En parallèle à une carrière d'acteur assez exceptionnelle, Tom Hanks commence aussi à se forger une très belle carrière en tant que producteur. Il ne faut surtout pas passer à côté de "Band of Brother" et de sa suite indirecte "The Pacific", par exemple, qu'il a co-produite avec le grand Steven Spielberg. Ces deux séries déploient des moyens et des ambitions cinématographiques hors normes sur le petit écran, et réussissent le tour de force de nous plonger avec beaucoup de réalisme et avec une très grande exactitude historique au cœur des conflits de la seconde guerre mondiale, avec presque quasiment autant de puissance émotionnelle que ne l'a fait au cinéma "Il faut sauver le soldat Ryan", des deux même Hanks et Spielberg. Nous y reviendrons. C'est donc avec beaucoup de curiosité que l'on aborde cette "Olive Kitteridge". D'entrée, on remarque qu'il s'agit d'une production HBO, dont le fleuron "Le Trône de Fer" caractérise assez bien à lui seul les marques de fabrique de la production : une débauche de moyens, des décors et des costumes fastueux et des scènes sexuellement explicites. Sachant tout cela, on s'attend donc, avec l'association des deux, à quelque chose de grandiose, d'hors normes. Et, pour autant qu'elle soit effectivement hors normes, la surprise est grande et totale, car "Olive Kitteridge"ne satisfait à aucun des autres critères. Bien au contraire, elle en est même le contrepoint étonnant en suivant un chemin radicalement opposé : la série se déroule dans une petite ville fictive et modeste, Crosby, localisée dans le Maine, et retrace 25 années de la vie d'une femme, Olive Kitteridge, au milieu d'une galerie de personnages tout aussi humbles. Les décors sont donc modestes et mesurés, tout comme la vision de la sexualité, présentée comme cachée ou refoulée. Cela donne au final un portait acerbe, très dur et dont le résultat visuel est sans concession, et si j'en parle aujourd'hui, c'est parce que c'est certainement une des séries les plus violentes, dans le message pessimiste qui la sous-tend, qu'il m'est été donné de voir. Cependant, au delà de ce message pessimiste qu'il faut, j'essayerai de le démontrer, nuancer un peu, les qualités sont si nombreuses qu'il ne faut pas passer à côté de cette série flamboyante.
I. Une héroïne à contre-sens.
La surprise initiale de la découverte de l'ambiance particulière de la série passée, on a du mal à s'attacher au personnage principal. Olive n'est pas un anti-héros au sens où je les aime, c'est à dire un personnage auquel on s'attache par ses multiples défauts, mais qui à force de persévérance ou de chance finit par s'en sortir. Ici, on est davantage en présence d'un héros à priori assez antipathique. Mais cette notion même est à nuancer. Je me souviens du slogan qui courait sur la série mythique "Dallas", à propos de son personnage principal J.R. Ewing : "Vous allez adorer le détester". L'idée du héros ambivalent, voire carrément méchant auquel on finit par s'attacher a contribué au succès planétaire de cette série. On a depuis bien souvent repris ce slogan. Ce type de profil est toujours utilisé actuellement, comme dans l'excellent "House of Card" par exemple, avec un Kevin Spacey inoubliable. Pourtant, Olive Kitteridge va pousser ce trait de caractère plus loin encore. A priori, rien ne semble contrebalancer ou excuser son tempérament. C'est le portrait d'une femme au caractère difficile, acariâtre, toujours en colère, toujours désagréable, en particulier auprès de son mari, un homme doux et aimant, et de son fils. Ce caractère est exacerbé et mis en relief grâce au dispositif qui consiste à lui opposer celui de son époux, qui lui est en tout point opposé. Henry Kitteridge, interprété avec beaucoup de talent par Richard Jenkins, est un homme doux, très bon, généreux, serviable mais surtout, et c'est le trait qui étonne le plus, aimant sa femme. A eux deux, ils forment donc un couple très improbable.Olive ne fait rien pour être aimée, c'est même le contraire, y compris auprès de Chris, leur fils : institutrice, elle préfère s'occuper d'un autre élève du même age plutôt que de lui. Je dois avouer que si j'ai du produire un effort pour m'attacher au personnage d'Olive, j'ai été très vite captivé par le personnage d'Henry, au point même que je me suis surpris à penser qu'il y avait peut-être un erreur et qu' Henry était le véritable héros de cette histoire. Les séquences quotidiennes de la vie du couples sont toutes d'une violence imparable : Olive refuse toutes les nombreuses attentions d' Henry, les cartes de St Valentin, les bouquets de fleurs, les cadeaux divers, refroidit ses ardeurs et reste inexpressive lorsqu'il lui exprime son amour par des gestes tendres ou des mots doux. Mais la série ne s'appelle pas Henry Kitteridge, et ce genre de pensées involontaire montre bien à quel point, en tant que spectateur, nous pouvons être influencés involontairement par des décennies de stéréotypes scénaristiques qui nous poussent littéralement plutôt vers le personnage bon, auquel nous nous rattachons naturellement. La série nous demande un investissement : aller vers cette femme, pour essayer de la comprendre. Henry n'est pas le seul qui fasse contrepoint au caractère d'Olive, puisque leur fils unique, Chris, fait également les frais de ce caractère dur. En fait, tous les personnages qui croisent sa route ont affaire à ce franc parler, qui blesse, souvent et volontairement.
II. Une réalité complexe dissimulée
La série est portée à bout de bras par Frances McDormand, qui interprète le rôle titre, dont on remarque la grande implication car elle est également productrice de la série aux côté de Tom Hanks. Épouse de Joël Cohen, qui avec son frère l'imposera dans plusieurs de leurs films, elle trouve à mon avis ici un de ses rôles les plus marquant et peut-être le plus complexe de sa carrière, depuis l'incontournable "Fargo", pour lequel rappelons le, elle décrocha l'Oscar de la meilleure actrice. Olive Kitteridge est adapté du roman d'Élizabeth Srout, paru en 2008 et qui a reçu le prestigieux Prix Pulitzer. Les 4 épisodes correspondent aux 4 parties du roman. Si l'on fait l'effort d’intégrer son caractère antipathique, on s'aperçoit de façon progressive qu'Olive dissimule une personnalité plus complexe qu'on ne le pensait au début. Ses réactions sont tellement outrancières et son franc parler tellement cinglant qu'on se surprend à y trouver d'inattendus ressorts comiques. Ce registre comique cohabite avec toutes les intentions de la série. La séquence la plus violente, et certainement l'une des plus décisives, est celle de la prise d'otages. Face à cette irruption de violence, les masques tombent et les vérités refoulés depuis des années émergent enfin. Cependant, très rapidement, cette ébauche de paroles décalées face à l'action transforme cette séquence en parodie. On se surprend à sourire, alors que tout, paroles et action, sont dramatiques. Cette association décalée est une réussite, et cette séquence, finalement, symbolise à elle seule les rapports d'Olive au monde qui l'entoure. Peu à peu, on apprends à discerner les émotions chez cette femme, à l'expression presque figée. Par exemple, son visage ne sourit jamais. Pourtant, on est ému à mesure que l'on s'attache à ce personnage, et c'est une force de la série d'y parvenir puisqu'il est lui-même dénué d'émotions. Dès le début, j'ai été frappé par le discours sur l'Amour véhiculé ici, et sur la manière dont les personnages l’appréhende. On doute de la réalité des sentiments dans ce couple improbable, entre deux personnes tellement différentes qu'elles en sont presque incompatibles. Il faudrait parler ici, sans trop déflorer, de la manière très différente qu'ont Henry et Olive de vivre leur couple, d'évacuer leur frustration et d'assouvir leurs envie d’échappatoire, chacun à leur manière. La séquence où Olive étouffe son chagrin dans le creux d'un oreiller résume les sentiments secrets enfouis, qu'elle ne réussira à exprimer qu'au moment de la prise d'otages. De son côté, la relation ambiguë d'Henry avec Denise, son employé trouve un aboutissement sacrificiel assez troublant. La fin, avec l'apparition savoureuse du personnage de Bill Murray, apporte une réponse sur la réalité de leurs sentiments : illusion entretenue ou réalité. Cela suscite un débat, mais chacun, au final se fera une idée en se renvoyant à sa propre expérience de vie.
III. Un message ambiguë
La tension de la série est amenée dès son amorce : Olive est seule et âgée. Après avoir erré calmement dans une foret, elle installe calmement ce que l'on pense être un pic-nic. Mais c'est un revolver qu'elle déploie de son torchon. On comprends ses intentions. Derniers regards vers la beauté de la Nature. Elle va manifestement passer l'acte. C'est le début du flash-back que sera la série, un retour au milieu des années 80, si proches et si lointaines à la fois. Nous avons donc 4 épisodes, c'est à dire seulement 4 heures pour brosser les 25 dernières années de son existence.
Sans déflorer le final, je me pose encore beaucoup de questions sur le sens à donner à une telle vie. Certes, l'évolution des mœurs fait que l'on n'aborde plus les questions de couples aujourd'hui comme on les abordait dans les années 50. Très intelligemment, Olive est confronté à l'ensemble des problématiques modernes lors de la séquence qui la voit rendre visite à son fils à New-York. Tout y est subtilement exposé : les différences entre modes de vies et façons de voir citadins et provinciaux, l'évolution des rapports et des rôles au sein du couple, l'éducation apportée aux enfants, les facilités et problématiques de communication, les différences générationnelles. En complet décalage, le réalisant mais n'y pouvant rien, Olive est blessée et se révèle touchante. Au soir de sa vie, que penser d'un tel bilan? Je revoie tous les questionnements sur la vie de couple, telle que nous la proposent Olive et Henry. Existe t-il d'autres raisons que les sentiments amoureux qui font que l'on reste ensemble : l'habitude, le fait d'être parent, les conventions ou bien simplement la persistance de voir le meilleur dans l'autre ? L'amour est-il tellement complexe qu'il peut surmonter le physique ingrat, la personnalité rédhibitoire et un caractère insupportable. Ce couple, aux éléments d'apparence incompatible, a existé, bien que l'on parle ici seulement de fiction. Ce réalisme des sentiments fait contrepoint au romantisme proposé généralement par les productions américaines, et c'est ce qui constitue une des forces majeures d'Olive Kitteridge. On a tendance à y voir un message pessimiste, est ce à dire que la réalité de la vie est également faite de désespoir ? Ces questions, que l'on se pose à soi-même à la vision de cette série, nous plongent dans les thématiques de dépression personnelles et aux questions du rapport avec la mort. C'est vrai, c'est une vie sans relief, sans gloire. Au final, Olive est elle même dépressive. Durant ces années, elle a côtoyé une bipolaire, un suicidaire et tout un tas de Loosers. Tous les personnages qu'elle a rencontré contiennent en eux des failles psychologiques : frustration, culpabilité, troubles psychologiques divers ou encore pulsions suicidaires. Ce pessimisme que la série distille est à nuancer, car chacune de ses actions, voire même chaque acte de chaque personnage, a des répercussions sur l'avenir des autres. Olive sur son fils, sa voisine bipolaire sur son fils également, les hommes qui gravitent autour de la douce Denise, et que dire du personnage récurrent de la chanteuse, dont la destinée est en filigrane, empreinte de désespoir. Cet aspect se transforme pourtant un peu par le biais du personnage interprété par Bill Murray. S'il n'apparait que vers la fin, il est l'acteur idéal pour interpréter le rôle de ce veuf, à la mélancolie affichée, au contact duquel Olive se transforme et s'ouvre un peu. Doué d'une réparti équivalente à la sienne,il ouvrira à son contact des perspectives qu'elle n'attendait plus. A partir de cette rencontre se dégage peut-être le deuxième grand questionnement de la série : comment les choix que l'on fait doivent nous amener ou non à profiter de la vie. Car le temps est compté. On a l'impression que tout s'est joué pour Olive durant ces 25 dernières années qui se sont écoulés tellement vite. Cette série aurait pu durer des années, avec un personnage aussi caustique, mais alors on aurait perdu cette fulgurance du temps, concrétisé par la rapidité à laquelle passe ces 4 heures. Enfin, on remarquera que jamais cette héroïne n'aura dit ces mots : "Je t'aime". Cela nous en dit long sur les difficultés de la vie, et sur la complexité des relations humaines.
Conclusion
Au final, Olive Kitteridge m'a secoué par son pessimisme. Avec le recul, car elle nous poursuit longtemps après son visionnage, on s'aperçoit que cet aspect est tout relatif. Elle provoque en moi, et peut-être chez le spectateur, un sentiment contraire par l'effet bien connu de Catarsis : vouloir profiter de la vie, dire "Je t'aime", faire les bons choix dans notre existence éphémère. On est triste pour elle, car le processus d'attachement a malgré tout fonctionné, même si le final nous invite à en tirer des leçons. La réalisatrice Lisa Cholodenko, dont je n'ai pas parlé, maitrise un rythme lent, sans être contemplatif. Je pense que le fait qu'elle soit aussi une femme lui a permis de trouver les solutions narratives et visuelles pour s'attacher à ce personnage, malgré les efforts de celle-ci pour être distante. On n'est pas comme Henry, mais on devient attaché, peu à peu, inévitablement. Je dirais que la bascule s'établit au moment où Olive découvre ses propres failles, et s'aperçoit du miroir que la société lui renvoie, alors qu'elle n'a pas cessée d'être elle-même. Je pense ici à la séquence où elle entend fortuitement ce que sa belle-fille et ses amies pensent d'elle le jour du mariage de son fils. Un moment banal comme il s'en produit chaque jour, et que certains d'entre nous ont eu le déplaisir de connaître. C'est cela Olive Kitteridge, une violence parfois cruelle des propos et des situations dans un rythme lent. Ce rythme lent permet de s'attacher aux évènements autant qu'aux banalités; ce qui démontre que tous ces instants forment un ensemble dans une vie. Cela demande une exigence pour le spectateur de s'accrocher à ce personnage, comme aux autres, mais au final, le plaisir est très grand. Je viens d'apprendre que la série croulait déjà sous plusieurs récompenses artistiques, à mon avis mérités; la mienne sera plus modestement d'avoir réussi à susciter votre curiosité à l'endroit de cette œuvre si particulière.
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