John Simm est magique. Je sais que l'expression est aujourd'hui devenue tendance et galvaudée, et même, provenant de moi, elle peut facilement paraitre paradoxale ou décalée. Pourtant je la maintiens, et la raison principale est que je ressors encore une fois enthousiasmé par le jeu d'acteur de John Simm. Lors de mes études théâtrales, je me suis particulièrement penché sur un aspect en particulier : la recherche du naturel dans le jeu du comédien, notamment à travers les apports de François Joseph Talma, que j'essaye encore aujourd'hui de rendre populaire. C'est certainement la raison qui me conduit à apprécier tous ceux que je considère comme de grands acteurs à l'aulne de cet aspect de leur jeu. En tant que comédien travaillant dans un milieu sportif, il m'apparait comme une évidence d'oser une comparaison : tout comédien devraient se repasser en boucle les productions dans lesquelles se déploie l'art de John Simm, un peu à la manière de certains sportifs qui se repassent les meilleurs exploits de leurs champions, en essayant d'analyser au plus près les gestes techniques.Il est de ceux dont les qualités de jeu, les caractéristiques techniques devraient être analysé et pris assurément comme modèle. Pour ma part, je savoure tellement sa technique qu'il m'arrive même malheureusement de sortir de l'histoire, ce qui est contraire au but en soi, afin de mieux apprécier son jeu d'acteur. J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ici l'enthousiasme qu'il m'a procuré dans Prey. Suivant son exemple, Trauma est une mini-série en seulement trois parties d'une cinquantaine de minutes chacun. De prime abord, le Pitch est improbable et inconséquent : un père de famille modeste rend responsable le chirurgien qui n'a pas pu sauver la vie de son fils de 15 ans, après qu'il ai été poignardé, au lieu de s'en prendre logiquement à l'auteur du crime. Si l'histoire maintient une tension constante, c'est aussi grâce à la qualité d'écriture de Mike Bartlett, le créateur du formidable Dr Foster, dont j'ai aussi dit tout le bien que j'en pense ici. La réunion de ces deux talents ne pouvaient pas manquer d'aboutir à un résultat extraordinaire. La promesse était donc plus qu'alléchante, et le résultat tient toutes ses promesses. Je vais donc essayer de démontrer pourquoi nous sommes en présence d'une création hors normes, puisqu'il s'agit d'un exemple où la qualité du jeu d'un acteur, allié à une remarquable écriture théâtrale, sublime une histoire qui aurait pu basculer dans une affligeante banalité. Si John Simm est magique, c'est en effet parce qu'il parvient à faire de cette histoire assez improbable sur le papier un suspens doublé d'un drame humain terriblement émouvant et passionnant.
I La magie du jeu d'un acteur
Le personnage incarné par John Simm est une gageure pour un comédien. D'entrée, on ne peut qu'être pris d'empathie pour ce personnage issu d'un milieu social modeste, qui, après avoir appris la perte de son emploi, assiste le même jour à la mort injuste de son fils. Cette douleur d'abord contenue se transforme progressivement en colère obsessionnelle à l'encontre de celui qu'il juge réellement fautif : le chirurgien des urgences qui n'a pu sauver son enfant. De façon générale, en terme de jeu, il existe des séquences très difficiles pour un comédien à exprimer : parmi celle-ci, il y a la réaction qu'un acteur doit exprimer face à la perte d'un être aimé. Plus particulièrement, la réaction face à l'annonce de cette perte. On a régulièrement l'occasion d'apprécier ce type de séquence dans n'importe quelle bonne série ou film d'enquête policier. Suivant qu'il soit français ou américain, les acteurs s'en donnent souvent à coeur joie : crises de larmes, effondrement hystérique ou bien explosion colérique. Le comédien que je suis est subjugué, littéralement fasciné par l'incroyable capacité de John Simm a montrer la douleur ressentie par son personnage. J'ai déjà parlé de la séquence, dans Prey, qui m'a bouleversé, au cours de laquelle John Simm apprends la mort de sa femme et de son fils. Dans Trauma, comme une sorte de pont entre les deux séries, l'acteur nous montre une nouvelle fois comment s'y prendre lorsque son personnage apprends la mort de son fils. Sa réaction est différente, toute nuancée, très intérieure mais, une fois encore, la qualité de son jeu est juste, parfait, sincère et terriblement touchant.
C'est alors que se révèle la gageure dont j'ai parlé plus haut, le scénario tente alors de transformer doucement son personnage en une sorte de psychopathe qui n'a alors de cesse de persécuter le médecin. Ce glissement d'un statut a un autre est très difficilement réalisable si l'on veut continuer à tenir la relation d'identification et de proximité qui s'est construite entre le personnage et le spectateur. Le risque est grand de tomber dans un registre convenu ou incohérent. Mais le jeu d'acteur de Simm sublime son personnage, en lui permettant de révéler tous les enjeux d'un scénario bien plus complexe et subtil qu'il n'y parait de prime abord. En effet, sa technique lui permet de maintenir une émotion constante, palpable, extrêmement touchante qui conduit le spectateur à s'attacher à ce personnage de père aux prises avec une tourmente intérieure. Jamais le glissement convenu du personnage vers ce côté qui en ferait le méchant de l'histoire, et qui aurait pu être attendu dans n'importe quel autre production, ne se réalise. John Simm parvient à être bouleversant dans chacune de ses réactions. La puissance de son jeu est telle, que le spectateur se retrouve d'emblée perdu, incapable de prendre parti pour l'un ou pour l'autre des deux personnages qui s'affrontent. En cela, la remarquable qualité d'écriture de Mike Bartlett est soutenu par le reste du casting, et surtout par Adrian Lester, qui s'avère presque tout aussi parfait que Simm dans le rôle de ce chirurgien à la culpabilité refoulée. Il faut dire que l'acteur cultive une certaine maîtrise pour les personnages dissimulant un secret au sein d'une ambiance familiale sereine, et son rôle m'a évoqué celui qu'il tient dans Undercover, série que je recommande également, dans laquelle il campe de la même manière avec beaucoup de conviction ce type de personnage qui, sous l'image lisse d'un père de famille irréprochable, dissimule peut-être de lourds secrets. Au final, il s'opère une sorte de renversement des valeurs, où les notions de bon et de mauvais ne sont pas ce qu'elles semblaient être au départ. Il n'y a pas de personnage réellement méchant dans cette histoire, juste des personnages fissurés par un drame, banal en apparence, mais qui prends des proportions considérables par les effets dévastateurs qu'il entraine. Lorsque l'on voit cette fiction sous cet angle, l'histoire de suspens devient une véritable réflexion sur le deuil et ses conséquences. Mais, comme je vais essayer de le démontrer, Mike Bartlett a maillé avec beaucoup de réussite plusieurs autres thématiques tout aussi prenantes dans Trauma.
II. Un croisement de genres, un croisement de thématiques.
Dans une série ordinaire, l'histoire se serait concentrée sur l’enquête autour de la mort du jeune fils du héros. On aurait certainement montré l'enquête et la traque de son assassin. Ce qui rend donc Trauma hors normes, c'est que Mike Bartlett choisit ce traumatisme initial comme point de départ d'un autre drame, tout aussi important, et qui va dominer son histoire. On passe du fait divers au drame intime, d'ordinaire réservé à la sphère privé. Avec beaucoup de pudeur, il nous est donné à voir les réactions d'un homme désespéré et impuissant face à ce qui lui arrive, face au déni de culpabilité d'un autre que la condition sociale et l'expérience ont transformé en le coupant progressivement des préoccupations des "petites gens".
L'écriture de Mike Bartlett est très reconnaissable, parce qu'elle présente des similitudes avec le Dr Foster :
- Un point de départ stéréotypé, issue de la banalité du quotidien : le cheveu sur l'écharpe du Dr Foster est ici remplacé par un fait divers qui défraie régulièrement la chronique en Angleterre : un adolescent est poignardé. Ici, les circonstances sont rapidement évacuées : le mobile est futile et la conséquence est funeste. Comme chez le Dr Foster, ce sont ces ronds dans l'eau qui s'amplifient jusqu'à donner une marée incontrôlable qui sont analysés et montrés ici. C'est un crescendo qui fait porter l'interêt sur les conséquences, qui ne cessent de s'amplifier, plutôt que sur la cause.
- Une confrontation entre deux personnages d'une violence verbale peu commune : les déchirements du couple Foster trouvent ici leur équivalent civils dans l'affrontement entre le chirurgien et le père de famille. Ces scènes entre les deux protagonistes sont servies de façon admirable par des dialogues ciselés au cordeau et qui maitrisent à la perfection l'art de la montée progressive. A ce titre, il y a de très nombreuses scènes purement théâtrales, qui fournissent l'occasion pour les deux comédiens de montrer l'étendue de leurs talents respectifs.
- Une mise en scène des rouages psychologiques du personnage principal sans pareille: psychologie meurtrie, violence volontaire, désamour, culpabilité, déstabilisation. Si l'exorcisme du deuil passe d'abord par une colère extrême, l'analyse de la psychologie de ce père se fait de manière très fouillée et particulièrement aboutie, jusqu'aux recoins les plus intimes comme en témoignent les perturbations inhérentes à sa vie sexuelle. Le tout est mis en scène sans voyeurisme, de façon pudique, mais cela suffit à montrer l'évolution de la détresse du personnage dans chaque aspect de sa vie.
- L'ambiance paranoïaque : ce père éploré se lance dans une quête de vérité, mais seul contre tous, ne serait-ce pas sa douleur qui le pousse à détruire la vie de ce médecin ? Comme chez Dr Foster, c'est l'univers intérieur du personnage qui nous est donné à voir. Le personnage vient encore une fois se retrouver dans la position du "seul contre tous", s'inscrivant même contre ceux de sa famille.
- La conclusion théâtrale. Les dialogues sont justes, vifs, racés, parfois empreints d'une extrême violence, de celle qui part d'assez loin car elle est contenue au début et qui finit par exploser à la fin. La dernière partie, avec une quasi respect des trois unités théâtrales (temps, lieu et action) offre aux comédiens l'occasion d'exprimer tout le panel de leurs émotions dans un véritable feux d'artifices émotionnel.
A côté de ces marques de fabrique, les thématiques abordées sont plurielles :
- le deuil et ses conséquences sur tous les aspects, familiaux, sociaux et intimes
- la culpabilité : son déni et son refoulement ; les difficultés de son acceptation,
- la notion de faute
- le sentiment d'injustice
- les différences de perceptions entre deux classes sociales à l'opposé.
III. Le pot de terre contre le pot de fer
La thématique qui sous tend l'ensemble, et qui permet de tisser les mailles d'une dramatisation intense, est sans conteste celle qui exploite les conséquences de la différence entre classes sociales. Car, à travers l'affrontement entre les deux protagonistes, c'est une véritable lutte de classe qui se déroule sous nos yeux. Le levier principal qui sous-tend cette thématique est la considération qui est faite aux attitudes de chacun.Tout se passe comme si le chirurgien, grâce à son statut social, était de fait dans son bon droit. A l'inverse, on a vite fait de cataloguer la parole du modeste ouvrier comme l'expression d'une colère infondée provoquée par sa peine. L'aboutissement de cette réflexion nous conduit jusqu'au débat sociétal actuel de l'impunité en milieu médical. Comment dénoncer cette faute lorsqu'on est seul à y croire, si ce n'est provoquer une succession d'actions qui conduiront au sentiment de culpabilité du principal auteur des faits. C'est en tout cas l'attitude jusqu'au-boutiste du père de famille qui est proposée comme solution, même si, on le voit, une telle attitude fleurte dangereusement avec un enfoncement psychologique et social.
Sous tous ces multiples aspects, force est de constater à quel point l’intrigue est excellente. Elle arrive aussi bien à être passionnante que touchante, parvenant à trouver le ton qu’il faut, au moment où il le faut. Si je ne manque pas de louanges à l'égard de John Simm et de Mike bartlet, il faut aussi que je dise tout le bien que je pense du réalisateur, Marc Evans, sans qui le travail des deux premiers n'aurait certainement pas été mis autant en valeur. Il y a en effet de belles séquences très visuelles dans Trauma. Il faut bien sûr citer une nouvelle fois l'annonce de la mort du fils où la réaction de John Simm est filmée avec beaucoup d'efficacité. La séquence du discours du père aux obsèques est également une des grandes scènes. Enfin, le final théâtral de la troisième partie réclamait une mise en scène juste, reflétant bien la violence et la tension de l'affrontement final. Marc Evans maitrise ce sens d'une évolution formelle qui plonge ses personnages dans une sorte de solitude âpre, presque perverse et terrible, comme en témoigne les séquences relevant de l'intimité du couple de parents. Sur ce format très court de trois épisodes aux accents théâtraux, Marc Evans parvient à distiller de belles séquences visuelles. A travers des jeux de regards, des paroles non-dites, il distille des détails, suggère des indices qui pourraient impliquer le chirurgien. Parfois, le spectateur se retrouve piégé à son tour, ne sachant pour qui pencher. Cela fait une des grandes forces de cette série.
Conclusion
Au final, Trauma est un véritable petit bijou d'orfèvrerie, dont je commence à penser que seuls les anglais ont le secret. C'est la réunion de deux talents que j'affectionne particulièrement : Mike Bartlett, à l'écriture théâtrale particulièrement vive et tranchée, et John Simm, à l'extraordinaire pouvoir d'interprétation. C'est sur leurs seuls noms que j'ai découvert ce joyau, et, vous l'avez bien compris, je vous invite fort à faire de même. Impeccablement réalisée par Marc Evans, parfaitement tenue, excessivement bien jouée, Trauma ne manquera pas de vous obséder dans sa quête de vérité ou de mensonge.
Au final, il me reste cette impression admirative d'avoir en face de moi l'un des acteurs les plus doués du moment : John Simm.
Anne Lacaze
Ça donne trop envie .. Bel article.
Yannick
Merci…Il me tarde d’en discuter avec toi une fois que tu l’auras vue