interprété un grand méchant dans deux séries cinématographiques iconiques : Indiana Jones et James Bond. Effectivement, après avoir été impressionnant en incarnant « Le Chiffre » dans « Casino Royale », il interprète ici Jurgen Voller, un savant nazi expatrié aux Etats-Unis. Son interprétation charismatique vient rappeler qu’effectivement des savants qui avaient travaillés avec plus ou moins de convictions pour le régime nazi furent recrutés par les services américains, notamment au sein de la Nasa. Une scène explicite sa façon d’appréhender la société d’après-guerre et fournit à l’acteur une occasion d’exprimer tout son talent : Voller est assis à la table d’un hôtel et se fait servir par un serveur de couleur. Il lui adresse : «Vous vous sentez vainqueur là, en ce moment ? » La gêne du serveur est perceptible et se transmet même au spectateur. En lui faisant cette réflexion, destiné à le mettre mal à l’aise, il vient lui rappeler que les hommes de couleur se sont battus et ont risqué leur vie pour un idéal de liberté et un pays, et qu’au final, à leur retour, ils se sont retrouvés au service des blancs et soumis à un racisme ordinaire. Dans la bouche de Voller, « au service des blancs » revient à dire « au service des américains », certes, mais aussi, ici en l’occurrence, « au service des allemands ». Il réaffirme la vacuité de la défaite allemande puisqu’il se présente en situation de vainqueur, de dominant. L’Amérique est donc à la fois coupable de permettre ce système de supériorité de la race blanche, mais aussi de permettre à d’anciens nazis d’occuper une situation sociale et professionnelle de premier plan. Au final, il enfoncera sa démonstration : « C’est toi qui a porté mes valises dans ma chambre, ce sont des gens comme toi qui ont fait le lit ou je vais dormir et c’est encore des gens comme toi qui viendrons me servir quand je commanderais mon repas au Room service. »
Renaldo : Seul Antonio Banderas est à mon avis sous exploité. La séquence d’exploration sous-marine est d’ailleurs assez mal exploitée, et constitue même un des seuls creux dans le rythme général du film. Malgré tout, la disparition tragique de son personnage est là pour rappeler que malgré la bonne humeur générale, vivre ces aventures est dangereux et que la mort est possible pour les personnages. Lorsque Héléna est joyeuse d’avoir échappé aux méchants et se félicite de reprendre le chemin de l’aventure, Indy la reprends vertement : « je viens quand même de perdre un de mes vieux amis ».
En 1969, les héros ne sont plus les cow-boys, ils sont remplacés par les astronautes. Disney a développé cette idée avec le génial « Toy Story », dans lequel Woody le cow-boy, jouet préféré du jeune Andy, est remplacé par Buzz l’éclair, un astronaute.
Néanmoins, en cette période, le vieux professeur Jones semble insensible à l’évènement planétaire et historique des premiers pas de l’Homme sur la Lune. Dans le métro, il apparait déconnecté avec le monde qui l’entoure et désabusé devant l’enthousiasme des gens qui l’entourent et de la presse pour les astronautes. Un peu plus tard, la scène de la poursuite à cheval durant le défilé des nouveaux héros de l’Amérique nous permet de voir un Indy à cheval rattrapant et dépassant le véhicule des trois astronautes. Ils ont a peine le temps de s’échanger un vif regard, qu’Indy continue sa progression, montrant que les moyens les plus classiques, comme le cheval, est supérieur aux véhicules modernes. On peut y voir également, par extrapolation, une volonté de montrer que les problèmes sur Terre sont plus importants que ce qui se passe dans l’espace. Cela nous ramène aux débats actuels qui posent la question de la pertinence d’investir plusieurs milliards dans l’espace au lieu de les utiliser pour traiter les problèmes économiques et climatiques sur la Terre.
III. « Ça, je l’ai cherché toute ma vie » Indiana Jones
Je dois l’avouer, je me sens parfois seul lorsque je défends l’épisode 4 « Indiana Jones et le Royaume des Cranes de Cristal ». Est-ce parce que j’ai eu également la chance de le voir au cinéma que je l’apprécie autant ? Je me souviens qu’à l’époque, les réactions face au retour inespéré autant qu’attendu du plus célèbre des archéologues avait suscité à peu près les mêmes sortes de polémiques : l’âge avancé du héros, la disparition de la magie des premiers films, la succession de séquences improbables, le jeu inconstant de Shia Leboeuf. Nous avions alors dit adieu à notre héros sur une assez belle image de fin, dans lequel il récupérait in extremis son chapeau à la fin de son mariage avec Marion, et nous ne pensions plus pouvoir le revoir un jour. A l’époque, j’avais analysé la subtile mise en scène de Spielberg lorsqu’il expose son héros au début du film : jeux d’ombres astucieux, cadrages ingénieux nous permettaient de découvrir la silhouette du plus célèbre des archéologues de façon claire seulement à partir du moment où il enfile son célèbre chapeau, un peu comme si cet accessoire iconique caractérisait indéniablement le personnage. Ce chapeau qui reviendra occuper une place centrale dans la toute fin du film, et qui, dans ce 5ème épisode également, fera de même dans la séquence finale.
James Mangold ne pouvait évidemment pas échapper à la comparaison avec Spielberg. Forcément. Admirablement filmées, les scènes d’actions sont toutes un régal visuel, dont l’étirement assumé prolonge le plaisir coupable qui consiste à admirer notre aventurier en action. C’est un véritable feu d’artifice de courses poursuites époustouflantes, dont la longueur assumée est jouissive. Celles-ci sont filmées, de manière paradoxale, avec une sorte de réalisme qui vient rappeler les anciens films d’aventures. Cet aspect ancien est revendiqué au moyen de quelques séquences explicites : une course à cheval montre sa supériorité face à son poursuivant à moto, un bombardier allemand est vaincu par les flèches et les catapultes des guerriers grecs antiques.
Ce faisant, Mangold, qui est ici à la fois coscénariste et réalisateur, a voulu de façon très claire rendre un hommage à ce héros iconique. Il utilise les Cuts à merveille, comme un modèle du genre, afin de dynamiser encore les scènes d’actions. Cela lui permet également peut-être de cacher l’âge de l’acteur.
Le scénario, dans son ensemble, est extrêmement généreux et mêle astucieusement séquences d’actions vertigineuses et moments de pure nostalgie. Estampillé Disney, cet épisode ne propose pas de séquences difficiles, comme, par exemple, le final assez effrayant du 1er opus, et c’est ce qui fait de ce dernier épisode peut-être le film qui s’adresse le plus aux enfants.
L’histoire proposée par James Mangold est ainsi linéaire, ce qui donne un scénario modèle de clarté, dans lequel le spectateur n’est jamais perdu face à une trajectoire globale qui tient toutes les promesses qu’on pouvait en attendre à la vue des épisodes précédents. Cependant, le final, dont nous allons parler, recèle autant son lot de surprises que de difficultés : est-il envisageable qu’Indy rejoigne son passé pour y mourir ?
S’il s’avère que, véritablement, ce film est le dernier de la saga, et si, en cherchant bien, je devais émettre quelques regrets, cela serait à mettre au compte des séquences que le film laissera à la postérité. Car en effet, j’aurais vraiment souhaité que ce dernier épisode comporte au moins deux éléments emblématiques afin qu’il puisse fièrement figurer au côté des épisodes précédents et trôner ainsi au panthéon du cinéma :
- Une course poursuite avec des éléments iconiques et inoubliables. Je pense à la course poursuite en wagon dans les tunnels du 2ème épisode qui a marqué l’histoire au point que la scène est reprise dans plusieurs films d’action et figure même, plus ou moins officiellement, comme attraction dans des parcs à thème, et pas seulement ceux de Disney. Je pense aussi à la grosse boule dans le tunnel que notre héros doit éviter dans le 1er opus et à laquelle je pense toujours, je vous l’assure, dans certaines parties de jeux d’aventure que je pratique. Elle figure d’ailleurs de façon assumée dans un de mes jeux fétiches : Heroquest.
- Une séquence d’exploration de temple secret qui soit grandiose, comparable à celle des 1er et 3ème épisode. Ici, le sarcophage d’Archimède m’a paru, avec du recul, un peu trop modeste à mon gout. J’aurais aimé une séquence un peu plus fastueuse qui l’aurait rendu inoubliable.
Nous l’avons dit, le film n’est pas exempt de polémiques, et l’on peut même dire que chaque partie du film a suscité son propre débat. Nous en avons abordé quelques-unes plus haut :
- Dans la partie 1, le débat s’articule autant sur la pertinence que sur l’efficacité du D-Aging.
- Dans la partie 2, les réflexions portent essentiellement autour de la succession des scènes de poursuite, sur la pertinence de leur longueur et sur l’âge d’Harisson Ford.
- La partie 3, enfin, est certainement celle qui concentre le plus de débats, puisqu’elle clôt la série entière. L’idée générale du scénario, qui tourne autour d’un artefact permettant de voyager dans le temps est amené jusqu’au bout : à la poursuite des méchants, Indy et ses compagnons traversent le temps mais au lieu de retrouver le Führer comme prévu, ils se retrouvent projeté dans la Grèce antique d’Archimède. Les irrégularités du tombeau trouvent ainsi une explication logique : l’avion sur les bas-reliefs et la montre retrouvé dans le sarcophage.
Cette dernière demi-heure, comme dans chacun des autres films, bascule dans le surnaturel, voire la science-fiction. Elle offre une porte de sortie fantastique au personnage, et à laquelle j’ai personnellement cru. En effet, comment rêver une meilleure conclusion, après avoir expliqué le décalage de notre héros avec le monde moderne, que de permettre à notre aventurier archéologue de se fondre dans l’objet de toutes ses passions, et de finir sa vie au cœur de l’Histoire qu’il n’a cessé d’étudier et d’approcher. Je pense que beaucoup, sans être archéologue pour autant, mais amateur d’Histoire en général, ne demanderaient pas mieux.
Ce final m’apparait aussi osé que celui de 4ème opus qui a pourtant tant choqué, et je comprends qu’il ait pu surprendre. Cependant, Mangold réussit à nous surprendre une dernière fois en proposant une fin bien différente, faisant la part belle à la tendresse. En remettant Marion dans la vie d’Indy, celle-ci lui offre une promesse d’un futur plus serein, en commençant par guérir les blessures anciennes, et dans laquelle la nostalgie du spectateur est une dernière fois convoquée pour une scène de « bisous de guérison ».
Pourtant cette fin est, selon moi, aussi ambigu que celle du 4ème épisode, qu’elle vient nous rappeler. En effet, à la fin du 4ème épisode, Indy et Marion se marient en présence de leur fils. Une bourrasque fait s’envoler et rouler le chapeau de l’aventurier jusqu’aux pied de Shia Leboeuf. Si celui-ci le ramasse, l’idée de passage de flambeau est alors évidente. Cependant, au dernier moment, Indy surgit et s’en empare. L’image finale de ce 5ème épisode tourne également autour du célèbre couvre-chef, qui est accroché sur un balcon pendant qu’à l’intérieur les retrouvailles émouvantes entre Indy et Marion se poursuivent. Le fondu au noir laisse à peine le temps de voir la main d’Indy surgir à travers la fenêtre afin de s’emparer du célèbre couvre-chef. L’idée d’adieu à notre aventurier désormais rangé, et, en général, de la mise au placard des icones est presque évidente, mais le spectateur n’a guère le temps de s’y faire. Cette fin est donc ambigüe dans la mesure où, finalement, elle nous ramène à la fin du 4ème épisode : tout semblait fini, mais une nouvelle aventure et de nouveaux challenges peuvent encore subvenir. En tant que spectateur, nous ne sommes donc plus très sûr d’avoir assisté à la conclusion de la saga, mais plutôt à un nouvel épisode.
Au-delà de cette thématique de la vieillesse dont nous avons amplement parlé, la morale du film est également remarquablement amenée. Effectivement, celle-ci peut se résumer de cette manière : c’est en assumant sa véritable nature que l’on peut vivre sa vie pleinement. Ici, Indy, présenté comme éteint et désillusionné lors de son départ à la retraite, retrouve et s’abandonne à sa véritable nature d’aventurier explorateur et c’est de cette façon qu’il parvient à se sauver lui-même. En effet, si sa filleule n’était pas venue réveiller en lui des sentiments et des idées enfouies, on peut imaginer qu’il serait peut-être mort seul et tristement. Avec cette fin inattendue proposée par Mangold, ce solitaire se crée une véritable famille, entouré de Marion, d’Héléna et du jeune Teddy Kumar. Sa filleule elle-même essaie de recréer une relation filiale qu’elle n’a peut-être pas eu avec son père, en trouvant une figure paternelle en la personne d’Indy.
Conclusion
A l’aurée de tout ce que nous venons de dire, de cette fin somme toute ambiguë, nous sommes en droit de nous poser la question qui nous brule les lèvres : est-on vraiment en présence de l’épisode final ? A-t-on véritablement assisté à la toute fin ? Est-ce vraiment le dernier chapitre ? Même si Harrison Ford a déclaré en avoir officiellement fini avec son personnage, serait-il cependant envisageable de poursuivre l’univers d’Indy avec le personnage incarné par Phyllie Walter bridge ?
Quoiqu’il en soit, en guise de conclusion, on peut toutefois affirmer qu’« Indiana Jones et le cadran de la Destinée » est véritablement un film intergénérationnel : si la 1ère partie réjouit les fans de la première heure, comme on l’a dit, elle a le mérite d’également faire découvrir l’Indy légendaire aux plus jeunes.
Si l’on oublie un peu les films précédents et que l’on se penche uniquement sur cette œuvre, en le considérant comme un film indépendant, on est face à un très bon film d’aventure, dont la générosité constitue un hommage vibrant à ce type de héros ainsi qu’à ce genre de film tel qu’il fleurissait dans les années 50 à 60. En effet, si l’on regarde l’histoire du cinéma, le « film d’aventure » constitue une part du cinéma genre, au même titre que le western ou le film historique par exemple, et il dispose de ses codes et de ses œuvres incontournables parmi lesquelles il faut citer « Le tigre du Bengale » ou « Le Tombeau hindou ». Spielberg, avec « Les aventuriers de l’Arche perdue » n’a jamais caché avoir voulu rendre un hommage vibrant et moderne à ce genre cinématographique alors déjà déclinant. Mais ce dernier opus, s’il retrouve avec bonheur toutes les aspirations, toute la légèreté et tous les standards du genre, va encore plus loin puisqu’il nous propose en toile de fond une réflexion touchante sur la vieillesse en général, et plus particulièrement sur celle de ce type de héros. En cela, j’ose le dire, « Indiana Jones et le Cadran de la Destinée » figure peut-être parmi les meilleurs films de la saga toute entière.
Les critiques auront beau jeu de le jeter aux orties, s’appuyant sur le « Disney Bashing », mais, très honnêtement, je les questionnerais alors sur la réelle pertinence de leurs arguments. Qui y a-t-il, en somme, de si irrévérencieux ? Le film coche de façon très généreuse toutes les cases de ce qui constitue une sorte de « Standard Indy » : de l’aventure, de l’archéologie, la confrontation avec les nazis, et enfin deux objets mystérieux : la sainte Lance et le Cadran de la Destinée. A titre personnel, j’adore toutes les histoires de voyages à travers le temps et je ne peux que me réjouir d’une intrigue qui explore cette thématique. Cet Indy la ne pouvait donc que me satisfaire et me faire jubiler. Dès lors, je pense pouvoir affirmer qu’il est impossible de voir, honnêtement, ce que l’on peut reprocher à ce film et, de façon plus générale, comment ne pas l’aimer. En même temps, il faut rester conscient qu’il est toujours extrêmement difficile de contenter tout le monde, conformément à ce phénomène d’appropriation personnelle que j’ai amplement développé dans mon article consacré à Star Wars VIII. A l’heure où j’écris ces lignes, les débats autour du « Napoléon » de Ridley Scott ne sont toujours pas retombés, et j’aurais l’occasion de participer à ce débat puisque j’y consacrerai d’ailleurs mon prochain article.
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