En programmant The Missing, France 3 a réussi un tour de force ordinairement réservé à des chaines câblés. La qualité de la série est telle que j'ai été personnellement surpris par sa programmation sur le service public. Elle fait partie de ce renouveau des séries anglaises, au même titre que Docteur Foster dont j'ai déjà parlé ici. Il faut dire que cette minisérie de 8 épisodes seulement est atypique et se distingue par quelques traits caractéristiques. Tout d'abord un scénario solide, qui fait la part belle au développement psychologique de ses protagonistes, et d'autre part, une interprétation tout à fait exceptionnelle, notamment de la part de James Nesbitt et de Tcheky Kario. Frances O'Connor, Saïd Taghmaoui et Emilie Duquenne viennent compléter par leur talent cette généreuse distribution. L'ensemble repose dans un écrin de velours d'une réalisation soignée, subtile et millimétrée. Si la thématique de la disparition d'un enfant n'a jamais été aussi présente sur nos petits écrans que depuis ces quelques années, puisqu'on citera en vrac "The Five", The Family" et "Broad Church", The Missing sait se distinguer par un dispositif narratif éclaté sur deux époques, ainsi par une profondeur psychologique rarement égalé et sans commune mesure avec ses concurrentes.
I. Un principe de double temporalité.
La série propose un astucieux principe narratif qui permet de multiplier par deux les effets de suspense. Au départ, le pitch s'apparente à un banal fait divers : de retour de vacances, un couple anglais est contraint de s’arrêter à la suite d'une panne de voiture pour 48 heures dans un petit village du nord de la France, tout autant typique que fictif, Châlon sur Bois, au moment de la Coupe du Monde de Football en 2006. En pleine effervescence d'un soir de match, le jeune enfant du couple, Oliver, disparaît au milieu de la foule de supporters. Le drame se dévellope donc à la fois en exploitant les conséquences immédiates de cette disparition, mais aussi nous permet de nous projeter huit ans après. En 2014 l'enquête fait partie depuis longtemps du passé et on mesure toutes les conséquences du temps qui est venu faire son office : le couple initial des parents s'est séparé, n'ayant jamais pu se remettre du mystère de la disparition de leur enfant, le policier en charge de l'affaire est à la retraite, et vit paisiblement au côté de son épouse en élevant des abeilles, et tous les autres protagonistes ont évolué en fonction de la façon dont l'affaire les a impliqué à l'époque. L'histoire sera habitée constamment par l'image du petit Oliver, surnommé affectueusement Ollie, qui demeurera le grand absent. Le fait de suivre également la reprise de l'enquête huit ans après semble donner l'illusion que l'on a saisit ce qui s'était passé au moment de la disparition et comment l'enquête s'est rapidement retrouvée au point mort. Il n'en est rien, et le téléspectateur prendra autant de plaisir à suivre les évènements lourds qui se déroulèrent à l'époque que ceux d'aujourd'hui. La réalisation joue avec la notion de montage parallèle de manière à venir faire s'entrechoquer les évènements passé et présents. Les deux intrigues évoluent donc de concert, chacune dans sa temporalité, même si l'on fera également un rapide détour en 2009, jusqu'à l'aboutissement final.
On remarquera une chose extrêmement rare pour une série : un réalisateur unique. En donnant un unique point de vue, cela se sent que Tom Shankland donne une uniformité à l'ensemble de la série. Les fans d'Hitchcock comme moi ne manqueront pas de reperer le néon vert de "Sueurs Froides" qui donne cette ambiance crépusculaire si particulière lorsque le couple s'installe à l'hotel qui les héberge après la disparition. Cette dominante chromatique sera particulièrement sensible lors d'une scène poignante entre Tony Hughes et son épouse. Parallèlement, la réalisation réussit à être assez proche du Réel, peut-être en partie parce que les décors sont assez proches du quotidien pour des téléspectateurs français. Mais ce n'est pas la seule raison, car il y a un aspect esthétique quasi-documentaire dans la façon d'appréhender ces petits villages ruraux, les gites et les campings.
Ce réalisateur a su donner un aspect authentique à ce scénario, et ce malgré les intrigues de gangs qui semblent se développer au milieu de la saison et qui auraient pu faire décrocher de cette authenticité. "The Family" exploite également ce principe de double temporalité dans la même thématique de la disparition d'un enfant. J'en parlerai peut-être plus dans un autre article, mais ici, la différence se fait sur la caractérisation des personnages. Les Hughes de "The Missing" sont des gens ordinaires et simples, pas comme les Warren de "The Family" dont l'intrigue tient compte des aspirations politiques de la mère, maire et candidate à la députation, et au père, écrivain qui semble avoir bien réussi.
II. Entre déséquilibre et incompréhension
La thématique de l'enfant disparu rend la série propice à des comparaisons avec les différentes séries que j'évoquais plus haut. Cependant, elle parvient à s'en distinguer par une judicieuse exploitation des thématiques suivantes :
- L'incompréhension:
Cette incompréhension, je la situe de deux manières. Premièrement, l'intrigue se situe en France, ce qui a procuré, j'ai cru comprendre, quelques soucis au moment de la post-synchronisation. En effet, comme c'est souvent le cas dans ce type de situation, à moins d’accéder directement à la V.O. on se prive de ce que j'appelle les subtilités de langage : expressions françaises dans le texte ou encore jeux de mots difficilement transcriptibles. Un autre cas de figure se trouve dans les situations elles-mêmes, qu'il faut replacer dans un contexte réaliste : par exemple, les personnages qui s'expriment en anglais sont difficilement compréhensibles par les villageois français, et vice-versa. Les autorités font donc appel à un traducteur qui sert d'intermédiaire. Si ce n'est que ce personnage a son degré d'importance et d'implication par la suite, sa fonction première apparaît donc peu utile au départ pour le téléspectateur français. Faire abstraction de ces faits de langue aide également à oublier que par la suite, beaucoup d'autochtones s'expriment parfaitement en anglais, puisqu'ils sont compris par les protagonistes. Dans le cas de cette fiction, cela permet par exemple de passer sur la surprise consistant à remarquer que les moindres habitants de ce petit village du nord de la France maîtrisent assez bien la langue anglaise. Si je m'attarde d'emblée sur ce fait, c'est parce que d'une part l'intrigue propose le personnage de l'inspecteur-traducteur nommé par les autorités pour faciliter l'enquête, et dont le rôle dépassera la fonction dans la suite des évènements, et que d'autre part, le couple, et James Nesbitt en tête, reflète dans son jeu et ses expressions l'incompréhension de ce qui lui est dit par l'ensemble de leurs interlocuteurs français. Si cette notion d'incompréhension est au cœur de l'intrigue, elle est également au coeur du principe narratif de double temporalité.
Enfin, cette notion d'incompréhension, représenté par une enquête qu'il considère inachevée, pousse le lieutenant Julien Baptiste, incarné par l'excellent Tcheky Kario, à sortir de sa retraite. Il doit lui aussi faire face à l'incompréhension de son épouse. Il compose un personnage attachant, à la fois tendre et rugueux.
- Le déséquilibre :
Le déséquilibre des situations est incarné par le personnage de Tony Hughes. James Nesbitt incarne ce père de famille brisé et fragile, mais déterminé à découvrir la vérité sur son fils. Il a du mal à accepter que ce ne soit pas le cas pour tous ceux qui l'entourent, et en particulier sa femme qui a refait sa vie. C'est à mon avis un acteur d'un talent incroyable, et il suffit pour s'en convaincre de revoir "Jekyll", petite série anglaise qui proposait de transporter le "Jekyll and Hyde" de Stevenson à notre époque. La série est a voir uniquement pour Nesbitt, qui dans le rôle titre réussit le tour de force d'incarner les deux facettes du personnage uniquement par son jeu d'acteur sans avoir recours à aucun maquillage. Cela reste un modèle pour moi. Ici, son jeu frôle la perfection, tant ses réactions semblent authentiques. Il incarne à lui seul cette notion de déséquilibre incessant, de personnage à contre-pied de ce que la réalité du monde veut lui imposer. Cela le conduit à une solitude extreme : solitude géographique, souligné par des décors étendus dans lesquels il est souvent au centre de grandes étendues, solitude de la langue, qui ne lui permet pas d'être compris même lorsqu'il est entouré, solitude émotionnelle, lorsqu'il ne parvient plus à communiquer avec sa femme. La séquence de la disparition, qui lui permet d'exprimer tout le désespoir d'un père, est en cela terrible puisqu'elle le place isolé au milieu de la joie des supporters.
Cette idée de déséquilibre passe rapidement du niveau physique au niveau psychologique. Si le destin final de Tony ne laisse guère place au doute, il est aussi symbolisé par Julien Baptiste, qui souffre physiquement des séquelles de l'enquête de 2006 par sa blessure à la jambe tout autant que psychologiquement par son obstination à résoudre cette enquête inachevée qui lui a laissé un gout amer. Et que dire des personnages de pédophiles, dont le calvaire psychologique s'accompagne de séquelles physiques.
III. Une histoire de couple, une histoire de deuil.
On l'a dit, la série est très bien réalisée, puisque malgré cette double temporalité, l'intrigue demeure toujours très claire et on ne s'y perd jamais. La notion d'enquête policière est très prenante, mais s'entremêle à chaque instant avec la notion de drame humain. Comment ne pas penser à soi-même, lorsque l'on lache la main d'un tout petit enfant. Il suffit d'un très court instant pour que la vie bascule à jamais. La disparition du jeune Olly permet d'explorer les nombreuses facettes psychologique de ses interprètes, et certaines se révèlent étonnantes. En cela, la fiction pose la question : jusqu'ou est-on capable d'aller pour retrouver son enfant, pour découvrir la vérité. L'identification avec les protagonistes principaux fonctionne tellement bien, que ce sentiment d'empathie est mis à profit de façon intelligente par les scénaristes pour attirer notre attention sur le personnage du jeune Vincent Bourg, pédophile arrêté à tort. Son itinéraire permet de voir en quoi la pédophilie révèle d'une affection psychologique, et montre les souffrances qui existent à vouloir à tout prix en sortir. Cependant, le pendant du personnage, l'entrepreneur Ian Garret, également pédophile, même s'il le cache à la société et à son épouse, est là pour rappeler la dangerosité réelle de tels agissements. Il y a dans ce duo beaucoup à dire sur la psychologie relevant de cette affection, et rarement une série n'aura montré un aspect si peu manichéen de la chose. Il faudra attendre "The Family", dont j'ai parlé plus haut, pour trouver un personnage de pédophile, accusé puis blanchi, et montrer ses souffrances dans sa volonté de réinsertion tout en tentant de résister à ses pulsions. Les scénaristes font preuve, dans le traitement de ces personnages, d'une belle humanité. Le téléspectateur comprend assez rapidement que le principal suspect arrêté, ne l'est en réalité que parce qu'il a des antécédents pédophile. Chacun des protagonistes nous est ainsi montré dans l'intégralité de leurs facettes, sans jamais offrir un angle manichéen et donc sans jamais les juger. Cette écriture sensible donne le rythme à la série : l'évolution et la résolution de l'enquête prends son temps, s'attarde sur les fausses pistes, D'ailleurs, sans pour autant spolier, on découvrira que le coupable à la fin est finalement lui aussi rongé par ses actes.
La série s'appuie sur les effets de la disparition d'un être aimé pour nous dire des choses sur le couple et l'amour, la fin de carrière et la retraite, la reconversion et les effets du temps. Alors que Tony le père ne cessera jamais de chercher la vérité, Emily, l'épouse et mère trouve une famille, et donc un fils de substitution en refaisant sa vie auprès de l'enquêteur anglais qui leur servait d'interprète. Pourtant, le fantôme du passé resurgissent semble rendre incertain la nouvelle vie dans laquelle elle s'est lancée. Il y a beaucoup de pudeur dans la relation qui subsiste avec son ancien époux. La scène de leur entrevue sur une place lors du dernier épisode est exemplaire du lien invisible qui les unit. Les choses que l'on présente comme établies en 2014 sont remises en question, à l'image du remariage d'Emily. Cela confère le caractère incertain du sens de la vie, un peu à la manière dont le scénario exploite et attirent notre attention sur autant de pistes qui se révèlent fausses. Rien n'est prévisible, et c'est finalement le sens initial donné à cette disparition : un père lache la main de son enfant un court instant, et pourtant cela suffit pour que le drame se produise. La double temporalité vient renforcer ce discours sur le sens de la vie : certaines choses ont changé avec le temps, d'autres ont persisté.
Conclusion
Que retenir de "The Missing" ? Qu'il est difficile, voire impossible de faire le deuil d'un enfant, et même au delà par l'itinéraire ce ces couples brisés, de quelqu'un que l'on aime. Qu'une famille composée d'un couple s'aimant ne peut survivre à un traumatisme pareil. On remarquera l'intelligence scénaristique qui fera qu'au final,Tony Hughes, deviendra un peu le genre de personne qu'il déteste. La grande leçon que je retire de cette série est encore une fois le personnage d'un homme seul qui doit affronter le reste du monde afin de tenter de le convaincre. Cette attitude "jusqu'au boutisme" que j'admire tant dans l'oeuvre de McGoohan, ici Tony Hughes montre comment l'acharnement dans une croyance peut soulever des montagnes. Julien Baptiste lui dit "Comme moi, vous avez une obsession. Et c'est devenu votre vie". Même si cette croyance repose sur bien peu de choses au départ, même si elle est mise à mal par le temps et l'expérience, la leçon qui nous est donnée ici est qu'il faut s'y attacher. L'épilogue de la série, tout surprenant qu'il soit, est en cela éclatant. Je pense qu'il nous permettra de débattre, et c'est aussi en ça que cette série mérite tant d'éloges : on ne peut y rester insensible. Ce final, notamment par son épilogue, a divisé la critique, mais n'a pas empêché une saison 2 dont je ne manquerai pas de parler, pour peu que l'exigence qualitative soit maintenue. On sait seulement qu'on ne retrouvera pas l'affaire d'Olie Hughes, mais, à l'image de "Prey", on continuera à suivre Julien Baptiste, alias Tcheky Kario, et cela seul suffit à être séduisant.
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