Noël est un moment très particulier et très privilégié pour moi, et voilà que je réalise soudain que je n'ai pas encore parlé ni de Jeux, ni de Magie sur ce site, deux thématiques qui s'inscrivent pourtant pleinement dans cette période, deux domaines qui sont partie intégrante de la vie de ce site. Avec le choc que représente la découverte de Trickerion cette année, voilà pour moi l'occasion de faire d'une pierre deux coups. Rarement en effet je n'aurais été autant fasciné par un jeu qui réussit aussi brillamment à conjuguer ces deux thèmes, et autant admiratif de la richesse des mécanismes qui sont proposés. D'ordinaire, je n'adhère pas aux critiques "écrite" concernant les jeux de société, je vais pourtant modestement tenter de vous exposer les quelques raisons qui, à mes yeux, font que Trickerion constitue un évènement immanquable en cette fin d'année.
I. Mon jeu de l'année 2016
2016 a été une année particulièrement fertile en ce qui concerne les sorties. Pour le seul Festival d'Essen, ce sont plus de 1300 nouveautés qui ont été annoncés. Ce chiffre incroyable démontre à quel point l'activité ludique s'impose et se démocratise partout dans le monde. Pourtant, Trickerion fut présenté à Essen dès 2015, puis semble être tombé bizarrement sous silence, du moins en France. Le rythme élevé et le nombre conséquent des parutions, ajouté au fait que le marché français promeut en priorité des titres francisés, expliquent peut-être qu'il soit passé autant inaperçu de par chez nous pendant un an. Mais ses qualités sont trop importantes pour qu'au final, les véritables passionnés qui n'avaient pas manqué de le repérer, ne fassent à un moment ou à un autre entendre leurs voix. Pour ma part, bien conscient que certains jeux ne voient jamais le jour dans notre belle langue, j'ai toujours trouvé extrêmement profitable d'aller fréquemment me tenir informé de l'actualité ludique à l'étranger. Jamais je n'aurais connu certains titres phares de ma collection autrement; et parmi ces jeux excellents qui n'ont jamais étés traduits, je pense en vrac à "Axes & Allies", "Fortune and Glory" ou encore "Conquest of the Empire" pour ne citer que ceux là. Il est donc assez fréquent de trouver de véritables pépites, voire de véritables "bombes ludiques". Certaines connaitront la chance d'être remarqués par des éditeurs français, qui "localiseront" le jeu en le proposant en version française dans les réseaux de distributions connus. Suivre cette actualité implique donc de se renseigner sur les différentes conditions de ces traductions : l'affaire de la francisation du dernier Uwe Rosenberg "A la Gloire d'Odin" cette année est un exemple criant des questions qui se posent lors de ces passages en français. Je n'y reviens pas ici, et j'aurais peut-être ailleurs l'occasion d'exposer mon avis sur cette question qui a enflammé la communauté ludique francophone cette année. La première chose consiste donc à s'informer de l'existence ou non d'un accord entre éditeurs. Trickerion ne sera, à priori, jamais traduit; ce qui peut poser quelques soucis en regard du texte sur certains paquets de cartes. Fort heureusement, certaines traductions ont déjà cours sur le net, mis en page par une communauté de fans du jeu qui les mettent à disposition de façon désintéressée. Je me permets ici de les remercier. La meilleure opportunité de se procurer ce genre de titre réside donc bien dans les ressources offertes par Internet : l'achat sur des sites étrangers, suivies de la recherche de traductions éventuelles, sinon il faudra se débrouiller avec la langue de Shakespeare principalement, quand ce n'est pas du polonais, pour citer des cas extrêmes.
Pour en revenir à Trickerion, il n'y a donc que très peu de temps que j'ai appris son existence; fait étrange si l'on considère qu'il représente tout de même la particularité de réunir deux de mes grandes passions : le métier de magicien, assez habilement restitué d'une part et ma passion pour les jeux de société, avec des mécanismes ludiques particulièrement réussis d'autre part. Car si le thème me séduit forcément, je n'aime pas qu'il soit plaqué, comme c'est quelquefois le cas dans nombre de jeux de gestion assez lourds. Dans Trickerion au contraire, le thème est omniprésent, parfaitement impliqué dans une mécanique sans faille. Le jeu vient nous raconter une histoire : un célèbre magicien, Dahlgaard a jadis popularisé la ville de Magoria comme référence dans la magie. De retour, il cherche un successeur et établit une compétition de 5 semaines qui devra désigner le meilleur magicien digne de lui succéder. Chaque joueur incarne donc un de ces magicien prétendant au titre, et dispose de son atelier personnel. Ce faisant, il va devoir étudier, apprendre des tours, puis aller en ville acheter tout le matériel nécessaire afin de les préparer, puis les amener au théâtre pour les réaliser dans le cadre de spectacles. La réussite de ces spectacles rapportera des points de prestige qui feront gagner la partie. Entre temps, il pourra recruter des apprentis, qui viendront lui prêter main forte, puis même agrandir son atelier en rajoutant des spécialistes, comme un ou une assistante, un manager et même un ingénieur. Chaque joueur dispose donc d'un plateau personnel, son atelier, puis devra ensuite faire une course de placements avec ses adversaires sur le plateau central de la ville de Magoria, où il pourra visiter différents lieux : le centre-ville, avec la demeure du magicien légendaire Dahlgaard où il pourra étudier de nouveaux tours, le marché, pour trouver et acheter tous les matériaux dont il a besoin et une banque, qui pourra octroyer quelques finances, des allées sombres et mystérieuses, où il pourra augmenter ses capacités, puis, bien sur, le grand théâtre de Magie, qui occupe à lui seul le quart du plateau, qui servira pour les représentations, avec son espace scénique, ses coulisses, et les rangées de public. Tout est parfaitement optimisé et nous immerge complétement dans l'univers des magiciens. Le matériel est riche, somptueux même puisque finement illustré. La boite est d'ailleurs assez lourde tellement elle est remplie de cartons, de bois, de plastique avec les cristaux de Trickerion, ainsi que de multiples paquets de cartes.
II. Le Prestige
En tant que Magicien et Cinéphile, j'apprécie tout particulièrement ces trois films, qui résument assez bien l'aura qui entoure les magiciens du XIX ème siècle : "Le Prestige" de Christopher Nolan,"L'illusionniste" de Neil Burger et , du même nom, l'extraordinaire "L'Illusionniste" de Sylvain Chomet. Je complète cette liste par le très grand biopic sur "Houdini, l'illusionniste", avec un extraordinaire Adrien Brody. Sans m'étendre ici, bien que j'en ai envie, sur ces différentes productions, force est pour moi de constater qu'au delà de l'ambiance Steam Punk, teinté d'uchronie que l'on veut donner au jeu ici ou là, c'est bien l'ambiance de ces films que je m’efforce de retrouver et de faire partager dans ce jeu. L'Histoire de la Magie réserve une place de choix à la période du XIXème siècle, c'est l'époque des grands maître de la magie moderne, et elle est remplie de noms légendaire qui ont bercé mon enfance jusqu'à aujourd'hui : Buatier de Kolta, Erdnase, Houdini, Dai Vernon, Slydini, et en particulier le grand Robert Houdin. J'ai aussi une pensée particulière pour George Meliès, dont on finit par oublier qu'il fut aussi et d'abord lui aussi un très grand magicien. Son œuvre est d'ailleurs à repenser comme une contribution à ce domaine si l'on veut bien la comprendre. C'est ainsi que l'ambiance graphique du jeu rappelle d'ailleurs de façon ostensible quelques figures illustres : le personnage du "Master of Chains" évoque immanquablement Houdini, et si "The Gentleman" observe le look classique commun à la plupart des magiciens de cette époque, et popularisé par Robert Houdin lui-même, on sera surpris par "The Grand Optico" qui fait une référence à Chris Angel ou à David blaine. Ces images sont utilisés avec profit dans les affiches, que les joueurs devront utiliser pour, détail amusant, faire un peu de publicité, ce qui rapporte 2 points de prestige. Les films que j'ai cité plus haut ne peuvent s’empêcher de proposer une dimension fantastique, un peu comme s'il existait une sorte de convention pour ce genre. Trickerion reprends même cet aspect à travers la pierre de Trickerion, ce cristal magique qui confère à son propriétaire une vivacité d'esprit, une dextérité et une perception surnaturelles, qui constituent les qualités du parfait illusionniste. La boite regorge d'ailleurs de ces éclats de Trickerion, qu'il faudra récupérer pour activer certains pouvoirs de magicien, dans la seconde extension inclus dans la boite, qui permet de personnaliser ses personnages.
Le jeu dure 5 semaines, dans sa version simple, et sept dans sa version complexe. Car "l'allée sombre", cet endroit mystérieux de la ville où les magiciens peuvent se rendre pour disposer d'actions supplémentaires, est une extension qui enrichit et vient complexifier à souhait le jeu. Les auteurs l'ont directement intégré dans la boite, en nous offrant même le luxe d'un plateau double face selon que l'on veuille jouer avec ou pas. Et l'on aurait vraiment tort de s'en priver, au regard de ce qu'elle apporte : un nouveau niveau de tours de magie à apprendre, plus puissants, une diseuse de bonne aventure, qui viendra ponctuellement changer les règles du jeu ainsi que des capacités spéciales à utiliser dans les différents lieux. Une deuxième extension est incluse "Pouvoirs de magicien", composé de cartes à activer aux moyens des cristaux de Trickerion qui permettront de personnaliser les magiciens, qui commenceront d'ailleurs avec un pouvoir bien à eux en début de partie. Signalons enfin que le jeu a une extension officielle, "Dahlgaard'gift", qui vient enrichir de façon jouissive presque tous les paquets de cartes, y compris ceux des extensions, et nous offre surtout l'indispensable véritable gros cristal de Trickerion, et surtout de véritable et adorables Meeples Magiciens.
III. Mon avis
Au delà de l'énorme coup de cœur, bien compréhensible et qu'il faut bien me pardonner, pour des thématiques qui me sont chère, Trickerion est un gros jeu de gestion, qui a pour effet de beaucoup faire travailler les neurones. Tout est bien là : combos possibles entre actions et cartes, optimisation des actions et anticipation. Tous les choix sont possible, y compris celui de choisir un assistant masculin à la place de la ravissante assistante blonde. Moi, c'est pourtant celle que je préfère. Les différentes cartes promettent un riche renouvellement toujours dans la thématique. Il est ainsi possible de jouer un spectacle de rue ou bien encore de payer le public. Mais je ne veux surtout pas déflorer le plaisir des péripéties accordées par les cartes ici. La personnalisation de son magicien m'a également interpellé. Tout d'abord, il choisit sa spécialité entre quatre véritables domaines : Mentalisme, Escapologie, Mécanique ou bien encore Illusion d'Optique. Ensuite, comme je l'ai dit plus haut, il peut agrandir son atelier en engageant des spécialistes : un assistant, un ingénieur ou encore un manager, dont il choisit le sexe et l'apparence, et qui lui apporteront chacun une compétence particulière. Lors de ses représentations au théâtre, des assistants le seconderont et s'activeront en coulisse pendant qu'il sera sur scène.
Trickerion reprends quelques standards du genre "jeu de gestion" en proposant une mécanique de type pose d'ouvriers, avec de vastes choix de combinaisons et de placement. Ces multiples zones de placement sont assez faciles à comprendre, grâce à un système d’icônes facile à apprivoiser. J'insiste ici une nouvelle fois sur la beauté du grand théâtre de Magie, magnifique illustration composée d’une scène, de l’arrière scène et des sièges destinées aux spectateurs transformés en piste de score. Une petite réserve concerne toutefois les cartes, puisque celles comportant du texte restent assez finement écrites. Les joueurs qui seront à l'autre extrémité du plateau auront certainement intérêt à rester vigilant et à les consulter régulièrement pour ne pas les oublier. Ce défaut est rattrapé par la qualité de l'ensemble des cartes, avec une mention spéciale pour les grandes cartes au format tarot destinés à la programmation des spectacles. Autre défaut, qui s'explique par son succès : il devient extrêmement difficile de se le procurer et le jeu commence à faire l'objet de marchandisation à outrance sur certains sites. Enfin, Trickerion se distingue en apportant des petites subtilités assez ingénieuses : une phase de programmation des actions en secret, un mécanisme d'enchainement des tours qui tient du mini-puzzle et une mécanique de gestion d'énergie assez calculatoire.
Certains points de détails du jeu sont remarquables, tant ils se raccrochent à la réalité. Ainsi, contrairement à un jeu de gestion classique, les ressources que l'on acquiert ne disparaissent pas à la première utilisation. Pour donner un exemple : le magicien ne casse pas le miroir qu'il a utilisé pour la conception d'un tour lors de sa représentation. De fait, il peut donc le réutiliser pour représenter une nouvelle fois ce tour où bien l'utiliser pour concevoir un nouveau numéro. Il y a un autre exemple qui m'a particulièrement frappé : comme dans la réalité, le magicien ne doit pas se contenter de présenter son numéro sur scène, mais doit également penser à son enchainement. Quelquefois, il lui sera possible, et aussi profitable disons le, de concevoir son numéro comme une partie du spectacle, enchainé de façon harmonieuse au précédent. De même, comme dans la réalité, il devra partager parfois la scène, et les bénéfices du spectacle, avec des confrères.
Conclusion
Avec toutes ces qualités, et un thème rappelons le, qui se marie au plus près avec des mécanismes très bien exploités, il est impossible pour moi de vous proposer, vous l'avez compris, un avis objectif. La boite elle-même est atypique, et ressemble un peu à un coffre de magie mystérieux que l'on a envie d'ouvrir. Je n'ai pas voulu faire ici une explication fastidieuse des règles, qui auraient été forcément résumées; la lecture de règles de jeu étant un exercice en soi qui rebute nombres de lecteurs, et, de façon presque paradoxale, bien plus de joueurs qu'il n'y parait, et m'adressant ici au plus grand nombre, je ne vois pas l’intérêt de reformuler ici les règles de Trickerion pour satisfaire seulement quelques uns. J'ai juste voulu donner mon avis, et attirer modestement l'attention sur ce jeu fabuleux, avec toute la fougue que m'a procuré sa découverte. Je vous laisse imaginer ma réaction lorsque je l'ai reçu avec son extension pour Noël. Cependant, si à l'avenir, vous pensez que je doive davantage rentrer dans les détails, faites m'en part et j'évoluerai dans ce sens. Pour l'heure, je dois bien l'avouer, rarement un jeu ne m'aura autant donné envie de l'essayer. Cet article est en fait une façon d'expurger cette envie, et de vous la faire partager, afin de pourquoi pas, trouver de nouveaux partenaires de jeu. En 2015 est sorti "Shakespeare", un jeu de gestion sur le monde du théâtre. J'en parlerai peut-être ici, mais à cette époque je me suis exclamé "un jeu fait pour moi". En 2016, je découvre un autre jeu fait pour moi sur le monde de la Magie avec "Trickerion". Selon toute logique, en 2017, on verra apparaître un jeu de gestion sur le monde du Cinéma. Donnons nous donc rendez-vous dès à présent au mois de Décembre 2017 pour en reparler. D'ici là, bonne partie, et surtout, amusez vous bien car....'"La Vie est un Jeu".
Mon déballage comparatif VF/VO de Trickerion et de toutes ses extensions
Ma grosse vidéo d'explication
Anonyme
Bonne critique et belle prose.
Sitthya
…et j’ajouterai que c’est une bonne formule que de ne pas rentrer dans le détails des règles. Beaucoup de critiques font ça, alors que c’est inutile et la plupart du temps, incompréhensible. C’est bien d’être resté focalisé sur le ressenti et les émotions.
Yannick
Merci pour ce commentaire…c’est un véritable encouragement pour moi ..