Cher Vangelis,
Qu’il me soit permis de m’adresser directement à toi, maintenant que tu es parti. Je me permets de te tutoyer, j’espère que tu ne m’en voudras pas.
Mais tout ça est-il bien réel ? j’ai encore du mal encore à le réaliser. Pourtant, l’annonce de ton départ a été communiqué officiellement par le Premier Ministre grec Kyriakos Mitsotakis en ces termes : « Le monde de la musique a perdu l’artiste international Vangelis ».
La terrible nouvelle a ensuite été confirmée par ton assistant Lefteris Zermas, selon lequel tu es décédé ce 17 mai, dans le courant de la nuit, des suites d’une insuffisance cardiaque dans un hôpital de Paris où tu étais soigné pour la Covid-19.
Ce CoronaVirus n’en finit décidément pas de faire des ravages en nous enlevant des êtres chers. Les anges du Paradis t’accueillent au son de tes propres musiques, j’en suis persuadé.
Depuis lors, tes musiques ne quittent plus mes oreilles, via mes platines, mes divers appareils ou même mon téléphone. D’ailleurs, elles n’ont jamais quitté ma vie. Pas un seul instant.
Je me rappelle le jour où je t’ai rencontré, artistiquement parlant, de ce moment où j’ai découvert ta musique pour la première fois de ma vie. Comme toutes les premières fois, ce fut inoubliable. C’était lors de la célèbre émission « Cosmos » de mon maitre à penser Carl Sagan. Comme chaque samedi soir, j’étais devant ma tv me délectant des enseignements de Carl Sagan qui a ouvert mon esprit pour le reste de ma vie. Avec son épouse An Druyan, il mettait en exergue certains philosophes et mathématiciens grec pendant que dans la vraie vie il travaillait sur la célèbre mission « Voyager », avec le fameux « Golden Record » qui répertoriait les plus belles musiques de notre civilisation. Et au milieu de tout cela, te voilà. Dès le générique de l’émission, je pouvais entendre les 3ème mouvement d' »Heaven and Hell »….et je m’envolais.
Tu côtoyais les plus grands compositeurs de musiques classiques, et chacun de tes morceaux me procurèrent d’emblée beaucoup d’émotion. Ce fut un choc. Un véritable coup de foudre artistique qui ne se démentira jamais.
Il est difficile de mettre des mots pour évoquer ton œuvre. J’ai l’habitude de parler de toi comme du plus grand musicien de tous les temps, des propos qui choquent encore quelques-unes de mes connaissances. Car il faut bien l’avouer : certains ne te connaissent pas, d’autres apprécient tes musiques sans savoir que tu en est le compositeur de génie, d’autres enfin ne connaissent de toi que les grands titres populaires, l’hymne de la coupe du monde de Football, ou encore quelques musiques de films célèbres.
Je leur explique alors :
C’est la sonorité des anges, ce sont des mélodies divines, ce sont tes musiques qui ont accompagnés ma vie entière, des sonorités irréelles qui ont soulagés mes tourments d’adolescents et qui ont accompagnés toutes mes crises existentielles. Les douleurs physiques, les souffrances morales, je les guérissais chaque fois avec l’écoute magique de ces sonorités éternelles. Je me rappelle avec émotion les crises de migraines que j’ai eues à une certaine époque de ma vie, et qui me terrassaient jusqu’à me laisser allongé dans le noir. Seule ta musique existait alors et se répercutait sans fin sur les murs de ma chambre. Ces envolées m’emportaient loin de tout, dans un autre monde qui se voulait parfait. Chacune de ces sonorités imprégnait la moindre parcelle de mon être d’une manière presque physique, et réussissait à toucher mon âme entière. Toutes ces années, j’ai grandi avec elles. J’ai toujours eu l’impression que chacune de ces musiques me parlaient intimement, pas seulement pour me réconforter mais aussi pour me guider dans mes choix de vies et pour rediriger mes pensées sur la voie des rêves.
J’ai l’habitude de le répéter régulièrement à ceux qui me connaissent : je tire ma force, mon énergie, ma puissance créative, mon orientation artistique de ces mélodies. Tout en moi, jusqu’à la moindre parcelle de mon corps vibre encore aujourd’hui et trésaille à l’écoute de ces sonorités magiques à nulle autre pareille. Encore aujourd’hui, je conserve très pieusement tous tes disques vinyles 33 tours que je collectionnait. Je me régale toujours de cette mise en page double que tu orchestrait où tu me laissait quelquefois apercevoir ton doux visage. Ton abondance et ta générosité transparaissait déjà au travers de cette direction artistique inouïe.
Il m’est possible de reconnaitre ta touche si particulière dès les premières notes. Je crois sincèrement qu’on fait tous, dans la vie, la rencontre d’un artiste dont on s’imagine qu’il ne compose que pour nous seul. Moi, j’ai eu la chance de te rencontrer. C’était toi, ça ne pouvait être que toi. Lorsqu’en société, on me pose la question de mes gouts musicaux, tu arrives en premier, loin de toute catégorisation d’ailleurs puisque tu es unique, tu es l’incarnation de la Musique à toi tout seul.
Tu t’appelles en réalité Evangelos Odysseas Papathanassiou. Ton nom véritable, que tu as condensé ensuite en seulement Vangelis, est déjà une invitation au rêve. Tu es né en 1943 dans le village d’Agria près de Volos, ce qui fais que tu avais 79 ans, mais pour moi, tu n’avais pas d’âge. Ta conception unique de la musique, ta façon de la créer et de l’exprimer font que tu représentes pour moi depuis toujours non seulement le meilleur musicien au monde mais aussi l’héritier naturel des grands philosophes grecs. Ta façon de penser la musique, de la vivre, de nous la faire partager explique pourquoi ton œuvre est unique autant qu’exceptionnelle et c’est la raison pour laquelle elle te survit déjà.
Toi, que je surnommais quelquefois le « Maestro », vient de rejoindre les étoiles. Ces étoiles que tu as glorifié ces dernières années avec « Mythodea », « Rosetta » ou bien « June to Jupiter » Aujourd’hui, le Paradis a donc officiellement son compositeur attitré. D’ailleurs, tu as déjà composé pour lui avec le célèbre « Heaven and Hell ».
L’universalité de ta musique, quand j’y réfléchis, aura atteint tous les domaines possibles, qui recouvrait mes autres passions : tu as écris pour les animaux, pour la nature, sur l’Histoire, sur l’Art, pour le Cinéma. Tu étais inspiré par l’exploration spatiale, la nature, l’architecture futuriste, le Nouveau Testament et le mouvement étudiant de mai 1968. Tu as écrit des musiques pour le théâtre et pour le ballet. Pour le monde sportif, tu as composé l’hymne de la coupe du monde FIFA en 2002 mais tu as surtout donné une source inépuisable d’inspiration avec la bande originale des « chariots de feu », dont j’aime à rappeler qu’ellea été oscarisée face à la belle musique de John Williams sur le premier film d’Indiana Jones, « Les Aventuriers de l’Arche perdue » en 1982. Ce véritable hymne sportif a été utilisé de nouveau en 2012 pour les Jeux Olympiques de Londres.
Ton œuvre n’est pas seulement audible. Tu l’as amené jusqu’à une véritable expérience sensorielle : notre corps entier est essoufflé et presqu’angoissé à l’écoute de « See you later », notre esprit est transporté en 1968 avec « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit », et on est presque mouillé par la pluie avec « Soil Festivities ». On est presque intimement gêné, stimulé à l’écoute de « 666 ».
Ton message est une expérience a la fois écologique et expérimentale, avec « Beaubourg » et « Soil of Festivities ». Elle comporte même des accents religieux avec « 666 ».
Il est facile aujourd’hui de trouver des rétrospectives au travers de compilations diverses, parfois décousues, mais qui laissent cependant apercevoir combien ton œuvre est éclectique, intense, globale.
Les grandes dates fondatrices de ta biographie sont connues : ton premier groupe « Formynx », dont il ne reste quasiment plus rien.
Ton groupe d’anthologie « Aphrodite ‘s Child », et ton succès planétaire aux côtés de Demis Roussos et de Lukas Sideras. Si j’aime Demis, c’est parce que dès le départ tu as sublimé sa voix. Tu as fourni un album culte dans l’histoire de la musique avec « 666, l’Apocalypse de Jean ». C’est à mon sens l’unique tentative de transposition d’un livre biblique en musique. Ce sera l’album de tous les scandales, mais tu n‘en as cure. En effet, sur le titre « Infinity », pour illustrer à la fois la dimension universelle d’amour du Christ mais également la résurrection, Irène Papas simule à la fois un accouchement et un orgasme dans une prouesse inouïe. « 666 » est plus qu’un simple album de musique, c’est un concept et une illustration de tes théories musicales. A chaque écoute, je suis transporté. Je me souviens avoir eue du mal à l’époque pour décrypter les liens entre l’Apocalypse de Jean et l’accident de cette 2 chevaux qui percutait un mur de briques que tu avais choisi pour illustrer la double page de couverture. Mes interrogations persistèrent jusqu’à ce que je lise une interview de toi dans laquelle tu expliquais qu’il s’agissait d’une vision que t’avais inspiré la séparation d’avec Demis Roussos et la dissolution du groupe « Aphrodite’s Child.
Ton aventure parisienne au moment des évènement de Mai 68, que tu nous feras partager en 1972 avec ton poème symphonique « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit ». Les titres des morceaux sont encore aujourd’hui jubilatoires : « Jouissez sans entraves », « Vivez sans temps morts», « Baisez sans carottes ». Ton immense carrière solo ensuite, où tu as voulu d’emblée mettre toute la musique du monde dans un seul de tes premiers albums « Earth ». Ton célèbre studio Nemo, à Londres, dont tu parlais comme d’une personne vivante et que tu as élaboré en « laboratoire du son » où tu as produit la plupart de tes albums. Ta période « Frederick Rossif, qui donna lieu entre autres aux plus beaux morceaux qui soient donnés d’exister concernant les animaux comme « La fête sauvage », ou « L’Apocalypse des Animaux ». Et comment ne pas également avoir une pensée pour « Entends-tu les chiens aboyer ? » composé pour François Reichenbach, et dont la Société Protectrice des Animaux fera un véritable Leitmotiv.
Ton association avec Jon Anderson, qui a donné lieu à des titres proprement magiques. Tu as à cette époque refusé de devenir le batteur du groupe « Yes », et, loin de t’en tenir rigueur, Jon Anderson te considéra comme un véritable gourou. Personnellement, j’ai toujours trouvé que son timbre de voix me rappelait celui de Demis. Cette impression fut confirmé il y a quelques années, lorsque je découvris par hasard que Demis Roussos avait repris certains de vos titres à tous les deux. D’ailleurs, qui d’autre que lui aurait pu en être capable ?
Tes musiques de films, dont certaines collaient déjà à des films cultes pour moi, comme « Blade Runner » par exemple, dont la puissance évocatrice est telle, que Denis Villeneuve n’a pas eu d’autre choix que d’en reprendre des extraits, alors qu’il avait pourtant Hans Zimmer comme compositeur officiel lorsqu’il réalisa la suite du film.
Ta passion pour les étoiles, enfin, qui t’a conduit à écrire la musique pour la NASA de l’Odyssée sur Mars en 2001 et puis celles des missions Junon Jupiter en 2011. A la suite d’un échange avec l’astronaute André Kuipers, tu y est revenu, toujours aussi inspiré, dans un album nominé aux Grammy Awards par la mission de la sonde spatiale Rosetta en 2016 qui représente véritablement un hommage vibrant aux explorateurs de l’espace et une ode à l’immensité de notre univers.
En 2018, Tu composes un morceau pour les funérailles de Stephen Hawking qui mentionnait les derniers mots du célèbre professeur. Je veux croire que tu savourais ces étoiles que tu apercevais au travers du toit de verre de ta bulle parisienne lorsque tu levais la tête. Ces étoiles que tu as finis par rejoindre. «Chaque planète chante » a tu déclaré au Los Angeles Time en 2019.
Je me souviens avec émotion des difficultés que j’avais lorsque je venais chercher un de tes albums dans cette Fnac toulousaine. Tes disques étaient rangés aux quatre coins du magasin : Musiques de films, New Age, Ambient, World Music, Variétés internationales sans compter les titres que tu ne voulais pas sortir, tels ce « Blade Runner » que j’ai moi aussi attendu douze ans.
Lorsque j’explique autour de moi ta pensée philosophique, je remarque toujours qu’elle est assez mal connue, voire inconnue, un peu comme si elle n’était seulement réservée ou accessible qu’à tes seuls véritables admirateurs. Ce serait contraire à l’universalité que tu as voulu pour l’expression de ton art. Qu’il me soit donc permis, une nouvelle fois, de retracer en quelques ligne ta pensée, car elle seule explique tout le reste, en la synthétisant certes. Mais cela fournira l’occasion aux curieux d’en apprendre davantage. Car même si tu es universel, il faut te mériter un peu.
Je retiens de toi cinq enseignements essentiels :
- « La meilleure façon de créer c’est dans la solitude ». Lorsque je t’ai entendu dire ça, je me suis, de façon paradoxale, senti moins seul sur Terre. En effet, si je me reporte à mon cas, j’ai toujours été plus productif la nuit, seul. Et je me suis toujours surpris à vouloir tout contrôler de ce que, modestement, je créais, sans déléguer de taches annexes en quelque sorte. En tant que créateur solitaire de génie, tu célébrais cette façon de faire. Et effectivement, tu arrivais à composer, à interpréter, à enregistrer, à arranger, à produire seul ta musique dans ton studio.
- « Ce que j’écoute quand j’allume la radio, je ne peux pas appeler ça de la musique : c’est de la pollution » Ton côté rebelle et indépendant m’ont toujours séduit. Tu te fichais de l’argent et du capital disais tu. Cela a déstabilisé l’industrie bien-pensante qui ne t’a pas toujours compris. J’en veux pour preuve la B.O de « Blade Runner », dont l’aventure est si particulière que je pourrais assez longuement m’y attarder ici. Pour mon propos, il suffit juste de savoir que tu as attendu 12 ans pour enfin la sortir. Et encore aujourd’hui, certaines B.O. sont difficilement trouvables, une véritable aberration commerciale en 2022. C’est par exemple le cas de celles du film de Costa-Gavras « Missing : Porté disparu » et de « Lunes de fiel » de Roman Polanski. Tu n’as jamais accepté de rentrer dans un moule. De la même façon, tu as toujours catégoriquement refusé tout sponsoring pour des marques d’instrument. Pour moi, ton exentricité se marquait aussi à travers ton chat, qui, selon la légende, décidait en reniflant les visiteurs si ceux ci étaient dignes ou pas de visiter ton illustre studio.
- « Je fonctionne comme un canal par lequel la musique émerge du chaos et du bruit ». D’après toi, tous les bruits peuvent être écouté dans la Nature et tu te définis comme une sorte de filtre qui nous permets d’y avoir accès en les transformant en mélodies. Cette pensée m’a toujours profondément obsédé et je me surprends très souvent à écouter tout autour de moi les sons environnants pour tenter d’y déceler des accords, des suites de sons qui feraient sens, des mélodies. Et je dois avouer que c’est une expérience que je conseille à tous, tellement elle est surprenante et enrichissante. Je reviens très souvent vers l’album « Soil Festivities »
- « J’ai inventé le nom Mythodea à partir des mots mythe et ode. Et j’y ai senti une sorte de chemin partagé ou commun avec l’exploration actuelle de la planète Mars par la Nasa. Quelle que soit la clé que nous utilisons – musique, mythologie, sciences, mathématiques, astronomie – nous travaillons tous à décoder le mystère de la création, à la recherche de nos racines les plus profondes. La musique est un art vivant. Je suis ancré de tout mon être dans le spectacle scénique, qu’il soit principalement théâtral ou magique. J’avoue utiliser quelques-uns de tes morceaux pour mes numéraux magiques musicaux. Je me rappelle aussi, lors de ma pratique ou lorsque je dirigeais des ateliers de théâtre, avoir été stimulé par la puissance évocatrice de « 1492 ». Pourtant, tu es le premier à m’avoir démontré la dimension « vivante » de la musique. Tu t’érigeais à l’encontre des numéros aseptisés des musiciens qui répétaient inlassablement les mêmes gestes, les mêmes chorégraphies et jouaient les mêmes morceaux. Tout cela pour que des spectateurs puissent revivre lors des concerts en quelque sorte leur passé d’auditeur. Pour toi, chaque concert devait être au contraire une moment sacré et unique, et c’est la raison pour laquelle tu ne savais jamais quelle note tu allais jouer en premier ni quelle note tu allais jouer en dernier. Que j’envie ces rares privilégiés à avoir pu assister à une de tes représentations. Tes concerts étaient assez rares, très souvent imprévus, j’aurais adoré y assister un jour et ressentir, devenir à mon tour à un de ces spectateurs partageant, vivant un moment unique. Lorsque je regarde mon DVD de « Mythodea », je comprends ce que tu veux dire. J’ai les larmes qui montent aux yeux. Et toi, tu es caché derrière tes instruments, pour laisser place à la musique qui remplit la scène.
- « Je n’ai jamais étudié la musique » avais-tu confié lors d’une interview au magasine « Periodico ». La partie importante de ta philosophie est la distinction que tu faisais entre trois modes créatifs : la composition, l’improvisation et la création. Le fait que tu jouais du piano à l’âge de 5 ans, que tu as donné ton premier concert de piano à l’âge de 6ans et que tu déclarais ignorer tout du solfège démontre ton génie créatif. Comme tu n’as jamais vraiment pris de cours, tu es ce que le monde appelle un autodidacte, ce que j’appelle moi un génie. Selon ta théorie, la composition se fait au regard des règles du solfège. L’improvisation est l’aboutissement de la composition, reprends des techniques musicales en les articulant autour d’une thématique. Enfin, la création est la dimension absolue de l’art dans laquelle le musicien exprime son talent en se libérant de toute contrainte. C’est là qu’intervient pour toi cette dimension de filtre avec la Nature.
« Impossible de me rappeler mes premiers souvenirs musicaux : j’ai commencé de composer à quatre ans, j’étais trop petit pour m’en souvenir concrètement. Je me vois juste assis derrière un piano, ou récupérer dans la maison familiale tout ce qui pouvait me servir de percussion. Je passais mon temps à créer des sons, jouer ce que j’entendais dans ma tête. Mon premier synthé, c’était la radio. La nuit, je zappais sur les différentes stations, c’était les interférences qui me passionnaient. Le piano était mon instrument de prédilection, mais je voulais qu’il produise plus de sons, je l’ouvrais et tirais sur les cordes pour obtenir des bruits nouveaux. J’ai joué mes propres compositions. Je n’ai jamais appris le solfège, je ne voulais qu’improviser sur mes idées. Je ne voyais pas la musique comme une forme d’art, mais comme une science. La définition la plus proche du vaste code de la nature«
Tu as démontré l’exactitude de tes théories très souvent. Je me souviens avec émotion de cette nuit que j’ai passé en regardant « Musique au cœur ». Tu étais dans ton hôtel particulier du XVIème arrondissement de Paris, ton superbe studio parisien surmonté d’un toit en verre ouvert sur la nuit étoilée, et lorsque tu tapotais au hasard sur tes claviers devant une Mireille Dumas interloquée, je savais bien que je vivais un instant de grâce. Je crois me souvenir que je suis allé réveiller ma mère endormie à côté afin de lui faire partager mon exaltation du moment. Mais le meilleur moment fut cette interview que tu accorda au journalistes de « Keyboard » qui, à l’issue, déclarèrent avoir assisté à une expérience susceptible de remettre en cause l’entièreté de leur conception de la musique. A l’issue de cette interview, comme une preuve éclatante de ta théorie, tu enregistra d’une seule traite un album tout entier. Lorsque j’écoute « Direct » aujourd’hui encore, je pense à toute l’émotion qui dut les submerger alors.
Ton œuvre est gigantesque, immense, totale et universelle. Lina Mendoni, ministre grecque de la Culture, vient de déclarer : « Sa maîtrise et son inspiration orageuse dans la création de sons, totalement originales, ont créé un public mondial. Il était œcuménique ».
Fort heureusement, tu as reçu de ton vivant toutes sortes de distinctions plus prestigieuses les unes que les autres. Parmi celles-ci, il faut citer : L’Oscar de la Meilleure musique de film, le prix de musique de film Max Steiner, la Légion d’honneur en France, l’Ordre de Chevalier des Arts et des Lettres, la médaille du service public de la NASA et la plus haute distinction grecque, l’Ordre du Phénix. Mais toi qui admirais tant ces étoiles, je pense que celle qui a dû le plus te combler de plaisir fut qu’une planète soit renommée à ton nom. L’astéroïde 6354 s’appelle désormais « Vangelis ».
Au même moment, la NASA révèle que c’est ta musique qu’écoutent les astronautes dans l’espace à l’intérieur de la station MIR : « End Titles », extrait de Blade Runner.
En tant que pionnier, tu aurais pu devenir le Roi incontesté de la Dance et de la Techno, mais tu détestais ce que la musique électronique devenait. Tu appelais ça « pollution musicale ». Tu déclarais ainsi : « Je ne peux pas appeler ça de la musique : c’est de la pollution. Des trucs qui polluent l’atmosphère en tentant de faire du fric et en lavant le cerveau des jeunes. C’est important de lutter contre la pollution atmosphérique, mais la pollution sonore ? Plus rien n’est préservé aujourd’hui ».Tu n’aimais pas les remixes, tu détestais la Dance, tu avais en horreur le « Clubbing », Tout cela illustre trop les conventions d’une société qui ne s’enrichit plus, et tout cela est trop liée à la vie sur terre, à la condition humaine, au physique.
Ta pensée me permet d’avoir beaucoup de recul sur ces pratiques, mais je sais bien qu’aucune autre musique ne m’emportera aussi loin, ne me fera voyager autant que les tiennes. Grace à toi, mes rêves ne seront jamais plus court que la nuit.
Pendant que les DJ occupaient les pistes de discothèque, tu enregistres Mythodea – Music for the NASA Mission : 2001 Mars Odyssey avec le London Metropolitan Orchestra et le Greek National Opera. Puis, pour célébrer l’expédition de la NASA visant à mettre en orbite autour de Mars une sonde spatiale, tu en donne une représentation au temple Zeus d’Athènes, avec projection d’images martiennes et sculptures grecques. C’est le seul DVD de concert de toi en ma possession à l’heure actuelle.
Le premier ministre grec, dont je parlais au début, Kyriakos Mitsotakis, soulignant que ton deuxième prénom était Ulysse, a rajouté « Pour nous, en Grèce, cela signifie qu’il a commencé son grand voyage sur les chariots de feu. De là, il nous enverra toujours ses notes. »
Je pourrais parler de toi pendant des heures, mais ce serait des heures perdues à ne pas savourer ta musique. Dans cette vie, j’avais un beau rêve qui vient de s’envoler avec ton départ. Depuis que j’ai vu ton studio parisien, cette « bulle » magique sous les étoiles, et que je savais que tu partageais ta vie entre Paris, la Grèce, les Etats-Unis et le reste du monde, j’ai rêvé. Oui, j’ai rêvé et espéré pouvoir te rencontrer un jour au détour d’un trottoir parisien. J’ai tellement phantasmé cette rencontre que j’étais persuadé qu’elle se déroulerait un jour, et c’aurait été un des plus beaux moments de ma vie. Comme cela ne sera plus possible sur cette Terre, je me suis permis dans cet article toujours trop succinct de te parler directement et de te tutoyer. Ce n’est pas par manque de respect, bien au contraire, mais c’est au contraire à mes yeux un signe de cette intense proximité que j’ai toujours expérimenté avec ton œuvre. Tu as toujours fait partie de moi, et je crois bien qu’il en sera toujours ainsi.
Jon Anderson te considère comme un gourou. Moi, je t’idolâtre et je t’aime, tout simplement.
Je vais continuer à méditer sur le titre de ton album, que j’ai toujours trouvé tellement beau : « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit ».
Tes mélodies m’accompagneront encore ma vie entière, elles font à jamais partie de moi, et je m’emploierai à les partager tout autour de moi.
Merci pour tout mon Maestro.
Pour illustrer cette fin d’article, il a fallu que je sélectionne quelques unes de tes oeuvres majeures, choix obligatoirement arbitraire et frustrant…mais qui permettra à tous de te voir…
En travaillant sur l’Apocalypse, j’ai comprisque la Bête, c’est la bêtise…la connerie détruira l’humanité »
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