Napoléon – Version Director’s Cut

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J’ai toujours voué une immense passion pour Napoléon, et pour tout ce qui s’y rattache de près ou de loin. Pour moi, ces deux périodes de la Révolution française et du 1er Empire sont fascinants à bien des égards. Entre la Légende dorée et la Légende noire, entre la légende héroïque et la véracité historique liée à une période riche en évènements, tout est vraiment fascinant car ce sont des périodes fondatrices pour notre histoire. Cette fascination dépasse parfois la raison, je l’avoue, car elle me conduit à collectionner un peu tout et n’importe quoi qui se rapporte à l’Empereur. Ceux qui me connaissent dans la vraie vie le savent bien. Il suffit de venir chez moi pour en avoir la confirmation, car au-delà de la multitude d’ouvrages historiques et rigoureux, de bustes et d’objets de toute sorte, je suis même allé jusqu’à peindre moi-même des portraits de l’Empereur que j’ai encadré de façon qu’ils ornent mes murs. L’empereur Napoléon fait donc ainsi toujours partie de ma vie et de mon quotidien, car pas un seul jour ne se passe sans que je l’aie sous les yeux, sous une forme ou sous une autre. 

L’empereur a même conditionné, dans une certaine mesure, l’orientation de mes études, que ce soit en Histoire tout d’abord, puis en Master Arts du Spectacle et Médias, où j’ai travaillé sur Napoléon durant la Révolution et durant le 1erEmpire. Sous l’égide d’un directeur de recherches exceptionnel, Mr Bret-Vitoz, j’ai pu concentrer mes travaux de recherche sur l’aspect artistique de sa vie, notamment en ce qui concerne l’art théâtral. J’ai ainsi eu le privilège de démontrer qu’en plus du Héros, du génie militaire et du législateur réformateur exceptionnel, rôles pour lesquels il est unanimement reconnu, il était également un homme véritablement passionné de théâtre, et qu’il avait endossé le rôle et les fonctions de metteur en scène et de directeur de troupe, à une époque où ces notions n’étaient pas encore établies avec tout le sens qu’on leur attribue aujourd’hui. 

De l’Histoire à la Légende, il n’y a qu’un pas qui m’a conduit à m’intéresser à ce Napoléon apocryphe, celui qui a conquis l’Angleterre, puis les Etats-Unis, et pour finir le monde entier. Au cinéma, cela s’est très bien traduit par « Monsieur N » d’Antoine de Caunes dans lequel Napoléon, superbement campé par Philippe Torreton, parvient à s’évader de Sainte-Hélène. Cet aspect légendaire, c’est Napoléon lui-même qui l’a initié en réécrivant sa propre histoire dans le célèbre « Mémorial de Sainte Hélène ». C’est le début de ce que l’on appelle la « Légende dorée », qui contraste avec la « Légende Noire » crée par les anglais afin de discréditer l’homme et son influence.

De l’Histoire à la légende, il n’y a qu’un pas donc, et ce pas, Ridley Scott vient de le franchir à son tour en donnant sa propre version de « Napoléon ». 

Forcément, à l’aulne de mon parcours universitaire et artistique, je guette et j’apprécie chacune des apparitions de l’Empereur au cinéma. Comme beaucoup, j’ai donc obligatoirement été très enthousiaste lorsque j’ai appris que Ridley Scott, réalisateur autant sous côté par un courant critique que plébiscité par le public, avait choisi Joaquin Phoenix, à la fois un de mes acteurs préféré et un porte-parole de la cause animale qui m’enchante à chacune de ses interventions, pour interpréter notre cher Empereur. Quand je dis que j’ai « appris », cela veut bien dire que je fais partie de ceux qui ont suivi l’évolution de ce projet depuis les toutes premières rumeurs du film, dont le titre était « Kit Bag ».

L’affiche initiale de «  Kitbag »

« Kit Bag » est le terme donné a une sorte de sac de voyage dans lequel les soldats pouvaient ranger toute leurs affaires. Le scénariste du film, David Scarpa, qui a dû mener un long travail de recherche historique pour le film, déclare : “Auparavant, la plupart des armées du reste du monde étaient dirigées par hérédité : vous receviez un poste de général en fonction de qui était votre oncle ou qui était votre père, et ces personnes n’étaient pas nécessairement les plus compétentes. Napoléon a fait exploser ça.” Selon Ridley Scott, « Kit Bag » cristallisait cette notion d’ascension aussi bien sociale que militaire, et se réfère à un dicton célèbre de l’époque : « chaque caporal porte un bâton de général dans son sac ». Le titre fait donc référence à la notion de méritocratie, illustrée par la séquence où Napoléon, à la suite du siège de Toulon, est élevé du grade de Capitaine à celui de Général par Barras. 

Lorsqu’enfin, le film est sorti en salle sous son titre définitif de « Napoléon », je ne me suis pourtant pas précipité pour aller le voir. La raison est que je savais que personne au monde, fut ce Ridley Scott lui-même, ne peut sérieusement parcourir toute l’épopée impériale en un seul film. Il s’agissait donc forcément d’une version tronquée et écourtée, et il fallait que j’attende la version longue, que le réalisateur a d’entrée annoncée, plus complète, pour me faire une idée précise. Cette nouvelle attente fut alors assez longue, et rendu difficile par la somme assez conséquente de critiques que le film a accumulée contre lui, notamment de la part des historiens, et plus particulièrement de la part de ceux que j’admire le plus comme Jean Tulard. 

Grace à Apple, producteur du film, nous avons donc droit en ce mois d’Avril 2025, soit presque 2 ans après sa sortie officielle sur grand écran, à la version « Director’s Cut » de « Napoléon » sur AppleTV. Au vu de cette avalanche de critiques, j’avais fini par me préparer à un désastre. Je vais tenter de démontrer ici que, bien au contraire, il s’agit pour moi d’une version incontournable et que, sur bien des points, il s’agit peut-être d’un des tout meilleurs films de Ridley Scott.

 I. « Je suis le premier à reconnaitre mes erreurs…..seulement, je n’en fais jamais » Napoléon 

Les critiques sur ce film constituent pour moi un paradoxe. Elles sont d’ailleurs toutes entières contenues dans la bande annonce du film, qui annonçait déjà les intentions et le point de vue du réalisateur. On peut y voir :

  • Napoléon ordonnant de tirer sur les pyramides,
  • Le jeune Bonaparte assister à l’exécution d’une Marie- Antoinette à la large chevelure, 
  • L’Empereur charger au sabre lors des batailles. 

Évidemment, ces inexactitudes historiques, ajoutées à la vision d’un Napoléon intime pas toujours flatteuses, dont nous reparlerons plus tard, ne pouvaient qu’excéder l’ensemble des critiques et des historiens, essentiellement francophones. Je vais d’ailleurs expliquer chacune de ces trois séquences plus bas. Le bashing du film fut tel qu’on le qualifia même de pamphlet anti-français. Jean Tulard lui-même, pour la première fois peut-être, m’a même légèrement déçu, en ne machant pas ses mots envers Ridley Scott et David Scarpa. En effet, le spécialiste français du 1er Empire, cinéphile de surcroit, s’est montré d’une extrême sévérité sur le film en général et sur son scénario en particulier. 

Tous ont oublié une chose fondamentale : le film est une évocation historique. Ce n’est pas un documentaire précis. Ce n’est pas un biopic réaliste, et il ne prétend surement pas non plus restituer une reconstitution exacte et rigoureuse, en espérant s’approcher au plus près d’une forme de rigorisme historique. Le film que nous livre Ridley Scott n’a jamais prétendu être autre chose qu’un simple divertissement, certes basé sur des faits historiques réels. En cela, son film s’inscrit parfaitement dans la filmographie et dans le style du réalisateur, qui nous a donné auparavant « Gladiator » ou encore « Kingdom of Heaven ». Par essence, le cinéma nous abreuve de reconstitutions d’évènements de toutes sortes. Les plus grands films historiques recréent des scènes, restituent des conversations entières, donnent à voir des moments forts à travers le prisme d’un réalisateur. Ces œuvres qui jalonnent le cinéma presque depuis sa création permettent de partager une vision et un point de vue que l’auteur choisi d’explorer et de nous offrir. D.W.Griffith et sa « Naissance d’une nation » en sont un exemple que je cite régulièrement. 

Personnellement, je me rappelle qu’après avoir visionné « Gladiator », j’ai effectué des recherches sur Internet afin de vérifier l’exactitude des faits historiques relatés dans le film, notamment autour du règne de l’empereur Commode. Quelques années plus tard, le cinéphile que je suis a même découvert que le scénario était très fortement inspiré de celui de « La chute de l’Empire romain » d’Anthony Mann. 

Avec son « Napoléon », Ridley Scott se penche à nouveau sur la période napoléonienne qu’il a abordé déjà dans son tout premier film « Les duellistes » en 1977. A l’époque, les spécialistes ont loué la « Production design », et en particulier le soin apporté à la fidélité des costumes. C’est à l’issue de celui-ci que le réalisateur a eu le souhait de faire ce « Napoléon », projet qu’il aura donc mis 46 ans à concrétiser.

L’image finale du film “Les duellistes”, qui évoque Napoléon observant le monde
“Napoléon à Sainte-Hélène” par François Joseph Sandmann, peint en 1820.

Même pour « Braveheart » de Mel Gibson, je n’ai pas le souvenir d’un tel déferlement de critiques liés à l’exactitude historique. Pour finir, je pense que tous ces historiens et autres pseudo-critiques auraient mieux fait d’analyser des docu-fictons et de porter leur attention sur les nombreux documentaires qui ne manquent pas sur le sujet, plutôt que de s’en prendre à une œuvre de pur divertissement.

Cette question de fidélité dans une reconstitution historique est assumée par le réalisateur, selon moi, à travers la séquence du sacre de Napoléon à Notre-Dame de Paris. Ridley Scott construit un plan qui est une quasi-reconstitution, assez jouissive pour moi, du célèbre tableau « Le sacre » de Jacques-Louis David, une impressionnante toile de 6m sur 10 que j’ai eu l’occasion d’admirer au Musée du Louvre à Paris.  C’est alors que sa caméra s’abaisse légèrement jusqu’à laisser apercevoir le peintre lui-même en train d’esquisser l’ébauche de son futur tableau. A ce moment-là, comme le réalisateur, David a reconstitué une réalité, en faisant par exemple figurer la mère de Napoléon bien placé au centre de son tableau alors qu’en réalité elle était absente lors du couronnement. Pourtant, il ne viendrait pas à l’idée des historiens de critiquer cette fausse reconstitution. Cela montre bien la vacuité des critiques portant sur la fidélité historique du film. La démonstration aurait été totale si selon moi, la caméra avait prolongé son mouvement jusqu’à laisser percevoir Ridley Scott lui-même. 

Cette scène du sacre constitue un grand moment de jubilation pour tout admirateur de l’Empire, puisqu’en reconstituant de façon méticuleuse le célèbre tableau de David, elle lui donne littéralement vie. Le plus grand soin est apporté aux costumes, au décor ainsi qu’à la lumière. C’est d’autant plus spectaculaire que la scène n’a pas été tourné à la cathédrale Notre-Dame de Paris. D’ailleurs, soulignons ici au passage qu’aucune des séquences du film n’a été réalisé en France. Dans une sorte de préscience de l’art cinématographique, Napoléon a déclaré au sujet de ce tableau : « Ce n’est pas une peinture. On vit, on marche, on parle dans ce tableau. »

On peut aller plus loin dans la signification de cette scène. En effet, Ridley Scott fait dire à Napoléon une célèbre tirade lorsqu’il se saisit de la couronne : « Je n’ai pas volé la couronne, je l’ai trouvé dans le ruisseau. C’est le peuple qui me la donne ». Si elles n’ont pas réellement été prononcé lors de la cérémonie, ces paroles font référence à de véritables propos que l’empereur a laissé par écrit. Serge Lama, lors de son spectacle musical consacré à l’empereur dont nous allons reparler plus bas, les a mis en musique de fort belle manière en conservant l’exactitude des tournures verbales. 

Cette dimension picturale de la scène du sacre, dont bien peu ont en réalité parlé, se retrouve à plusieurs endroits du film : 

  • L’affiche du film reproduit le célèbre tableau « Napoléon 1er à Fontainebleau » peint par Paul Delaroche en 1840, et exposé au Musée de l’Armée à Paris.
  • Une autre affiche reproduit “Napoléon franchissant les Alpes” de Jacques Louis David
  • « Le Sacre de Napoléon », tableau immense de 6 m sur 10 dont nous avons parlé plus haut, peint par Jacques Louis David, peintre officiel de Napoléon entre 1805 et 1807, et exposé au Musée du Louvre. 
  • « Bonaparte devant le Shinx » peint Jean-Léon Gerôme entre 1867 et 1886, et conservé au Hearst Castle, à San Simeon en Californie.
  • « Le conquérant et le Pharaon » peint par Maurice Orange en 1895, tableau immense ici aussi de 4m sur 5, conservé au muée de Rueil Malmaison.

Ce soin extrême à reproduite les tableaux en leur donnant vie est caractéristique de la démarche du réalisateur, qui a déclaré avoir préféré s’inspirer des tableaux plutôt que des écrits des historiens qui ne sont pas toujours d’accord.

Je dois avouer que l’angle choisi par Ridley Scott afin d’aborder son sujet m’a ici véritablement enthousiasmé : l’histoire d’amour hors norme entre Napoléon et Joséphine. Cet amour passionné, parfois irrationnel, presque « toxique » comme on le qualifierai de nos jours, qui symbolise parfaitement l’alliance entre l’Ancien régime et la Révolution, constitue une partie intégrante de l’histoire de l’Empereur, et est souvent mésestimé. Il ne surprend pas ceux qui, comme moi, ont été biberonné avec les ouvrages d’André Castelot, plutôt que ceux de Max Gallo. Castelot a d’ailleurs consacré un ouvrage entier sur Joséphine et ses rapports avec Napoléon. C’est donc tout naturel pour moi de voir cette histoire autant mise en valeur dans le film. Le seul artiste qui a parfaitement compris et exploré cette facette a certainement été Serge Lama dans son spectacle « Napoléon » que j’ai eu la chance d’aller voir au théâtre Marigny à Paris. Lama, et son compositeur Yves Gilbert, choisirent la comédienne Christine Delaroche pour camper une Joséphine véritablement irrésistible. Le volume 3 de l’album fut d’ailleurs composé spécialement afin d’offrir des scènes supplémentaires à Joséphine, et pour allouer des chansons à Christine Delaroche. Comme le scénario de David Scarpa, le spectacle prend également le parti d’accélérer la destinée et la vie de l’empereur a la suite de la répudiation de Joséphine. Le spectacle, autant que le film, montrent chacun ce moment, qui correspond à leur séparation, comme extrêmement émouvant et très éprouvant. Si Lama, par la suite, rajoutera encore une évocation de Marie Waleska avec le très beau titre « Marie », Scott fait en revanche l’impasse sur toutes les autres histoires de cœur de l’Empereur. Pour le réalisateur, pas de Désirée Clary, pas de Marie Waleska, le destin entier de Napoléon est tout entier lié à l’amour indéfectible qu’il voue à Joséphine, et qui se poursuivra, nous allons le voir, même après sa mort.

Cette proposition de cinéma, Ridley Scott la conforte en présentant toutes les décisions importantes qu’a prises Napoléon au cours de sa vie comme étant directement relié à Joséphine. Ainsi, s’il rentre précipitamment en France lors de la campagne d’Égypte, c’est parce qu’il vient d’apprendre qu’elle le trompe avec le capitaine de hussards Hyppolyte Charles. Dans la réalité, ce sont tout de même les préparatifs du coup d’État pour l’amener au pouvoir qui motivèrent son retour. La retraite de Russie et sa défaite sont également mises sur le compte, dans une certaine mesure, du départ de Joséphine. De la même façon, lorsqu’il s’évade de l’ile d’Elbe, sa préoccupation première est de retrouver l’amour de sa vie, Joséphine. Il est ainsi dévasté lorsqu’il apprend sa disparition. Ici aussi, dans la réalité, Joséphine s’est éteinte un an avant et Napoléon l’avait bien sûr appris. 

Ridley Scott évoque à cette occasion un épisode rarement abordé dans les autres versions cinématographique : la relation ambiguë entre Napoléon et le Tsar Alexandre. Il faut reconnaitre que le réalisateur fait preuve d’une extrême prudence pour aborder cette question passionnante. En effet, il reste dans l’ambiguïté concernant la nature de leur relation, alors qu’il se montre sans aucune complaisance pour la représentation à l’écran qu’il fait de Louis XVIII. On ne connaitra donc pas l’opinion du réalisateur sur le fait qu’ils aient comploté ensemble à l’avènement de Napoléon II, s’ils étaient amants ou encore sur la question de savoir si Joséphine est morte d’un rhume ou bien si elle a été empoisonnée par Talleyrand. Seul compte au yeux du réalisateur de montrer l’image d’une femme plus forte qu’on ne l’a cru et qui toute sa vie a du lutter pour exister. 

Bien que l’Histoire officielle rende compte d’autres raisons aux enjeux politiques autrement plus importants, je me plais à croire que Joséphine a dû obligatoirement compter dans les décisions de l’Empereur. Il suffit de considérer qu’il était avant tout un être humain, avec tous les sentiments que peut éprouver un homme amoureux fou pour s’en convaincre. Sa correspondance est véritablement extraordinaire à lire, à entendre, et je comprends aisément que Ridley Scot ait voulu que les comédiens rythment l’intégralité de son film en en faisant la lecture.

Et cet aspect humaniste constitue, selon moi, le deuxième parti pris de Ridley Scott : au-delà de l’aspect de déifié, demi-dieu que certains s’acharnent à nous montrer, le réalisateur nous restitue un Napoléon en tant qu’homme, avec ses forces, ses qualités, mais aussi avec ses faiblesses. Pour la première fois je crois, j’ai vu un Napoléon au cinéma douter, pleurer, rire et exprimer toute une palette d’émotions diverses : de la vulnérabilité, que ce soit dans sa relation amoureuse avec Joséphine mais aussi dans des moments cruciaux, tels que lors de l’incendie de Moscou ou bien encore à Waterloo. 

Joaquin Phoenix, dont le jeu a été si injustement critiqué, réussi à restituer, selon moi, toute cette panoplie de sentiments en déployant un jeu d’une extrême finesse. Il arrivait, dit-on, très à l’avance sur le tournage afin de mieux s’imprégner de son personnage. Son Bonaparte est parfois monolithique, et à la limite de la notion de « jeu neutre » qui me fascine tant, avec des maladresses qui trahissent la vulnérabilité et la jeunesse du personnage. Son Bonaparte se démarque d’autant plus quand on le compare à son Napoléon ensuite, bien plus sûr de lui et plus charismatique aussi. Il offre ainsi une composition globale très surprenante et offre à son Napoléon un charisme indéniable quoique très attendu.

On retient son incrédulité en arrivant dans un Moscou désert et en s’asseyant sur le trône du tsar déserté, son incrédulité lorsqu’il est réveillé par l’incendie de la ville : il demandera deux fois « qui a fait ça ? »

Certaines idées de mise en scène sont sublimes, comme celles où il essaye d’extraire le parfum d’une lettre que Joséphine lui a envoyé pour s’en envelopper tout entier. Cela illustre la passion folle qu’il entretenait pour Joséphine et qui est si exceptionnellement rendu par les lettres qui nous sont parvenues. Il l’écrit lui-même : « je suis tout enveloppé de toi ».

Cette dimension épistolaire est tenue tout le long du film, même après la disparition de Joséphine. Les lettres passionnées sont en effet lues en voix off par les deux personnages. Et l’on pourra même voir Napoléon tenter de récupérer en vain sa correspondance après la mort de Joséphine. En apprenant que l’ensemble de ces lettres a été dérobé afin d’être vendu, le spectateur ressent avec lui une sorte de violation de son intimité. Cela vient signifier que désormais sa propre histoire ne lui appartient plus. 

La restitution de cette belle histoire implique pour le film de se désintéresser des autres personnages. Nous l’avons dit, aucune autre histoire d’amour ne sera évoquée pour l’empereur. Mais c’est aussi le cas des nombreux personnages de l’environnement de l’empereur et de la période, même si certains sont identifiés :

  • Robespierre : Il a le physique de Danton, et semble être dans le film une sorte de mélange entre les deux. Sa disgrâce est très résumée dans le film, et il menace même la convention avec un pistolet avant de retourner l’arme contre lui. La réalité historique est, ici aussi, tout autre, même si effectivement Robespierre est stoppé par Barras et finit avec une balle dans la joue. 
  • Barras : impeccablement et sobrement interprété par Tahar Rahim.
  • Laetizia Bonaparte : « Madame Mère » est celle que j’attendais le plus, et son rôle est aussi minime.
  • Lucien Bonaparte : le frère de Napoléon est toutefois présent, et le Coup d’État du 18 Brumaire permet effectivement d’apprécier l’importance considérable qu’il a eu. 
  • Ney : Il est ici dommage d’avoir dû faire des choix, et l’on ne voit véritablement Ney que durant la bataille de Waterloo. 
  • Eugène et Hortense Beauharnais : ils ont chacun leur heure de gloire. Le petit Eugène sert d’entremetteur au début de l’histoire d’amour. Hortense adulte sera celle qui accueillera Napoléon à Malmaison à son retour de l’île d’Elbe, lors d’une séquence très émouvante. Cette passation entre l’enfance et l’âge adulte des deux enfants devra permettre au spectateur de comprendre que Napoléon a entretenu des liens d’affection très étroits avec les deux enfants de Joséphine. 

Évidemment, il y a beaucoup d’autres personnages, et autant d’oubliés ; certains sont tellement survolés qu’ils en deviennent anecdotiques. C’est le cas, par exemple, de la famille impériale, que l’on aperçoit principalement lors d’un diner en présence de Laetitia et de Lucien. J’aurais par exemple, pour ma part, adoré voir l’évocation de Talma, et la passion de Napoléon pour le théâtre et les belles lettres, mais cela aurait dû impliquer un autre point de vue. 

Au cinéma, Napoléon partage avec Jésus Christ le fait d’être profondément marqué par ses interprètes respectifs et par la vision qu’en ont restitué leurs réalisateurs. Chacun de ces deux personnages ont été abordés au cinéma de deux façons : d’une part celle d’un personnage iconique évoluant dans la sphère environnante des protagonistes, et qui est en quelque sorte un élément contextuel de la narration. D’autre part, celle de protagoniste principal. De même, chacun de ces deux personnages possède ses propres gageures. Celle du christ consiste à assumer une charge émotionnelle extrêmement lourde et qui peur d’ailleurs fortement impacter la carrière de son interprète. Celle de Napoléon tient dans le fait d’interpréter à la fois Bonaparte et Napoléon : deux époques de la vie du grand homme distinguées dans l’histoire et par les historiens eux-mêmes. En fonction de la narration, beaucoup ont préféré incarner Napoléon à un moment défini de sa vie. 

Mais lorsqu’ils traitent de ces deux époques, quelques réalisateurs ont eu recours à deux acteurs différents. Ce fut le cas de Sacha Guitry, qui mit en scène plusieurs fois l’empereur dans ses films. Je n’en retiendrai que deux qui illustre mon propos ici :

  • « Napoléon » : Daniel Gélin interprète Bonaparte tandis que Raymond Pellegrin offre une interprétation qui fait référence de Napoléon. 
  • « Le destin fabuleux de Désirée Clary : Jean-Louis Barrault interprète Bonaparte tandis que Guitry lui-même compose un Napoléon assez autoritaire

Ridley Scott a choisi de faire interpréter les différentes époques par un seul acteur : Joaquin Phoenix. On peut critiquer que dans ces vingt années qui couvrent l’épopée, son apparence physique n’évolue guère. L’acteur joue essentiellement sur sa coupe de cheveux, et sur l’embonpoint affiché par l’Empereur à sa quarantaine. 

En son temps, Yves Simonneau avait pris le parti de faire de même avec sa mini-série sur « Napoléon », avec Christian Clavier dans le rôle-titre. Il s’agit d’ailleurs de la toute première fois où un même acteur interprète à la fois les deux « époques » : Bonaparte et Napoléon. Je renvoie d’ailleurs tous les critiques acerbes du film à cette mini-série, qui constitue à mon avis une des plus belles incarnations de l’épopée impériale. Pourtant, ici aussi, malgré sa justesse de ton et sa rigueur, des historiens pointilleux ont tout de même déniché des erreurs historiques, telles qu’une faute de date concernant la rédaction de Code Civil. Preuve, s’il en est encore besoin, de la fatuité de vouloir à tout prix jauger un film comme une reconstitution historique précise. Le Napoléon parfait d’un point de vue historique ne sera sans doute jamais atteint et il s’en trouvera toujours certains pour dénicher le détail inadéquat. A l’époque, le choix de Christian Clavier était assez osé sur le papier. Cependant, il a réussi selon moi à surmonter les défis principaux du rôle. D’une part il a su faire oublier l’ensemble de ses autres prestations et son emploi essentiellement comique pour mettre tout son cœur dans l’interprétation de Napoléon. D’ailleurs, on oublie qu’avant lui, un autre acteur spécialisé dans les emplois comiques avait endossé avec sérieux et conviction le rôle de l’Empereur : Pierre Mondy dans le célèbre « Austerlitz » d’Abel Gance. D’autre part, Clavier, comme Joaquin Phoenix, a misé sur un changement de coiffure et un léger embonpoint de la quarantaine pour passer d’une période à l’autre, de Bonaparte à Napoléon. 

II. « Je suis destiné à de grandes choses, mais ceux au pouvoir ne me voient que comme un guerrier » Napoléon

A 85 ans, Ridley Scott montre qu’il est inégalable lorsqu’il s’agit de reconstituer des batailles épiques. Cette marque de fabrique est due, en partie, au fait qu’il n’utilise les effets spéciaux numériques qu’à bon escient et qu’il préfère travailler avec de véritables figurants et de véritables chevaux. Il a pu ainsi diriger jusqu’à 300 figurants armés pour reconstituer plusieurs batailles essentielles de l’Empereur. 

Sa maitrise technique est si bluffante, qu’on en arrive à trouver les séquences de batailles trop courtes, c’est dire. Afin de rendre au mieux cette dimension épique, le réalisateur utilise jusqu’à 11 caméras en même temps, certaines étant installées sur des drones, d’autres sur des plateformes. La plupart de ces caméras, cependant, il les place à l’intérieur des batailles, avec des opérateurs qui les tiennent toutes à la main.

Comme je l’ai dit, je trouve que l’évocation de ces batailles est trop rapide, d’abord parce qu’elles nous frustrent un peu à la vue de la maestria avec laquelle le réalisateur sait les filmer, ensuite et surtout parce qu’elles ne fournissent pas l’occasion de démontrer à quel point Napoléon était un génie militaire capable de remporter des batailles en infériorité numérique sur la seule base de sa stratégie. Ce n’est tout de même pas pour rien qu’il est encore considéré comme un des plus grands stratèges militaires de l’Histoire, et que plusieurs de ces manœuvres tactiques sont encore enseignées dans les écoles militaire du monde entier aujourd’hui. 

On voit ainsi successivement dans le film : 

  • Le siège de Toulon
  • L’insurrection royaliste dans les rues de Paris,
  • La conquête de l’Italie,
  • La campagne d’Égypte, 
  • Marengo,
  • Austerlitz,
  • L’entrevue de Tilsit, 
  • La campagne de Russie avec la bataille de Borodino, 
  • Et pour finir, Waterloo. 

Parmi toutes ces séquences militaires, j’ai personnellement regretté de ne pas voir l’épisode du Pont d’Arcole, qui aurait, je pense, renforcé l’image héroïque du personnage et fourni une très belle séquence. Ridley Scott a préféré s’attarder essentiellement sur trois batailles principales :

1 Le siège de Toulon : C’est véritablement lors de cet épisode que Bonaparte gagne ses galons de général. Comme je l’ai dit plus haut, cela illustre le « KitBag ». La séquence est véritablement époustouflante visuellement, avec la destruction de la flotte anglaise, mais elle illustre aussi le paradoxe de vouloir prendre ses distances avec la réalité historique. En effet, à force de s’éloigner des évènements tels qu’ils se sont déroulés, il est alors tentant pour le spectateur de remettre en cause les évènements montrés à l’écran et il est difficile pour lui de distinguer le vrai du faux. C’est le cas, je pense, pour l’épisode spectaculaire du boulet de canon venant éventrer le cheval sous Napoléon. Et pourtant, cette séquence s’est bel et bien produite, et quelques dizaines de centimètres plus haut et la face du monde aurait été changé. La séquence de bataille suivra ainsi Napoléon ensanglanté menant une bataille féroce. Elle illustre également, sur un pur plan historique, la réalité des effets destructeurs des boulets de canons sur les chevaux. Plusieurs écrits servent de témoignage historique sur des épisodes similaires. 

2 Austerlitz : Le chef d’œuvre stratégique de Napoléon est présenté par Ridley Scott sous une forme inédite. J’explique cela par le fait que la plus célèbre de toutes les batailles est difficilement transposable visuellement. Pour en comprendre toutes les subtilités, il est préférable de consulter les nombreux ouvrages qui ont analysé le génie de Napoléon sous toutes ses coutures. Au cinéma, même le film référence « Austerlitz » d’Abel Gance ne permet pas de comprendre les mouvements de troupes liées à l’utilisation judicieuse du terrain. Partant de ce fait, Ridley Scott a choisi de concentrer son attention sur une dimension anecdotique de la bataille : les tirs de canons sur un lac glacé, qui finit par engloutir les soldats ennemis. Si cet épisode a réellement eu lieu, il fut loin d’être décisif puisque le lac n’engloutit en réalité qu’une quinzaine de soldats. Sous la caméra de Ridley Scott, la séquence est néanmoins épique : les caméras sous l’eau permettent de voir les inombrables corps engloutis, sous un halo bleuâtre. Il y a certes des fautes de gout : placer l’artillerie de Napoléon en position dominante en haut d’une colline, alors que justement, ce fut l’inverse en réalité. Ce qui cause un contre sens au film, lorsque Napoléon demande de prendre le plateau, alors qu’on vient de voir qu’il l’occupe déjà. Napoléon y apparaît, et il faut le souligner, comme étant clément une fois la victoire acquise, et prononce des mots de paix : « Gloire à la paix ».

A titre personnel, ce qui me manque le plus dans cette séquence, c’est que le réalisateur oublie de faire figurer deux éléments épique et constitutif de cette bataille, qui pourtant auraient, je le pense, donné lieu à de très belles séquences visuelles :

  • Le soleil d’Austerlitz : Napoléon a gagné cette bataille en étant en infériorité numérique contre deux autres empereurs, Alexandre 1er, tsar de Russie et François II de Hasbourg-Lorraine sous un épais brouillard caractéristique du mois de décembre. Sa victoire fut célébrée par l’apparition d’un soleil rayonnant, hors saison, qui marqua tous les esprits et entra dans l’histoire et dans la légende.

En vertu de mon petit passé d’historien, qu’il me soit permis de rappeler ici qu’à l’issue de cette bataille, 50 drapeaux enlevés à l’ennemi ornèrent la voute de l’eglise Saint-Louis des Invalides à Paris. Le bronze des 180 canons ennemis fut fondu pour ériger la célèbre colonne Vendôme de la capitale.

  • Le discours de Napoléon à ses soldats, qui se termine avec la formule devenue célèbre : « Mon peuple vous reverra avec joie, et il vous suffira de dire « j’étais à la bataille d’Austerlitz », pour que l’on réponde « Voilà un brave » ».

3 Wateloo

On aurait pu croire qu’un réalisateur anglo-saxon fasse la part belle à la plus célèbre des victoires anglaises. A l’image du film tout entier, je n’ai pas trouvé d’exagération significative qui puisse me faire qualifier ce fil d’anti-français, comme j’ai pu le voir ou l’entendre ailleurs. La bataille y est au contraire montrée comme à l’issue incertaine, et permet notamment de voir l’importance cruciales des messagers. Pour les deux camps en effet, on assiste à une compétition des estafettes chargé de porter les dernières informations du front. Ici, cela concerne l’arrivée des prussiens sans qui les Anglais auraient certainement été vaincus. Par ailleurs, Napoléon y est montré affaibli, diminué par ses crises d’hémorroïdes. Beaucoup s’accordent aujourd’hui à dire que les Anglais n’auraient eu aucune chance face à un Napoléon en pleine possession de ses moyens. D’autres erreurs sont peu mises en avant dans le film, bien que le réalisateur nous donne à voir les charges incessantes de Ney qui se fracassent sur les carrés de soldats anglais. A titre personnel, j’aurais aimé voir le célèbre Cambronne prononcer son célèbre mot. Le réalisateur se rattrape en filmant la dernière charge héroïque et désespéré de l’empereur, sabre au clair, avec les beaux chants corses en bande son, qui a fait tant couler d’encre. Bien qu’elle n’ait pas eu lieu dans le cadre de cette bataille, elle est tout de même extrêmement jouissive visuellement et permet de montrer le désespoir de l’empereur. Je n’ai jamais trop aimé l’interprétation des comédiens dans les films parlant de Waterloo. Le pire étant, selon moi, Rod Steiger dans « Waterloo » de Sergei Bondartchouk, qui donne à voir un empereur à la limite de la folie. Joaquin Phoenix propose une interprétation beaucoup plus fine, en donnant à voir un Napoléon désemparé, que même la mort n’effraie plus et qui manque d’ailleurs de mourir sur le champ de bataille. Un soldat anglais parvient en effet à tirer sur lui et à faire un trou dans son célèbre bicorne. Les larmes aux yeux, l’empereur brandit son sabre une dernière fois en direction de Wellington, resté, pour sa part, prudemment derrière ses lignes. On voit bien qu’ici le réalisateur a voulu offrir une dimension épique et héroïque à son personnage, au détriment des Anglais. Ici aussi, c’est la première fois que je vois un Napoléon aussi touchant au cinéma, avec des larmes aux yeux que l’acteur parvient presque à nous communiquer. 

Sur le plan formel, soulignons le travail considérable du film sur les costumes, qui reconstitue assez bien cette époque troublée. Oscarisé pour son travail sur les costumes de « Gladiator » en 2001, la cheffe costumière Janty Yates a dû confectionner plus de 4000 costumes d’époque. Ces costumes fournissent au film une esthétique visuelle grandiose et fidèle. 

Chaque scène du film est contextualisée avec l’ajout d’un banc titre mentionnant la date et l’emplacement géographique. Les personnages les plus importants sont également présentés de cette façon, à l’aide d’un banc titre : Talleyrand, le tsar Alexandre, etc.

Certains épisodes sont très bien montrés, comme le coup d’état du 18 et 19 Brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799) qui révèle l’importance du frère de Napoléon Lucien Bonaparte, bien mise en exergue, dans une entreprise périlleuse qui a bien failli échouer sans lui. Mais c’est aussi l’une des premières fois où je peux voir une explication donnée à l’exécution du Duc d’Enghien à la suite de l’attentat de la rue Nicaise.

La dimension du grand stratège est rappelée avec cette carte géante qu’il a fait peindre : tantôt il la foule au sol, tantôt il monte sur un escabeau afin de prendre de la hauteur. La répétition de cette scène à plusieurs moments clés du film est, ici aussi, un artifice cinématographique qui vaut mille mots. 

Sur le plan de la musique, j’ai forcément pensé à mon cher Vangelis. Ridley Scott aurait-il fait appel au Maestro pour cette occasion ? Je ne peux qu’imaginer le résultat extraordinaire que cela aurait donné. Cependant, le compositeur Martin Phipps offre une belle palette de thèmes musicaux, ponctué de beaux chants traditionnels corses, qui viennent rappeller l’origine du héros, et dont les échos se font ressentir bien après le film dans nos oreilles. A cela s’ajoutent quelques chansons françaises à l’accent révolutionnaire de la période, comme « Dansons la carmagnole » ou bien encore « ça ira”, qu’’Edith Piaf a chanté en 1940.

Les membres de l’ensemble de voix “Organum” ont interprété les chants corses du film.

A la lumière de ce qui vient d’être dit, revenons dons sur ces fameuses trois séquences contenues dans la bande annonce et qui, même après le visionnage du film, continuent malgré tout de cristalliser les critiques.

  1. Napoléon assistant à la décapitation d’une Marie-Antoinette échevelée. 

Ridley Scott choisit de commencer son récit en 1789, qui est certainement la date la plus connue internationalement de l’Histoire de France. En choisissant plus précisément comme scène d’introduction la décapitation de la reine Marie-Antoinette, il situe d’entrée pour le spécialiste, mais aussi pour le néophyte, la période historique de son récit. En effet, Marie-Antoinette est la reine de France la plus connue à l’international, notamment grâce au film de Sofia Coppola avec Kirsten Dunst. Et c’est précisément à partir de cette scène que les historiens français se sont insurgés, puis qu’on peut y voir une Marie Antoinette aller à l’échafaud dotée d’une large chevelure tout ébouriffée, alors qu’en réalité les condamnés montaient sur l’échafaud les cheveux courts pour que la lame ne s’y prenne pas. Ces critiques auraient dû patienter jusqu’à la version longue, puisque cette explication y figure bel et bien, et justifie même la raison pour laquelle Joséphine se coupe les cheveux lors de son emprisonnement. Encore une fois, il faut se demander ce que le réalisateur a voulu signifier avec cette scène. Les cheveux épars de la reine, qui ont perdu de leur beauté, de leur soin, est de l’ordre du symbole : celui d’une noblesse qui a perdu tout attrait, qui suscite la haine et le dégout plutôt que le respect. La foule vient tacher cette blancheur par de multiples jets de détritus. De même, si Joaquin Phoenix y figure en tant que spectateur impassible alors que Napoléon n’a pas assisté physiquement à la scène dans la réalité, c’est justement pour représenter de manière symbolique le fait qu’il soit contemporain des évènements de la Terreur. En réalité, Napoléon était déjà à Toulon à ce moment-là. Ridley Scott utilise donc des symboles pour évoquer cette période historique, et, hors Marie Antoinette, il a recours également à d’autres figures célèbres, comme les religieuses qui montent à l’échafaud en chantant. Il faut revoir ici l’excellent film « Le dialogue des carmélites » de Philippe Agostini et Raymond Léopold Bruckberger, avec Jeanne Moreau et Madeleine Renaud (ou son remake en 1960).

Cette scène de décapitation, et toutes celles qui suivent, est filmé de manière cru et violente, afin de souligner l’extrême brutalité, voire la sauvagerie qui s’exprimait alors. Cette introduction pleine de bruit et de fureur dialogue avec la scène de conclusion, où on assiste à une mort également, celle de l’empereur, cette fois silencieuse et calme.

  • 2. Napoléon ordonne de tirer sur les pyramides

    Le même procédé symbolique est utilisé pour cete séquence. Afin de véhiculer une idée, le réalisateur utilise son savoir faire et crée une séquence cinématographique visuellellement frappante. Ridley Scott explique d’ailleurs lui-même sa démarche : 

    « Nous l’avons effectivement inventé : il me fallait, en une image, symboliser la façon dont Bonaparte s’est emparée très facilement du pays. Il n’y a ni intention politique, ni volonté de dénigrer Napoléon derrière cette scène. ».

    • 3. L’Empereur charge au sabre lors des batailles

    Pour ceux qui, comme moi, s’avèrent frustré de ne pas voir la célèbre séquence du pont d’Arcole, il est assez jouissif de voir l’empereur charger sabre au clair. Cela montre bien le courage de l’Empereur qui ne craignait pas d’exposer sa vie au côté de ses soldats, mais lui confère également, comme nous l’avons dit plus haut, une dimension épique. En cela, le film honore le courage de l’empereur en le montrant combattant au côté de ses hommes à Toulon. Il ne craignait pas la mort, la nargait, et souhaitai mourir au combat plutôt que dans son lit, “comme un couillon” disait-il. Ce faisant, il a en effet souhaiter mourir lors de la bataille de Waterloo en s’exposant aux tirs enemis quand il a compris que tout était perdu. Le film, encore une fois, glorifie ce moment en montrant, de manière symbolique ici aussi, une dernière charge épique, commentée par Wellington.

    III. Je ne suis pas fait comme les autres hommes… Je marche dans les pas d’Alexandre le Grand et de César. Napoléon

    La version « Director’s Cut » est en réalité une version longue et plus complète du film, puisqu’elle est agrémentée de 48 minutes supplémentaires. Je me félicite d’avoir tenu bon et d’avoir patiemment attendu de visionner cette version, car je n’ose penser à ce que peut être en comparaison cette 1ère version tronquée. Finalement, et malgré les nombreuses ellipses visibles dans l’itinéraire de Napoléon, je trouve que le film aurait mérité beaucoup plus de temps, beaucoup plus de développement. En effet, énormément de scènes sont encore bien trop courtes, et on a à peine le temps de s’y émerger qu’on passe déjà à la scène suivante. 

    Ces ellipses sont apparemment compensées dans cette version longue par nombre de scènes qui approfondissent le rôle et la place de Joséphine. Sa destinée est ici introduite de façon subtile, de même que sa rencontre et la naissance de sa relation avec Napoléon. On en apprend plus sur la période qui a précédé leur rencontre, et comment la jeune veuve avec ses deux enfants a pu survivre à son emprisonnement durant la Terreur. J’ai beaucoup aimé cette longue introduction, avec le rôle central du petit Eugène, qui sert d’intermédiaire au couple naissant. J’ai été surpris de ne pas le revoir adulte, lorsque Napoléon va à Malmaison apprendre le décès de Joséphine. Il s’en entretient de façon très émouvante avec Hortense, qui est désormais une belle jeune femme. Vanessa Kirby est plus belle et plus hypnotique que jamais, et ces scènes supplémentaires approfondissent son rôle et sa présence à l’écran. Même si la scène de leur rencontre est contestable, puisque certains historiens remettent en cause l’existence de ces « Bal des Victimes », elle n’en reste pas moins un grand moment du film. La façon dont leur histoire prends forme, avec le petit Eugène en guise d’intermédiaire, est très touchante. 

    J’ai remarqué avec plaisir que Vanessa Kirby retrouve dans ce film son ancien partenaire de « The Crown » Ben Miles dans le rôle de Caulaincourt. 

    C’est également ici que l’historien pourra épingler l’âge des acteurs en comparaison avec celui de leurs personnages. En réalité, Joséphine était plus âgée que Napoléon, contrairement au film, où, à l’instar de son interprète, elle parait plus jeune. Ridley Scott n’a visiblement pas souhaité utiliser cette technique du « D-Aging » qui m’impressionne tant et a voulu conserver l’apparence des acteurs. Si l’apparence de Joaquin Phoenix, nous l’avons vu, évolue légèrement, Joséphine, quant à elle, ne change guère, exception faite de sa coiffure. 

    Les scènes intimes nous montrent à la fois un Napoléon assez brusque et une Joséphine expérimentée, qui propose même une relecture à sa façon de la scène mythique de « Basic Instinct ». Pour le réalisateur, leur relation était à la fois charnelle et passionnée. Joséphine apparait comme une femme forte, qui a réussi à survivre à la Terreur et à son emprisonnement, avant d’accéder au plus haut rang en devenant impératrice. C’est une femme libre, qui assume ses choix, et il n’est porté aucun jugement sur ce qu’on peut qualifier de légèreté ou même de frivolité dans ses mœurs. Pour le coup, elle apparait d’une modernité sidérante dans son rapport avec son époux, avec qui elle dialogue presque d’égal à égal. Enfin, la relation du couple après leur séparation est extrêmement touchante. Cette tendresse, la preuve d’un amour qui ne s’est jamais véritablement éteint, est montré dans la séquence où Napoléon vient à Malmaison présenter son fils à Joséphine. Remarquons au passage que le réalisateur a renoncé à nous montrer une jeune Marie-Louise à la blonde chevelure, telle qu’elle est pourtant décrite et qui figure sur tous les portraits. L’émotion est également palpable et communicative lorsque Napoléon reviendra pour apprendre la mort de Joséphine à Malmaison lors de son retour de l’île d’Elbe. 

    Même après la disparition de Joséphine, la lecture en voix off des conversations épistolaires permet de poursuivre le dialogue avec Napoléon, en rendant le film davantage mélancolique. Si besoin était encore, comme on l’a dit plus haut, le film révèle sa véritable nature : une histoire d’amour hors norme, sans aucune autre mesure. C’est l’histoire d’une passion dévorante entre deux êtres fascinants, et qui s’avère plus romantique qu’on ne l’imaginait ou qu’on ne le dit généralement. Je pense qu’au final, le film aurait presque dû légitimement s’intituler « Napoléon et Joséphine ».

    En adoptant ce point de vue, on peut comprendre et accepter de nombreuses ellipses : puisque le réalisateur se concentre sur l’histoire d’amour passionnelle entre Napoléon et Joséphine, il se retrouve, à l’instar de Serge Lama qui avait pris le même parti, a accélérer la fin : pas de Marie Waleska; le séjour à Sainte Hélène très raccourci. Ainsi, à Sainte Hélène, il n’est fait aucune mention de la cour qu’il a reconstitué autour de lui, ni de son affrontement avec le général Hudson-Lowe, pas même de sa lente agonie ou bien encore de sa tendre amitié avec la petite Betsy Balcombe. Cette construction de la Légende impériale par Napoléon lui-même lors de la rédaction du “Mémorial” est toutefois évoquée par Ridley Scott à travers deux séquences précises :

    • l’admiration des jeunes cadets lorsque l’empereur s’entretient avec eux à bord du Northumberland
    • la scène finale qui précède sa mort avec la discussion qu’il a avec les enfants dans le jardin, dans laquelle il réécrit son histoire. J’aime à voir dans ces enfants l’évocation de la jeune Betsy Balcombe.

    La notion d’évocation symbolique dont nous avons beucoup parlé, notamment pour la scène d’introduction fonctionne donc également ici, si l’on examine la scène finale. En effet, le réalisateur choisit une image de fin extrêmement symbolique : un plan de dos de Napoléon qui bascule lentement sur le côté. En dépit de ce que j’ai pu le voir, je ne pense pas que ce plan fasse référence à la fin de Michael Corléone dans « Le Parrain III ». Ce fut Joaquin Phoenix lui-même, en signe de respect pour l’empereur, qui décida le réalisateur de renoncer à montrer la mort de Napoléon dans son lit. D’ailleurs, l’aspect symbolique de ce plan de fin ne vient pas contredire le fait qu’hors champ, il ait pu se retrouver dans son lit.

    Ce plan me fait au contraire davantage penser à une statue, et vient convoquer ici le statut iconique de l’Empereur, qui lentement s’incline et s’effondre. En plus de son degré symbolique, ce plan relève donc d’une extrême pudeur : ne pas vouloir montrer la fin du grand homme sur son lit de mort. Pourtant, le réalisateur aurait largement pu le faire dans le cadre du point de vue qu’il a tenu tout le long de son film : celui, comme nous l’avons dit, d’une vision plus humaine du personnage. En imposant cette image finale, le statut d’icône intemporelle de Napoléon vient s’affirmer en conclusion. 

    En revanche, je suis largement plus réservé concernant l’écran de fin. En effet, Ridley Scott a choisi de faire figurer une liste détaillée, dont certains historiens ont ici aussi contesté la véracité des chiffres, venant rappeler la totalité des pertes humaines, classées par batailles. Pour ma part, je trouve qu’il est assez dommage de ne retenir que cela de l’itinéraire de Napoléon, alors qu’au contraire il a bien montré tout le long qu’empereur a toujours réagi en réaction à des agressions extérieures et qu’il n’a rêvé que de la paix en Europe et pour la France. Il aurait donc été beaucoup plus judicieux de placer ici tous les apports que Napoléon a laissé à la France, et dont nous profitons encore aujourd’hui. L’ensemble de l’héritage qu’il a légué aux français, qu’il est coutume d’appeler son « trésor », offre une liste autrement bien plus longue : 

    • Le Code Civil, qui instaure l’État de droit en France, appelé Code Napoléon à l’étranger,
    • La police
    • La gendarmerie nationale
    • Le corps des sapeurs-pompiers
    • La Légion d’honneur,
    • La Banque de France, 
    • La Cour des comptes,
    • Le Conseil d’État, le 13 décembre 1799,
    • Les Cours d’appel,
    • Les Cours de cassation,
    • Le Conseil des Prudhommes,
    • Les chambres de commerce,
    • Le Sénat,
    • Le Code de Procédure civile,
    • Le statut militaire de l’école Polytechnique,
    • Le baccalauréat,
    • Les Universités modernes,
    • L’école militaire Saint-Cyr,
    • Les lycées, et la démocratisation de l’enseignement secondaire,
    • La numérotation des rues : les chiffres pairs d’un côté, les chiffres impairs de l’autre,
    • Le canal Saint-Martin, le canal Saint-Denis et le canal de l’Ourc,
    • Le canal de Nantes à Brest et de Mont Condé
    • Les ponts d’Iéna, d’Austerlitz et des Arts à Paris,
    • La rue de Rivoli,
    • Le Palais Brogniart, avec la Bourse de Paris,
    • La transformation du Louvre en Musée, avec les constructions des ailes Ouest et Sud, ainsi que la finition de la Cour carrée. 
    • La nouvelle façade du Palais Bourbon,
    • La place de la Madeleine,
    • La construction d’une quinzaine de fontaines, dont le célèbre Éléphant de la Bastille,
    • L’aménagement du Cimetière du Père Lachaise,
    • La création de nombreux espaces verts, dont le Jardin des Plantes de Paris et l’embellissement du jardin du Luxembourg, 
    • Le Pont de Pierre à Bordeaux,
    • La transformation de la Place Bellecour à Lyon,
    • Le Palais d’Orsay,
    • L’abolition de la traite des Noirs en 1815,
    • La colonne Vendôme,
    • Le Fort Napoléon à la Seyne-sur-Mer,
    • L’Arc de Triomphe, du carrousel du Louvre et la place de l’Étoile,
    • L’alignement des immeubles et des rues, bien avant l’arrivée du baron Haussmann, 
    • L’invention des trottoirs,
    • La création des égouts, et l’invention du ramassage des ordures,
    • La création de la ville de La-Roche-sur-Yon, initialement baptisée du nom de « Napoléon », et dont l’énorme place centrale était destinée à contenir 10.000 soldats.
    • La recette du « Veau Marengo », attribuée au cuisinier personnel de Napoléon, au soir de la victoire de Marengo (14 Juin 1800)
    • Les départements sont créés initialement durant la Révolution, mais Napoléon crée en revanche les Préfets le 17 février 1800, avec les divisions territoriales : conseil général, Conseil de préfecture, Arrondissement (avec sous-préfet), Canton et Municipalité.
    • La place de la Paix, à Milan,
    • L’Église de la madeleine,
    • La renaissance des métiers à tisser de Lyon,
    • La création de plus de 400 usines sucrières,
    • La création de l’Égyptologie, à la suite de la campagne d’Égypte où il emmena avec lui 150 savants (mathématiciens, astronomes, architectes, dessinateurs, graveurs, médecins, botanistes, zoologistes, minéralogistes, géographes, orientalistes, interprètes, etc.), parmi lesquels figure l’illustre Champollion qui découvrit la Pierre de Rosette
    • Le Grand Sanhédrin, et l’assimilation des Juifs,
    • La Garde Républicaine,
    • Les ponts d’Anvers et de Flessinge,
    • Les bassins de Dunkerke, du Havre, de Nice,
    • Les énormes docks de Cherbourg,
    • Le port de Venise,
    • Les routes d’Anvers à Amsterdam, de Mayence à Metz, de Bordeaux à Bayonne, 
    • Les cols du Simplon, de la Corniche du mont Genèvre, transperçant les Alpes en 4 directions,
    • Les routes des Pyrénées ax Alpes, de Parme à la Spezia, de Narbonne vers le Piémont, 
    • Les ponts de la Seine,
    • Les ponts de Tours et celui de Lyon,
    • Le canal du Rhône au Rhin, et l’assèchement des marais pontins,
    • Le rétablissent de l’Église,
    • L’alimentation en eau de Paris,
    • Les quais du bord de Seine,
    • Etc.

    Même si elle est très longue, ce n’est évidemment pas une liste exhaustive, c’est dire si Napoléon a changé la face du monde. 

    A mon sens, il aurait été bien plus légitime et très facile d’en faire figurer quelques éléments les plus importants sur les bancs titres du générique final. Est-ce une concession envers tous ceux qui auraient pu reprocher au réalisateur de montrer une image trop complaisante de l’Empereur ? Je ne sais pas vraiment, mais quoiqu’il en soit, cette énumération aux chiffres contestables m’apparait du plus mauvais gout. 

    Un autre banc titre vient également à la suite rappeler ses dernières paroles : « Tête-Armée-Joséphine ». Il n’aurait en réalité dit que : « Tête-Armée », mais cela colle admirablement avec le point de vue du réalisateur sur le véritable sujet du film, l’histoire d’amour de l’empereur, en lui conférant une aura romantique au moment de sa mort. 

    Enfin, un peu à la manière des bancs titres que Clint Eastwood place à la fin de ses films dans le but de les relier à l’histoire immédiate, j’aurai adoré voir l’évocation du retour triomphal des Cendres en France, avec la foule énorme qui acceuillit l’empereur à son retour. Puis, de la même façon, il aurait été judicieux de présenter, en conclusion, son majestueux tombeau aux Invalides, qui fait l’objet d’un véritable pèlerinage aujourd’hui.  

    Conclusion

    Même si ce film contenait dès le départ beaucoup de belles promesses, je suis bien loin d’être déçu par son visionnage. En réalité, j’ai vu le film que je m’attendais à voir et j’ai adoré voir un Napoléon évoluer dans une mise en scène aussi grandiose et épique. C’est même un film que je reverrai avec plaisir, dans sa version longue uniquement. 

    Je le recommande donc pour tous les fans de l’empereur, ne serait-ce que pour voir les séquences où l’empereur charge sabre en main lors des batailles. En cela, il emprunte davantage à la Légende dorée qu’à la légende noire, mais se faait fort de nous offrit pour la première fois un Napoléon véritablement humain, en proie à un amour passionnée. Je préfère largement le voir représenté de cette façon que de le voir comme un calculateur froid et insensible ou bien encore un tyran mégalomane dénuée de toute émotion. 

    Napoléon est présenté à chaque instant comme un monarque rêvant de la paix, voulant et cherchant la paix. A plusieurs reprises, il y est montré comme souhaitant à tout prix la paix en Europe, qu’il décrit comme « le vœu de mon cœur ».

    Je pourrais encore disserter longtemps sur les vertus de Napoléon montrées dans le film, ainsi que sur les qualités du film lui-même. Cependant, comme je l’ai dit, je pense que l’œuvre de Ridley Scott portait trop de promesses pour les spécialistes qui furent inévitablement un peu déçus. Ils ne s’attendaient surement pas à l’angle choisi par le réalisateur pour développer son histoire. Selon moi, pourtant, il fallait que cette histoire d’amour passionnel soit remis à la place qui est la sienne, à savoir au tout premier plan. Ceux qui ont été nourris de la flamme napoléonienne par André Castelot comme moi ne sont certainement pas surpris. 

    En conclusion, comme je l’ai expliqué, le seul véritable défaut du film est qu’il est toujours trop court. Il est véritablement impossible de saisir toute l’épopée impériale en un seul film, fût-il de 3h24. AppleTV aurait peut-être dû choisir le format de série en 10, 12 ou 14 épisodes, voire plus, pour se donner le temps nécessaire à développer une narration tellement riche. 

    Il y a forcément beaucoup de manques, car le réalisateur s’est concentré sur son objectif : humaniser le personnage à travers son histoire d’amour. Bien sûr, j’aurai adoré voir la finesse du stratège, le contact étroit qu’il gardait avec ses soldats qui lui vouaient une affection et un amour indicible. On ne peut pas brosser le portrait d’un tel homme en si peu de temps. D’ailleurs, l’histoire du cinéma fait montre de grandes renonciations. En son temps, Charlie Chaplin n’a pas pu mener à terme son projet de film sur Napoléon. Plus tard, Stanley Kubrick avait, en revanche, un projet beaucoup plus avancé, en termes de scénario et de repérages. Il a dû finalement y renoncer à son tour, car il n’a pas trouvé son acteur idéal pour incarner Napoléon. A l’heure où j’écris ses lignes, Steven Spielberg aurait récupéré ce scénario, mais devant l’ampleur du sujet, semblerait s’orienter lui aussi plutôt vers un format de série TV que de long métrage.

    Ridley Scott a, pour sa part, malgré les erreurs et ce qu’on peut reprocher à son film, réussi à mener son projet à terme, projet qu’il a porté, selon ses dires, depuis son tout premier film “Les Duellistes”.

    Il faut saluer la plateforme Apple, le réalisateur et son interprète d’avoir eu le courage de se confronter à un pan aussi riche et essentiel de notre histoire. A-t-on en France le talent, l’argent, le courage et surtout la volonté pour s’attaquer à une telle épopée ?

    Lors des polémiques qui suivirent le film, Ridley Scott déclara « Les français ne s’aiment pas ». Après tout, un film consacré à une de nos plus grandes figures nationales réalisé par un Anglais, interprété par des acteurs américains et tourné entièrement hors de France a du en courroucer beaucoup. Pourtant, comment ne pas lui donner raison au regard de la piètre attitude de l’État français lors des commémorations du bicentenaire de la mort de Napoléon le 5 Mai 2021. J’y vois le paradoxe d’un État qui a presque honte de la grandeur de l’homme tout en continuant de bénéficier des apports législatifs que l’Empereur a mis en place. Une ingratitude affligeante qui se manifeste également par le déboulonnement des statues de napoléon sous le prétexte discutable qu’il aurait rétabli l’esclavage. Pour l’occasion, je suis personnellement fier de ma ville de Montauban qui, a cette même période, a décidé au contraire d’inaugurer une statue de l’Empereur au centre-ville, à proximités des allées qui portent son nom. 

    Au final, j’ai donc tenté ici d’explique la signification symbolique des inexactitudes historiques que l’on reproche essentiellement au film de Ridley Scott. Pourtant, je pense que dans ce cas aussi, le film pourra et devra inciter chacun à aller s’informer, à rechercher et à se renseigner sur cette période fascinante de notre histoire. Comme je l’ai rappelé plus haut, j’ai eu ce réflexe de recherche lors de la sortie de « Gladiator ». Et c’est peut-être là la véritable mission et l’intérêt de ce film : permettre à ses spectateurs de s’intéresser à ce pan essentiel de notre histoire nationale, les inciter à lire des livres, à s’informer sur la réalité historique qui n’est pas si éloignée que ça de la légende. 

    Si le film permet cette démarche et cet intetêt, il sera certainement plus compris et davantage accepté. En cela, il aura atteint sa finalité : mettre Napoléon au centre de notre Histoire.

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