Il existe certains domaines pour lesquels, très modestement, je peux me qualifier d'"expert". Pas au sens pompeux d'omniscient, mais plutôt dans le sens d’appréciateur avisé. Et il n'y a rien de pire lorsque vous connaissez votre sujet, et de surcroit lorsque vous l'aimez, que d'entendre ou de lire des argumentations fausses, des fadaises, voire des inepties. Pour moi, cela commence parfois tout simplement par une chronique cinéma lue par curiosité dans mon journal télé. Ce phénomène est d'autant plus frustrant qu'il n'y a pas d'interaction directe avec l'auteur, et donc pas de réponse immédiate possible. Personne en mesure de répliquer : mais mon cher journaliste, vous auriez bien mieux fait de vous renseigner un minimum sur votre sujet, avant d'écrire car ce que vous dites est faux, vous faites de grossières erreur, vos réflexions sont erronées et conduisent à des contresens évidents. Cette semaine, j'assiste à une prolifération de ces erreurs et de ces contresens dans les articles et les commentaires concernant le dernier film estampillé Star Trek. J'ai grandi avec cet univers et ces personnages ; ils ont bercés mon enfance et continuent encore aujourd'hui de faire partie de ma vie. Cela me fera certainement passer pour un geek, et c'est vrai que je me considère à la fois comme un trekker et un trekkie, mais en conséquence, bien que je crois qu'il n'est pas nécessaire d'en être un pour apprécier ce dernier opus, ça l'est assurément pour balayer et montrer le non sens de certaines critiques.
I. "Longue vie et Prospérité"
Je ne vais pas refaire ici un exposé sur la genèse et l'historique de la série, car il est facilement accessible sur n'importe quel site spécialisé dans l'univers StarTrek. Il convient juste de rappeler brièvement que tout a démarré par la série dite "Classique", avec Kirk, Spock et McCoy en 1966, puis se sont enchainé The next Génération, avec Jean-Luc Picard, N°1 et Data, Deep Space NIne, avec le capitaine Benjamin Sisko, Voyager avec Kathryn Janeway, interprétée par Kate Mulgrew et Enterprise avec Jonathan Archer, alias Scot Bakula. En 2017, on assistera même au lancement d'une sixième série, intitulée Discovery. En parallèle, la série a été développée en dessin animée, mais s'est surtout étendue sur grand écran depuis 1981 avec StarTrek le film, réalisé par le grand Robert Wise, prélude à une très longue série de films.
Argument erroné n°1 : Dire ou écrire à propos de "StarTrek :Sans Limites" qu'il est "StarTrek 3" relève d'une confusion. StarTrek 3 est en réalité "A la recherche de Spock", réalisé par Léonard Nimoy en 1984. StarTrek Sans limite est chronologiquement le 13ème épisode de la série. Pour bien comprendre cette chronologie, il suffit de savoir que le reboot qu'a opéré J.J.Abrams lorsqu'il reprend la franchise en 2009 se distingue dans le sens qu'il ne fait pas abstraction de tous les films qui ont précédé. Au contraire, le geek qu'il est reprends à son compte l'ensemble de cet historique, qui constitue l'univers StarTrek. Selon ses propres dires, il s'était imposé une gageure pour ce film : "proposer une histoire qui contente les fans de la première heure tout en séduisant des nouveaux venus qui ne connaissent pas la série". Son film n'est donc pas un Reboot, mais bel et bien une suite. Personnellement, je n'ai pu que m'émerveiller devant le principe scénaristique qu'il a trouvé et sur la manière dont il a su l'exploiter. Son scénario suit donc les aventure du Mr Spock original, revenu une nouvelle fois dans le passé au moyen d'une brèche temporelle. Pour ce faire, Abrams réussit l'exploit de faire sortir de sa retraite Léonard Nimoy en personne, qui reprend le rôle de sa vie à plus de 80 ans. L'entente entre les deux hommes est telle que Léonard Nimoy interprétera le rôle du charismatique William Bell dans la deuxième saison de Fringe, une des grandes série de J.J Abrams. La continuité avec l'univers original est ainsi assuré par Léonard Nimoy, de façon semblable aux apparitions de Kirk dans StarTrek 7: Générations, mais également à celles de Mc Coy ou de Scotty dans plusieurs épisodes de The next Génération.
Le principe de l'effet miroir : Jouant sur le paradoxe temporel classique, qui consiste à modifier le passé pour empêcher les évènements de survenir, Abrams nous a permis d'assister à la naissance de l'équipage et même, privilège absolu, à la construction de l'USS Enterprise dans l'épisode de 2009. Il y a un effet miroir avec la séquence où l'amiral Kirk assiste à la reconstruction de l'Enterprise 30 ans auparavant dans le premier film de 1979. Poursuivant dans la même logique, le second volet toujours réalisé par Abrams, Into Darkness, fait miroir avec le second volet de la série, La Colère de Khan, dans lequel Bénédict Kumberbach reprend le rôle originellement tenu par Ricardo Montalban. Le scénario revendique une fois de plus cette filiation, puisque c'est d'ailleurs le Spock original, Léonard Nimoy qui, en évoquant cette aventure, donnera les clés de la victoire au nouvel équipage. Dans Sans Limite, nous assistons à la destruction de l'Enterprise, comme dans l'épisode 3 A la recherche de Spock. L'effet miroir est donc continuellement présent : l'épisode 11 avec le 1, le 12 avec le 2 et enfin le 13 avec le 3. Cependant, le décès de Léonard Nimoy vient interrompre les apparitions du personnage auprès de ce nouvel équipage. L'intégration de ce triste fait réel est intégré dans le scénario de manière intelligente et sensible. C'est un véritable hommage qui est rendu envers Léonard Nimoy, qui m'a personnellement touché, et je pense qu'il faut apprécier cette séquence à sa juste mesure : un hommage vibrant d'Abrams à l'acteur qui a fini par devenir emblématique de toute la saga. Loin d'être anecdotique, la disparition de l'ambassadeur Spock est un véritable ressort dramatique destiné à mettre en relief les émotions des personnages, et en particulier celles du Mr Spock jeune. Pour en être définitivement convaincu, il suffit de se référer à l'émouvante scène où Zachary Quinto, alias Mr Spock jeune, trouve dans les affaires de l'ambassadeur Spock une photographie de l'ancien équipage. Issue d'un des précédent film : tous les personnages sont bien là, posant pour la postérité, chacun incarnés par les acteurs originaux. Le film est d'ailleurs tout entier dédié à Léonard Nimoy, ainsi qu'à Anton Yelchin, nouvel interprète de Mr Chekov, décédé lui aussi peu avant la sortie du film.
II. Téléportation Mr Scott
Argument erroné N°2 : Certains s'interrogent sur ce titre de "Sans limites", dont on a quelques difficultés à ramener au titre original "beyond", qui peut être littéralement traduit par "Au delà". Cet "Au delà" aurait d'ailleurs pu se révéler plus approprié, puisqu'il renvoie clairement au célèbre couplet prononcé par le capitaine Kirk dans la série originale, et repris dans les films :
"Espace, frontière de l'infini, vers laquelle voyage notre vaisseau spatial. Sa mission de cinq ans : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations, et au mépris du danger avancer vers l'inconnu..."
On voit bien que cet '"au delà" renvoie à cette mission emblématique, puisqu'elle est au cœur des réflexions des personnages dès le début du film : Kirk, usé par la longueur de la mission, se remet en cause, notamment au niveau de son engagement dans StarFleet conditionné par celui de son père, tandis que Spock met la nature de sa mission en rapport avec son histoire avec Uhura. J'ai aussi entendu ça et là le regret suscité par le manque d'évolution des personnages principaux, la standardisation des péripéties qui voient l'Enterprise endommagée par exemple. Ces critiques ignorent évidement le principe de fonctionnement de la série, qui justement sais tirer profit et exploiter une situation et un état des lieux immuables. "Sans limites", s'il faut raccrocher et trouver une justification plaquée à ce titre français, pourrait à mon sens renvoyer au passage de relais entre Abrams et Lin. Ce dernier a su, à mon avis, suffisamment s'impliquer pour trouver de nouvelles manières de filmer l'Enterprise. Les mouvements de caméra de Justin lin sont en effet éblouissants de virtuosité. J'ai personnellement apprécié ces plans inédits qu'il a su trouver pour filmer autrement ces aventures spatiales, et deux plans marquent pour moi cette marque de fabrique : celui où une caméra embarqué nous permet d'assister au décollage de l'Enterprise vu depuis le dessus de son réacteur et un plan depuis la capsule de sauvetage du capitaine, où la caméra est immobile, placée vers le hublot, ce qui permet à la fois d'assister à côté de Kirk au vaisseau qui s'écrase et dans le même temps d'apercevoir la réaction de Kirk dans le reflet du hublot. Justin Lin exploite également de façon très habile la caméra virtuelle, qui nous permet de voler tout autour de décors numériques grandioses. Ces envolées visuelles m'ont presque donné le vertige. Le tout forme un ensemble qui fait que cet épisode constitue un grand spectacle visuel.
Argument erroné N°3 : Disons le tout haut : rien ne m'a exaspéré autant que de lire ou d'entendre que c'est J.J. Abrams qui a crée l'univers de Star Trek. On l'a vu, il a en réalité hérité d'une lourde histoire, tout en y apportant des évolutions actuelles inévitables et nécessaire. Au fil des années, les différentes générations d'acteurs ont fini par constituer de véritables familles, dans lesquelles certains membres s'impliquaient sur le devenir de la franchise. Léonard Nimoy réalisera les plus beaux films de la saga, avec "A la recherche de Spock" et surtout "Retour sur Terre", le plus gros succès de la franchise à ce jour. Plus tard, William Shatner apportera sa propre contribution à l'univers de la série, même s'il fut, à mon avis, injustement décrié, avec "L'ultime frontière". La nouvelle génération verra Jonathan Frakes prendre littéralement en main les dimensions visuelles de la série avec "Premier Contact" et "Insurrection". Enfin, cette dernière génération permet à Simon Pegg, génial nouvel interprète de Mr Scott, de prendre part à la destinée des personnages. Dès sa deuxième participation, celui qui a su avec beaucoup de talent narrer les aventures d'une bande de copains dans un univers SF dans "Le dernier pub avant la fin du monde", réussit à mettre à profit son expérience dans l'écriture par le biais d'un scénario très inventif, tout en restant très fidèle à l'univers StarTrek.
III En route vers l'infini et au delà
Argument erroné N°4 : L'affiche. Les spécialistes en communication cinématographique se sont offusqués de la débauche de couleurs structurant l'affiche du film. Comme je l'ai appris moi-même à l'Esav, les affiches de film respectent des codes implicites qui communiquent sur son genre. Par exemple, les conventions veulent que le jaune soit une couleur dominante pour les films indépendants ou bien encore que les films sentimentaux se caractérisent par des couleurs pastels et des images de personnages aux regards lointains. Or, pour Sans limites, aucune de ces règles ne semble respectés, et on a rapidement fait de crier au scandale prétextant un bousculement de ces règles et un grand n'importe quoi visuel. Et pourtant, si l'on considère cette filiation dont on parle depuis le début de cet article et à laquelle je suis attaché, on peut y voir une nouvelle utilisation de cet effet miroir dont je parle plus haut. Tout deviens alors clair, Sans Limites rend clairement un hommage au premier film de la saga par l'entremise de cette affiche multicolore. Le titre de "Sans limites" invite également de façon explicite à un bousculement des règles établies.
Argument erroné n°5 : Les décors et le casting. Il est certain que les décors sont limités en nombres, mais n'est ce pas justement le constituant d'un épisode de s'en tenir à une aire délimitée ? L’installation des péripéties sur un champ géographique délimité est une nécessité, à moins que l'on ne veuille un éclatement et une dispersion qui ne pouraient que nuire à l'établissement d'un scénario cohérent. Cette relative pauvreté des décors sur la surface de la planète est à mon avis largement compensée par la débauche visuelle de la base spatiale. Concernant le casting, difficile d'en parler puisque Justin Lin hérite de celui choisit par Abrams en 2009. Je ne répeterai pas tout le bien que je pense de ses choix, et en particulier de son coup de génie d'avoir choisi Zachary Quinto pour succéder à Léonard Nimoy. On trouve ici une convaincante prestation de Sofia Boutella dans le rôle de l'extraterrestre Jaylah mais il faut surtout souligner l'impeccable prestation d'Idriss Elba, véritablement excellent dans le rôle d'un méchant ambigu mais non moins terrifiant : Balthasar Edison.
Argument erroné n°6 : Les apports de la modernité. La notion d'amitié sans faille entre Kirk et Spock est passé, tout du moins dans cet épisode, au second plan au profit du développement des relations entre des personnages souvent antagonistes, comme Spock et Mc Coy. Cet approfondissement des caractérisations se trouve aussi dans les relations entre Kirk et Uhura. Il s'agit d'un principe classique de scénario mettant en scène des personnages de façon récurrente, que de les confronter à de nouvelles configurations pour mieux montrer leurs personnalités. Autre signe de la modernité, une très courte séquence révèle un Mr Sulu au sein d'un couple gay. Cette séquence, quoique furtive, a pourtant fait l'objet de beaucoup de commentaires. Star Trek n'a cessé de démontrer qu'il avait une longueur d'avance sur notre société d'un point de vue technologique, il est donc assez normal qu'il prouve de façon détaché et furtive qu'il n'est pas en reste avec les évolutions sociétales. Enfin, toujours si l'on considère une approche sociologique de l'univers Star Trek, on remarqueras sans peine qu'il y a dans ce dernier film un véritable partage entre l'importance donné aux extra-terrestres et celle accordé aux humains.
Conclusion
Personnellement, la difficile succession de J.J.ABrams, trop occupé sur Star Wars, aux manettes de ce "StarTrek 13 Sans Limites" me faisait redouter un peu cet épisode. De plus, je n'ai jamais été un grand fan dans l'absolu de la saga "Fast and Furious" dont est issu le réalisateur taïwanais Justin Lin. Devant le résultat, force est de constater que le passage de flambeaux est des plus réussis. Ce nouveau chapitre constitue véritablement pour moi le film de science-fiction de cet été 2016, loin devant Indépendance Day Résurgence", dont j'ai déjà parlé ici (https://yannicklemagicien.com/independance-day-resurgence/). Si l'effet miroir perdure, on est légitiment en droit d’espérer un flamboyant retour sur Terre pour le prochain opus.
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