Au milieu de la multitude de films qui sortent chaque année, il en existe certains qui sont très difficiles à voir. Non pas parce qu'ils contiennent des scènes difficiles, violentes ou censurés, bien que ce point se discute, mais surtout parce qu'ils bénéficient d'une distribution particulière dans les salles. En conséquence, cela rend extrêmement compliqué le simple fait de prévoir une soirée pour aller les voir sur grand écran. L'exemple récent le plus célèbre est celui de"Welcome to New York" d'Abel Ferrara en 2014. Le film constitua l'un des évènements du Festival de Cannes et fut loué à la fois par la critique, par la grande famille du cinéma mais aussi finalement par le public du monde entier. Partout, on salua la prouesse des acteurs et on acclama l'audace du réalisateur. Partout, sauf en France où il fut d'abord interdit, avant de circuler sous le manteau, pour finir par être disponible en téléchargement.
Dans une tout autre mesure, c'est aujourd'hui le cas avec "La Résurrection du Christ" de Kevin Reynolds. Le film marque le retour très attendu du réalisateur après une absence de 10 ans, et jouit d'un succès critique et commercial, c'est à dire qu'il engrange de très bonnes recettes partout dans le monde et suscite majoritairement d'assez bonnes critiques. Pourtant, sa distribution française est soumise à de biens mystérieux caprices. Dans ma ville de Montauban, il n'a été programmé que lors d'une seule et unique séance, un dimanche après-midi. Pas plus. On pourrait penser, de prime abord, qu'il s'agit d'un film engagé, puisque dans le même temps, à Lourdes, il passe dans l'intégralité des 15 cinémas que compte la ville. Rien n'est moins certain, puisque nous le verrons plus bas, le film s'adresse en réalité à tout types de public. On ne peut non plus le soupçonner de connivence politique, comme ce fut le cas pour le film de Ferrara. Je ne m'attarderai pas ici à tenter de résoudre les mystères de cette programmation, préférant parler des qualités cinématographiques du film. Pour l'heure, il suffit de poser le constat suivant : ces étranges circonstances en font un film qu'on a du mal à visionner; il faut le chercher, et, en quelque sorte, il faut le mériter, si toutefois comme moi on n'habite pas dans une grande ville. C'est donc au moyen d'une copie piratée, téléchargée sur Internet, sous son titre original de"Risen",que j'ai pu savourer ce film dont j'attendais tant. Au final, il faut bien reconnaître que les espérances que l'on a placés en lui depuis le visionnage de sa bande annonce sont largement dépassés.
I. Une intrigue terriblement originale
L'idée qui sous-tend le film est d'une très grande originalité, de celles que j'aurai pu avoir, et je ne peux m’empêcher de m'étonner que personne ne l'ai eu auparavant. On en a déjà une première idée avec une bande annonce, qui pour une fois, est particulièrement astucieuse et dotée de slogans fort, qui marquent les esprits, tels que : "Et si la plus importante chasse à l'homme de l'Histoire était seulement le commencement ?" ou bien "Découvrez l'évènement qui changea le monde à travers le regard d'un non-croyant." Le film est ambitieux, autant dans la forme que dans le fond, puisqu'il nous propose un mélange inédit de Péplum et de film policier dans une sorte de Thriller antique à l'ambiance religieuse. On sait depuis cette bande annonce que le film parle du mystère de la Foi. Ce genre m'a évoqué l'excellent film "Le Tombeau", de Jonas McCord avec Antonio Banderas, ou bien encore dans un autre style "Da Vinci Code " de Ron Howard, qui exploitent tous deux la même problématique : Jésus a t-il véritablement ressuscité, ou bien ses admirateurs ont-ils subtilisés son corps afin de le faire croire. La ou ces deux films plaçaient l'enquête de nos jours, Kevin Reynolds la resitue au cœur même des évènements. En l'an 33, Ponce Pilate, gouverneur de la province de Judée, charge le tribun Clavius d’enquêter sur la disparition du corps du Christ, redoutant une mise en scène de ses disciples visant à faire croire en sa résurrection. Remarquons au passage que la demande provient du sanhédrin, organe religieux juif. Le mauvais rôle tenu par les juifs dans cette affaire est historique, et l'insistance à bien le rappeler dans ce film bat en brèches et rend caduques les accusations d'anti-sémitismes dont on a gratifié "La Passion du Christ", le chef d’œuvre de Mel Gibson, en son temps. Remarquons également qu'avant cela, Pilate charge Clavius de superviser la fin de la crucifixion de Jésus, ainsi que sa mise au tombeau pour les mêmes raisons. Clavius ira même jusqu’à ordonner l’abrégement des souffrances de Jésus au moyen d'une lance. Ce passage est très important, car elle rend le corps du Christ décelable, puisque contrairement aux autres crucifiés, il n'a pas eu les jambes brisées, porte les stigmates de la couronne d'épines et les traces de ce coup de lance. Ces marques distinctives seront important pour l'enquête à laquelle nous assistons.
Mais le film ne se contente pas d'exploiter intelligemment cette idée, il va encore plus loin et se distingue en proposant deux parties distinctes, séparées par une bascule tout aussi inattendue que déroutante. Je dois avouer avoir été vraiment très surpris, car justement l'intrigue promise par la bande annonce ne m'y avait pas préparé. Je supplie ceux qui n'auraient pas vu le film d’arrêter là leur lecture, et de la reprendre après le visionnage, car il n'y a rien de plus terrible que de gâcher le plaisir de cette surprise en la dévoilant.
C'est fait ? Vous avez vu le film ? Nous pouvons continuer alors.
Aidé de son aide de camp Lucius, campé par Tom Felton, connu pour son rôle de Drago Malefoy, le rival d'Harry Potter dans la saga du même nom, Clavius mène donc une véritable enquête policière durant toute une première partie du film. Les règles du genre sont respectées : examen des lieux, recherche d'indices, parmi lesquels nous reconnaitrons le célèbre Saint Suaire, interrogations de témoins et fausses pistes. L'issue de cette enquête se trouve résolue dans ce que j'appelle la bascule au milieu du film, lorsque Clavius rencontre à sa grande surprise, et aussi à celle de tous les spectateurs, un Christ bel et bien vivant. Ses certitudes et sa vision d'un monde rationnel ébranlé, le tribun suivra la route des apôtres, qui l’accueillent comme un frère, et se remettra en question tout en côtoyant Jésus.
II. Homme de peu de foi
Le personnage de Clavius doit tout à la composition de Joseph Fiennes, qui porte littéralement le film sur ses épaules. L'acteur y incarne un tribun romain, assez fatigué par les guerres qu'il a mené pour la gloire de Rome. L'ouverture du film commence d'ailleurs par une impressionnante séquence de bataille à l'issue de laquelle il mate la révolte des juifs menés par le rebelle zélote Barrabas. C'est peut-être ce point qui m'a le plus personnellement surpris dans ce film. Si je ne connais pas la véritable destinée d'un point de vue historique du personnage, je ne peux m’empêcher de penser au sublime "Barrabas" de Richard Fleischer, dans lequel le grand Anthony Quinn livre une interprétation magistrale du personnage. Ici, Fiennes arbore un visage dur et buriné, cicatrice à la lèvre. L'exposition du personnage de Clavius lors de cette scène de bataille inaugurale nous en apprend beaucoup sur lui : il est doté d'un esprit rationnel, puisqu'il analyse la situation, et met en place une stratégie en fonction des points faibles de l'adversaire; il est courageux, puisqu'il monte en première ligne et risque sa vie, et enfin il est assez autoritaire pour tuer lui-même Barrabas. Joseph Fiennes compose à merveille et avec beaucoup de conviction ce soldat expérimenté obéissant aux ordres, qui se transforme en enquêteur redoutable avant que ne surgisse l'instant où sa vie bascule. Il n'est pas un païen, puisqu'on le surprend plein de piété envers Mars, dieu de la guerre et d'autres divinités romaines, mais pour lui le Christ n'est personne, tout juste une victime supplémentaire qui finit crucifié. Puis, après sa rencontre marquante avec le Christ, on le voit se débarrasser de ses atours soldatesque, son visage rayonne et l'identification avec le personnage s'accentue. Fait d'autant plus remarquable puisqu'il passe quasiment en second plan lors de la seconde partie au profit des apôtres et de Jésus lui-même.
Le titre original, "Risen", résume tout autant le film que sa traduction française. Risen, qui signifie Relevé, fait bien sur référence en premier lieu à Jésus lui-même, relevé d'entre les morts, mais aussi à Clavius, qui est relevé métaphoriquement par sa rencontre directe avec le Christ et qui se met en marche au coté des apôtres. Lors de sa première rencontre avec Jésus, Clavius est invité à partager son repas. L'invitation au repas du Christ est symboliquement une célébration du Christ ressuscité et vivant : il partage le pain et le vin, ce qui dans la célébration, deviennent pour les chrétiens le corps et le sang du Christ offert en sacrifice sur la croix. C'est le point d'entrée dans la communion avec Jésus.
Il faut balayer de suite les critiques de prosélytisme que le film suscite quelquefois. En proposant la vision d'un non-croyant sur ces faits, ce film s'adresse à tous. Et puis, les messages du film sont plus subtils. En effet, Clavius n'est pas Thomas. On voit l’apôtre constater la présence de Jésus, examiner ses stigmates et toucher ses plaies avant d'accepter les faits. Mais si Thomas est d'abord un croyant qui a besoin de voir pour croire, ce n'est pas le cas de Clavius, qui est à l'inverse d'abord un non-croyant et dont la rencontre avec le Christ modifie les perceptions et le rapport au monde. Clavius a sa propre foi, ses propres dieux, et cette rencontre lui permet juste de s'ouvrir à une nouvelle conception du monde. Il écrit à Lucius : "J'ai été témoin d'une chose qui ne pourrait se concevoir : un homme mort sous mes yeux, et ce même homme, à nouveau en vie."Le message du film n'est donc pas de montrer un homme qui croit parce qu'il voit, car ce serait trop simple, mais plutôt de montrer l'itinéraire d'un homme en proie à des questionnements d'ordre métaphysique, sur sa vie et sur soi-même. Des questionnements qu'il nous arrive à tous de partager, à un moment ou à un autre de notre existence. Une de mes séquences préférées est celle dans laquelle il profite du sommeil des apôtres, une nuit, pour aller à la rencontre de Jésus, qui contemple seul les étoiles. Désirant lui parler, il peine à trouver les mots et déclare simplement : "Je ne sais pas quelle question vous poser". Je ne peux m’empêcher de penser qui si je me trouvais moi-même face à Jésus, c'est à peu près ce que je trouverai à lui dire dans un premier temps.
Ensuite, les quelques critiques négatives que j'ai pu croiser ça et là venaient justement d'organes chrétiens, qui reprochent essentiellement au film quelques infidélités par rapport aux textes des Évangiles. Personnellement, je trouve ça assez dommage, car ce faisant, ils passent peut-être à côté du véritable message du film. Si l'on se dirige vers cette voie, bien que je puisse la comprendre en tant que chrétien, cela signifierait qu'il faille revoir de grands classiques comme Ben-Hur, La Tunique ou Quo-Vadis, pour ne citer que les plus célèbres.
III. Les véritables prouesses
D'un point de vue strictement cinématographique, le film propose de nombreuses prouesses audacieuses.
La prouesse technique est de réussir à maintenir une tension tout au long du film. Kevin Reynolds est un des réalisateurs qui a émerveillé nos souvenirs, notamment avec "Robin des bois, prince des voleurs" avec Kevin Kostner, la plus belle version de Robin des Bois avec celle d'Errol Flynn, et récemment "Harfield et Mc Coy, mini-série en 3 épisodes, dont il faudra bien aussi que je parle un jour. Ici, on a droit à un sens du cadrage parfait, de belles idées de mise en scène, des mouvements de caméra judicieux et un montage efficace. Afin de dissiper toute ambiguïté sur la mort du Christ, le réalisateur choisi de nous la montrer d'emblée, plusieurs fois, dans une image certes terrible, mais travaillée comme une peinture, qui restera devant nos yeux et dans notre mémoire. Toujours d'un point de vue technique, il faut saluer un véritable exploit du réalisateur qui parvient à faire un péplum en 2016 , et en particulier sur un tel sujet, en n'utilisant que des décors naturels et en s'interdisant tout recours à des effets spéciaux numérique. Les séquences de miracles sont des modèles de montage : une simple coupe nous invite à croire à la disparition du Messie et à la guérison d'un lépreux. L'exercice était très osé et surtout très risqué, mais au final cela confère au film une sorte d'authenticité et de réalisme.
La prouesse scénaristique est de réussir à faire passer le héros, et donc l'acteur principal au niveau d'un second rôle lors de la bascule du film au milieu, au profit de Jésus et de ses apôtres, qui se retrouvent ainsi au premier plan. C'est d'autant plus époustouflant que le personnage de Jésus apparaît d'abord mort sur la croix dans la première partie, et fait donc presque figure d'élément de décor. L'enquête policière est un exemple dont devraient s'inspirer bon nombre de scénaristes. En effet, en tant que spectateur, nous connaissons la vérité, et malgré tout, notre attention est constamment mis en éveil par les rebondissements, les confrontation des récit lors des interrogatoires et les recherche de contradictions. On finit presque par ne plus savoir si ce nazaréen, appelé tout le long du film par son nom hébreu de Yeshua, est ressuscité ou non. Aucun temps mort et aucune occasion de souffler dans cet enchevêtrement de fausses pistes qui nous mènent inexorablement vers une vérité incroyable.L'humour est très peu présent. Certes, on sourit avec un running gag, sorte de leitmotiv, lorsqu'à chaque fois un centurion se présente devant Clavius en déclamant: "Ponce Pilate te fait demander". J'ai été personnellement troublé par l’apôtre Barthélemy, présenté un peu comme un fou bienheureux, légèrement allumé. Ces deux constatations amusent même le tribun, ce qui accentue encore la proximité du spectateur avec lui. Cette proximité rendra le contraste d'autant plus saisissant lorsque nous apprendront la vérité avec le tribun, puis que nous l'accompagnerons au contact des apôtres dans la seconde partie.
La prouesse de mise en scène repose notamment sur l'audace de son casting. Pour un acteur, le rôle de Jésus est certainement le plus difficile du monde, et il est interprété ici par l'acteur néo-zélandais Cliff Curtis. On sort donc du profil d'un James Caviezel ou encore du beau Robert Powell au profit d'un acteur typé et au teint mat, plus propice à incarner un nazaréen. L'acteur propose un Jésus toujours souriant, irradiant une joie de vivre et une paix intérieure assez fascinante, et donc extrêmement différent de ce que l'on a coutume de voir. C'est aussi peut-être le seul film où nous voyons Jésus d'abord sur la croix. Toujours concernant la mise en scène, l'idée du repas du Christ, dont nous avons parlé plus haut, est exemplaire. Lorsque Clavius fait irruption dans la pièce, la caméra subjective balaye la pièce au hasard et nous pouvons reconnaitre Jésus avec un temps d'avance, puis la caméra se fixe avec le regard du personnage comme pour simuler la stupeur du héros.
Conclusion
Comme je l'ai dit dans l'introduction, le film est déjà un gros succès aux États Unis, puisqu'il a déjà engrangé plus de 36.5 millions de dollars à l'heure où j'écris ces lignes. La France compte plus de 2 100 cinémas et plus de 5 200 salles, d'après le site "senat.fr", et pourtant le film ne sera diffusé que dans près de 80 salles dont seulement 9 en Île de France, ce qui représente un ratio de seulement 1.5% des salles françaises. A l'heure où on est libre de voir des films montrant de façon explicite des scènes tels que le viol, avec "Irréversible", l'homosexualité, avec "La vie d'Adèle", les pulsions sexuelles diverses, avec "Nimphomaniac", mais aussi le rascisme, avec "Un français" et tant d'autres tout aussi sensibles comme la Shoah, la seconde guerre mondiale, les conflits divers notamment avec les pays arabes, le diable, notamment avec toutes les films traitant d'exorcisme, on peut se demander quelles sont les raisons de cette distribution timide en France. Je n'ose croire à la crainte de polémiques, tant je l'ai dit, le film est subtil. De quoi a t-on réellement peur avec ce film ? Certainement qu'il ne soit pas assez iconoclaste. Ces "décideurs" n’apprécient manifestement pas qu'un film de divertissement ne prenne pas le spectateur pour un imbécile, et au contraire l'invite à la réflexion et à se plonger en lui-même On n'a pas besoin d'être croyant pour comprendre la simplicité du message du Christ. Cela soulève une autre question, au delà de la religion, celle de l'équité entre les films proposés.
A la lumière de cet exposé, il est évident qu'il s'agit pour moi du film de l'année, que je conseille de tout mon cœur. Vous ne regretterez pas les efforts dépensés pour le voir. Quant à moi, il ne me reste qu'à attendre la sortie du DVD, sur lequel je vais me précipiter, avec son lot de suppléments.
C'est à mon avis une des vocations premières que le cinéma partage avec le théâtre, bien que peu de films y parviennent réellement : faire ressortir les spectateurs dans un état différents de celui dans lequel ils étaient au début. Et ici, force est de reconnaître qu'on ressort de ce visionnage avec pleins de questionnements. "La Résurrection du Christ" est un film non conventionnel, qui surprend par ses choix audacieux autant sur le fond que sur la forme, et réussit l'exploit de se distinguer d'avec tout ce qui a été fait avant. Le pari de montrer la résurrection de façon explicite, loin d'inciter naïvement à croire, permet de se poser des questionnements existentiels fondamentaux. A la fin, nous devenons Clavius, que nous soyons croyants ou incroyants, et prenons part son voyage initiatique au côté des apôtres. Comme lui, nous nous trouvons dans une recherche éternelle, exprimant nos interrogations, nos doutes, nos peurs et exprimons ce débat entre Foi et Raison. Clavius voit Jésus et lui parle, mais cela ne lui suffit pas. Sur la nature de ce qui l'effraie, beaucoup pourraient faire la même réponse que le tribun : " Me tromper, et miser l'éternité la dessus." Enfin, comme lui, notre souhait n'est-il pas de voir "un jour sans morts"; et si les chrétiens verront dans ces paroles une allusion à la vie éternelle, les autres penserons à la paix sur Terre et finalement, on se rejoindra tous sur l'essentiel.
La bande annonce, véritablement très réussie du film.
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