Une série dont le sujet se rapporte à la Religion et qui, de surcroit, promet un ton irrévérencieux pour traiter des arcanes du Vatican ne pouvait manquer de m’intriguer au plus haut point. Inévitablement. Parce que, depuis toujours, je suis fasciné par la manière dont le cinéma, et plus largement le medium audiovisuel, traite et exploite les grandes thématiques se rapportant à ma religion. Les précédents articles sur "La Résurrection du Christ" et sur "Tu ne tueras point" témoignent de cet intérêt. Une importante promotion qui laissait supposer un ton moderne et iconoclaste, la réputation de Paolo Sorrentino, déjà réalisateur de "Youst" et la participation de Jude Law dans le rôle titre de la série et de Diane Keaton, forment une combinaison d'éléments qui me laissent penser que les audiences de la série ont davantage du refléter une part importante de curiosité, au delà même de l'attente en termes artistiques que cette production a du susciter. Alors, au final, puisqu'elle vient de se terminer sur Canal au moment où j'écris, il faut se demander si elle a bien tenue toutes les promesses aguichantes qu'elle portait en elle ? L' état personnel dans lequel je me trouve m'incite à écrire ces premières impressions diffuses.
I. Pie XIII
Le pitch de la série est d'emblée aussi intrigant que séduisant : Lenny Belardo, jeune cardinal de 47 ans, est élu pape à la surprise générale. On apprends très rapidement que les manigances et les rivalités du Conclave ont conduit le cardinal Voiello a intriguer afin de provoquer l'élection de ce jeune cardinal, que l'on pense manipulable à souhait. On découvre rapidement qu'il n'en est rien, bien au contraire. Se choisissant comme nom PieXIII, le jeune pape révèle un caractère incontrôlable. Ambitieux, colérique, iconoclaste parfois, toujours déterminé, la série repose sur cette étude de caractère, formidablement porté par Jude Law, qui trouve ici assurément un des rôles les plus forts de sa carrière. Bien que la fascination pour les habits papal y soient pour beaucoup, rarement il faut le reconnaître, il n'aura paru autant rayonnant de beauté. Jude Law se glisse avec un naturel confondant dans ce costume et dégage une aura indéniable qui rend le personnage fascinant. Chacune de ses apparitions à l'écran captive l’œil presque de façon hypnotique. A l'image de cette séquence où une jeune journaliste demeure muette et captivé par le personnage, et à laquelle il réplique : "Oui, je sais, je suis d'une beauté éclatante". Seule la sœur Mary semble au départ percevoir également la beauté intérieure de Pie XIII. Diane Keaton, Ludivine Sagnier et Cécile de France sont également parfaites; et Silvio Orlando dans le rôle du cardinal Voiello est pour moi une découverte épatante.
Les premiers mois de pontificat couverts par la série sont propice à explorer, à travers ce personnage central, les caractères de ces hommes d’église, ainsi que les problématiques sociétales auxquelles ils sont confrontés.
Dès le premier épisode, Pie XIII affirme : "Je suis une contradiction". Force est de constater que cette affirmation expose d'emblée une comparaison avec le pape François. Le premier se présente en effet comme un anti-portrait du pape actuel :
- Pie XIII est jeune, il fume et boit du coca cherry. Si ces images choquent au début et contribuent d'entrée au ton iconoclaste, nous verrons plus loin qu'il ne s'agit que de traits superficiel. Les vrais bouleversements sont d'ordre idéologique.
- Pie XIII prône une église rigide et traditionaliste, pratiquement fermée au monde. Le temps est à la prière intérieure, et à la repentance.
- Pie XIII est hostile aux médias. Même si le temps de la série est indéterminée, on sait qu'il s'agit d'un futur proche. Pourtant, le jeune pape refuse toute stratégie de communication par l'image. En cela, il se rapproche du mouvement iconoclaste, puisqu'il décide de cacher sa propre image au monde.
- Pie XIII veut "révolutionner" l'église, et n'a pas peur de se faire haïr de ses fidèles ni de ses pairs au sein du Vatican.
Le générique reflète ce renversement des valeurs : Pie XIII déambule dans un couloir devant des tableaux que l'on voit successivement chamboulés par le passage d'une sorte de comète, sur une musique moderne où les guitares électriques prédominent. Après un clin d’œil complice en direction du spectateur, le générique s'achève sur la chute de la statue d'un pape, où il semble facile de reconnaître Jean-Paul II.
II. Le Sexe et la Violence
La scène d'ouverture est d'emblée très impressionnante : Pie XIII émerge d'une pyramide d'enfants morts nés. Il s'agit du premier cauchemar du jeune souverain pontife, qui se réveille au lendemain de son élection. On comprend d'emblée qu'il s'agit de prendre à parti le spectateur pour l'obliger à réfléchir, et la symbolique sera énormément présente à tous les niveaux : visuels et narratifs. Jude Law sort de son lit et se contemple dans le miroir, totalement nu. On se rappelle alors que la série est coproduite par HBO, dont les marques de fabriques sont le sexe et la violence exacerbés à l'écran. A l'issue, la série se distingue, à mon avis, par une exploitation subtile de ces deux notions. La question du sexe sera abordée à travers les multiples problématiques auxquelles les hommes d'églises sont confrontés.
- Il y a d'abord la solitude sexuelle des hommes et des femmes qui ont consacrées leur vies à Dieu. Le cardinal Voiello semble fasciné par cette déesse préhistorique qui trône dans le bureau papal au point de fantasmer sur elle. Plus tard, il rencontrera la sœur Mary. Ces deux personnages sont totalement opposés, dans leurs trajectoires, leurs rapports avec Pie XIII ou bien dans leur ambitions politiques. Pourtant, ils finiront par se rapprocher doucement, et on ne peut que souligner l’extrême subtilité dont le réalisateur nous donne a voir ce rapprochement. Tout est montré avec beaucoup de pudeur.
- Pie XIII appréciera la compagnie d'Esther, épouse infertile d'un de ses gardes suisses. La droiture d’âme dont il fera preuve contraindra ses adversaires à renoncer aux perspectives de complots visant à le faire chuter au moyen d'un scandale. Plus tard, il expérimentera de manière assez gauche les aléas de la vie de père, en se substituant presque au véritable époux d'Esther.
- Le cardinal Dussolier, ami d'enfance du jeune Lenny Belardo, connaitra une destinée radicalement différente de son ami. Il succombera de façon extrême aux affres de la chair, avant de connaître une issue aussi misérable que son ami connaît une destinée prestigieuse et glorieuse.
- La série aborde également la délicate question de l'homosexualité. Elle le fait à travers plusieurs angles : celui d'Angelo, jeune homme qui se voit refuser une carrière dans la Curie à cause de ses préférences religieuses, et qui finira par se donner la mort. Celui ensuite du Cardinal Gutierrez, conseiller fidèle qui cache une addiction à l'alcool et une homosexualité dissimulée. Enfin, on ne peut que remarquer la rigueur de Pie XIII, qui n'est finalement pas si éloignée que cela de la position actuelle de l'église sur ce sujet.
- Enfin, la série aborde la question sensible de la pédophilie. D'abord à travers la façon dont l’Église résout ce type de problème en interne et ensuite, la façon dont elle s'occupe de l'angle médiatique de ces affaires. L'affaire médiatisée du cardinal américain qui refuse d'être extradé est en ce sens un modèle référentiel très rapidement identifiable.
Mais la série prétend aller plus loin en faisant des propositions pour le moins audacieuses. J'en veux pour preuve l'idée de Pie XIII de soumettre les jeunes prêtres à la tentation charnelle afin de tester la véracité de leur vocation et savoir s'ils respecteront leurs vœux de chasteté, voeux qu'ils ne respectent presque jamais selon lui.
La façon dont la série s'acquitte de la question de la violence est extrêmement intéressante. Si l'itinéraire du Cardinal Dussolier permet de l'exposer explicitement au même titre que la dimension sexuelle, elle est le plus souvent implicite. La séquence de l'entrevue entre Pie XIII et le Premier ministre italien est en ce sens exemplaire, et reste ma séquence préférée. Elle suffit presque à elle seule à expliquer la stratégie du jeune pontife et sa volonté d'imprimer son empreinte. La façon dont le jeune pontife fait pression sur le chef du gouvernement peut se résumer, à la fin, par ces mots : "Non Expedit". Utilisé par Pie IX en 1868, cela interdit aux catholiques italiens de voter aux élections, ce qui menace l'équilibre politique. La séquence, savoureuse, rappelle les plus belles heures du "Prisonnier" dont Alain Carazzé disait en sont temps qu'il s'agissait de " la série la plus violente de tous les temps". Le modèle d'exposition est très original, puisqu'il consiste à s'échanger des propos très durs, sur un ton agréable dans un environnement calme et ensoleillé. Ici, c'est le bureau de Pie XIII qui sert le plus souvent de théâtre de ces affrontements verbaux. Effectivement, que ce soit avec les cardinaux impliqués dans des affaires, des cardinaux en train de comploter, où encore lorsque le jeune Pape explique ses stratégies de communication ou bien encore lors de ses entrevues avec le cardinal Voiello, le style d'écriture de la série trouve toute sa plénitude et toute son efficacité dans ces duels de réparties extrêmement bien écrites.
III. Les clés du Vatican
La série est loin d'être une critique de la curie romaine, mais semble au contraire porter un œil bienveillant sur une galerie de personnages qui ne sont, en définitive, que des humains. En tant que tel, ils sont également pétris de contradictions, dans les rapports qu'ils entretiennent entre eux, avec leur foi en Dieu ou encore envers leurs fidèles. Sorrentino a même déclaré sur son œuvre : "Ce n'est pas une provocation". Comme le Prisonnier, avec lequel elle partage une exploitation subtile des dialogues pour retranscrire la violence des rapports entre les protagonistes, la série se distingue dans le sens qu'elle est l’œuvre d'un seul homme : Paolo Sorrentino. Je dois avouer que je connaissais jusqu'alors très mal cet auteur. Scénariste et réalisateur, Sorrentino semble avoir bénéficié de véritables moyens cinématographiques pour raconter cette histoire hors normes. Le temps de la série, en dix épisodes, apparaît nécessaire afin d'explorer les caractères psychologiques de ses personnages, et pour couvrir l'ensemble des thématiques dont nous avons parlé plus haut. Son style est inimitable, et la forme qui alterne moments intimes, envolées lyriques et métaphores oniriques colle finalement au caractère imprévisible du héros. De la même façon dont on ne peut prévoir ses réactions, le spectateur est constamment surpris par une multitude formelle déconcertante. Le rythme est tout aussi déconcertant, s'attardant par endroit et s’accélérant à loisirs.
La dimension métaphorique est parfois tellement prégnante, qu'elle apparait sujette à toutes sortes d'extrapolations. Tel est par exemple l'imagerie de ce kangourou, reflet des cadeaux parfois très originaux et incongrus que l'on offre au souverain pontife, et que Pie XIII choisit de laisser déambuler à sa guise dans les jardins du Vatican. Il apparait finalement à l'image de ce Pape, qui aime également passer du temps à déambuler dans ces jardins, totalement dépareillé, étranger et délocalisé dans ce décor. Sa mort n'apparait-elle pas comme une préfiguration de celle du personnage ?
L'humour est aussi présent dans la série. Si on se prends à s'amuser des excès et des débordements imprévisibles de Pie XIII, certaines touches sont plus subtiles. Le cardinal Voiello nous réjouit lorsqu'il fait la promotion de ses livres quasi-autobiographiques entièrement à sa gloire, lorsqu'on le découvre fan de foot affublé de la panoplie du parfait supporter ou bien encore lors de ses contemplations de statues préhistoriques. Mais il nous émeut aussi avec les rapports qu'il entretient avec le jeune homme infirme qu'il semble aimer sincèrement et avec lequel il entretient des conversations savoureuses. Cet aspect du personnage n'arrive donc jamais à nous le rendre antipathique, même lorsqu'il prends des décisions pour faire chuter Pie XIII, actions qu'il finit toujours par regretter et auxquelles il finit par renoncer. De fait, il n'y a pas réellement de méchant dans cette histoire, mais seulement une galerie de portraits, de véritables études de caractères montrant l'extrême solitude de tous les protagonistes, ce qui contribue à nous rendre chacun d'entre eux touchant. En suscitant constamment ce sentiment de compassion, l’intérêt pour la série se maintient sur l'ensemble des 10 épisodes.
Enfin, je ne peux que m'extasier devant la beauté formelle des décors. Sorrentino n'a pas eu les occasions de tourner dans les véritables décors, et à la vue de son œuvre, cela peut se comprendre. Néanmoins, force est de constater que l'illusion est bluffante. La place Saint Pierre et ses toits, lieux privilégié des conversations entre Pie XIII et son confesseur, la chapelle Sixtine qu'il visite loin des touristes qu'il n'aime pas, car "ils ne font que passer", les jardins de Castel Gondolfo, tout y est resplendissant et bluffant d'authenticité.
Conclusion
Il m'aura fallu attendre les derniers épisodes pour comprendre enfin ce personnage insaisissable. Est-il un Saint, comme le croit et le prétend sœur Mary ? La série s'élargit en effet sur des miracles qu'aurait accompli Lenny Belardo, comme la guérison de la mère d'un ami d'enfance, et éclaire donc d'un jour nouveau la grossesse inespérée d'Esther en la teintant de divin. L'odeur de sainteté du personnage est mis en exergue autant qu'en contrepoint avec ses déclarations sur la perte de sa foi. "Je ne crois pas en Dieu" est en effet certainement la phrase la plus forte qu'il prononce, mais peut alors se percevoir comme une perte de foi en l'intervention divine plutôt qu'en Dieu lui-même. Cela peut expliquer la rigueur du retour vers la foi et la prière voulu par ce pape.
Au cardinal Voiello qui finit d'ailleurs par lui demander "Qui êtes vous?", Le jeune souverain pontife lui répondra : "Ah ça...On ne sait toujours pas!" La série se clôt sur une prédication impressionnante sur la place Saint Pierre, qui répond comme un miroir à la prédication époustouflante qui avait inauguré le 1er épisode. Au final, le spectateur ne saura peut-être pas vraiment qui est ce jeune pape, même si chacun sera en mesure de s'en faire une idée. A l'heure où les rumeurs d'une saison 2 se confirment, il faut se dire que Paolo Sorrentino n'a peut-être pas tout dit, et n'a certainement pas fini de nous surprendre avec cette série atypique.
Laisser un commentaire